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Corrigé de l’essai : n’apprend-on à réfléchir qu’en lisant des livres ?

Bac de français 2021

Baccalauréat technologique

Corrigé de l’essai

N’apprend-on à réfléchir qu’en lisant des livres ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question en prenant appui sur L’Ingénu de Voltaire, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Proposition de corrigé (rédigée par Jean-Luc)

Introduction

Livre Nous savons tous que l’apprentissage de la lecture est un élément essentiel de l’enseignement primaire. Lire, associé à la connaissance de la langue, permet de mieux penser et communiquer. Il y a dix ans, en France, 7 % de la population souffraient d’illettrisme, c’est-à-dire d’une maîtrise insuffisante de la lecture. Peut-on affirmer que ce handicap éducatif a pénalisé définitivement les adultes qui en ont été victimes ? N’apprend-on à réfléchir qu’en lisant des livres ?
Il convient d’abord de définir ce qu’est la lecture selon le sens commun. Nous percevrons alors que cette activité n’est pas l’unique moyen de comprendre le monde dans lequel nous vivons, mais qu’elle est sans aucun doute une voie d’accès privilégiée qu’il faut cependant accompagner.

Développement

Qu’est-ce que lire ?

Aujourd’hui lire signifie savoir déchiffrer la suite de caractères appelés lettres et donner un sens aux mots qu’ils constituent. Cette activité permet d’accéder au monde conceptuel des idées sans passer par les échanges verbaux. La lecture, en ce sens, est liée étroitement à l’écriture.
L’écriture est apparue tardivement dans l’histoire humaine, ses premières traces connues remontent au IVe siècle avant J.C. en Mésopotamie. Certaines langues comme le basque n’ont pas été écrites avant le XVIe siècle. Peut-on considérer alors que faute de savoir lire, ces cultures n’ont pas appris à réfléchir pleinement ? Ce serait leur faire injure. quand on considère la richesse de leurs créations.
Lire d’une manière générale, c’est d’abord savoir regarder, observer, interpréter ce que nous voyons : le berger ou le marin supputent le temps en scrutant la forme des nuages, la direction et la force du vent… Lire, c’est donc reconnaître des signes et les comprendre correctement.
L’invention de l’écriture a cependant permis un bond pour les connaissances humaines. En effet, elle a permis la conservation exacte des informations, évitant à chaque fois de repartir de l’origine. Les supports écrits accélèrent de manière exponentielle le volume des connaissances. Aujourd’hui, IBM estime que la quantité de connaissances double toutes les 12 heures. Surtout, selon l’adage bien connu, « les paroles s’envolent, les écrits restent », l’écriture a fixé exactement les éléments d’un contrat, d’un récit ou d’une révélation. On a pu parler des religions du livre : Bible, Coran ou Torah, les distinguant clairement des autres traditions orales.
Lorsque Gutenberg invente les caractères mobiles au XVe siècle, il permet un nouvel élan dans l’histoire de l’humanité en démocratisant le livre. Nous pouvons penser que le XXe siècle et l’avènement de l’informatique qui apporte l’écriture numérique nous font franchir encore un palier important. Lire est désormais étroitement lié aux livres et aux écrans.

La lecture, un moyen prédominant mais insuffisant

Quelles sont nos raisons de lire ?
En premier lieu, nous lisons pour nous distraire, nous évader, vivre d’autres existences plus exaltantes. Cette littérature facile est rarement de bonne qualité, car elle cherche à « flatter les goûts du public » selon Antoine Lilti. Dans cette entreprise mercantile, ce sont la plupart du temps les appétits les moins nobles qui sont visés. Voltaire le faisait remarquer dans une lettre à Moultou, le 5 janvier 1763 : « il faut être très court, un peu salé, sans quoi les ministres et madame de Pompadour, les commis et les femmes de chambre, font des papillotes du livre ».
Parfois nous nous consacrons à des lectures imposées, ces « bonnes » lectures qui nous transmettent des connaissances lors d’un parcours d’apprentissage, qui nous ouvrent au monde conceptuel. Mais nous risquons de lire sans esprit critique, ce que déjà craignaient les philosophes au Siècle des Lumières.
De plus ces ouvrages didactiques qui recourent à l’argumentation directe peuvent être rebutants parce qu’austères. C’est pourquoi depuis l’Antiquité s’est développé le courant pédagogique du placere, docere, (plaire pour instruire). L’Ingénu de Voltaire s’inscrit dans ce mouvement : « Ah ! s’il nous faut des fables, que ces fables soient du moins l’emblème de la vérité ! J’aime les fables des philosophes, je ris de celles des enfants, et je hais celles des imposteurs. » Il faut cependant que le lecteur arrive à dépasser le stade évident du plaisir pour atteindre à la sagesse.

Comment rendre nos lectures profitables ?

Si nous risquons de passer à côté de tous les bienfaits de nos lectures, quelles sont les conditions à remplir pour en profiter pleinement ?
Voltaire, dans L’Ingénu, milite pour une bonne nature. Il défend le « bon sauvage » contre les coutumes imposées par la civilisation et non fondées sur l’usage de la raison. Voltaire insiste à plusieurs reprises : c’est une certaine forme d’éducation qui obscurcit l’intelligence humaine par l’apprentissage des préjugés. La matière du philosophe, c’est un esprit vierge où pourront se graver les vérités découvertes par le seul moyen de l’intelligence. Voilà pourquoi le Huron est le prototype du nouvel homme auquel les philosophes prétendent donner le jour : « Sa conception était d’autant plus vive et plus nette que, son enfance n’ayant point été chargée des inutilités et des sottises qui accablent la nôtre, les choses entraient dans sa cervelle sans nuage ». En philosophe des Lumières, Voltaire combat donc ces préjugés, ennemis du bonheur individuel et social, qu’il résume à l’entrave des conventions et l’ingérence de la religion. Il note de plus ce préalable indispensable : « le jeune homme voulait beaucoup apprendre ».
Le lecteur doit en outre s’appuyer sur l’expérience, confronter ses lectures à la réalité. Nous retrouvons là le sens premier de lire, celui d’observer, de tenter de comprendre, une forme du regard scientifique. Le Huron embastillé va profiter de son incarcération pour se cultiver, méditer. « La lecture agrandit l’homme » et l’Ingénu d’avouer : « J’ai été changé de brute en homme ». Dans sa prison, le jeune héros pratique l’astronomie, les sciences exactes, la littérature. Ce programme n’est pas neutre ; Voltaire oppose la métaphysique où les sectes s’affrontent à la géométrie ou règne un bel accord : les sciences unissent là où la religion divise. Ce qu’il faut exercer, c’est la raison. En tout cas l’ingénuité du Huron débouche toujours sur l’étonnement et l’incompréhension qui mettent en valeur l’absurdité des situations. Voltaire ne cherche pas à toucher notre imagination, il ne montre jamais l’horreur insoutenable de certaines scènes : les images sont remplacées par d’autres images, elles s’effacent. Il préfère toucher notre intelligence en nous faisant découvrir la stupidité ou le non-sens de certains comportements.
Pour profiter pleinement de nos lectures, nous devons de plus être accompagnés. C’est le rôle de l’éducation et des enseignants. Gordon aide son compagnon d’infortune à structurer ses connaissances, à asseoir leurs bases. Il joue, du moins au début, ce rôle de Mentor qui éduque son jeune élève comme dans Les aventures de Télémaque de Fénelon. Le « sauvage », dans ce commerce des intelligences, peut apprendre à vivre en société et rejoindre le petit nombre des hommes éclairés, c’est-à-dire touchés par les vérités philosophiques.

Conclusion

Ce parcours intellectuel reste utopique, car nous sommes d’abord les enfants d’une tradition familiale, d’une communauté nationale, d’une culture millénaire. Il l’est d’autant plus qu’il se veut un rationalisme appuyé sur l’expérience qui s’oppose aux révélations du monde de la foi. Comme tel il privilégie les connaissances scientifiques et renie les œuvres de l’imagination. Toute sa réflexion est un effort pour remonter à quelques principes généraux aisément admissibles par le plus grand nombre. Les philosophes du Siècle des Lumières ont voulu faire progresser la connaissance de la vérité, ou plutôt d’une certaine vérité. C’est la limite de l’entreprise, la lutte contre les préjugés a été menée au nom d’un autre préjugé : celui de la raison qui exclut d’office ce que l’intelligence humaine ne saurait appréhender. Cependant, malgré ses limites, ce parcours met en lumière quelques préalables indispensables pour que nos lectures contribuent efficacement à un humanisme éclairé et paisible : éradication des préjugés, constitution d’un socle de connaissances par la lecture, accompagnement de l’élève, développement de son esprit critique, retour à la réalité au nom de l’expérience. La lecture reste indispensable, mais limitée pour ouvrir notre esprit. Faisons donc nôtre cette sagesse de Confucius : « Entendre ou lire sans réfléchir est une occupation vaine ; réfléchir sans livre ni maître est dangereux. »

Voir aussi