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Écrire et combattre pour l’égalité, est-ce viser une efficacité immédiate ?

Bac de français 2022

Baccalauréat technologique

Corrigé de l’essai

Martine Reid écrit : « George Sand milite sans relâche pour l’égalité, “beau rêve, dit-elle, dont je ne verrai pas la réalisation”. »
Selon vous, écrire et combattre pour l’égalité, est-ce viser forcément une efficacité immédiate ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Proposition de corrigé (rédigée par Jean-Luc)

Introduction

L’engagement des écrivains a commencé à se manifester au XVIe siècle au cours des guerres de religion avec Montaigne, Agrippa d’Aubigné. Mais c’est au siècle des Lumières, que le combat philosophique a mené les auteurs sur la place publique. Ce fut d’abord au nom de la liberté contre les pouvoirs en place, qu’ils soient politiques ou religieux. Comme la contestation était d’abord d’origine bourgeoise, la lutte pour l’égalité prit surtout la forme étroite de revendications pour obtenir l’abolition des privilèges. Mais les nantis n’envisageaient nullement de partager avec le peuple. Quant à l’égalité entre hommes et femmes, elle était inenvisageable pour des raisons juridiques, culturelles et religieuses (par suite d’interprétations erronées). Quand George Sand commence à militer pour les droits des femmes, au XIXe siècle, elle sait que leur obtention prendra beaucoup de temps, car les femmes sont alors jugées « mineures », soumises à leur père, puis à leur époux. Elle écrit, consciente et un peu désabusée : « beau rêve, dont je ne verrai pas la réalisation ».
À son exemple nous pouvons nous demander si écrire et combattre pour l’égalité, c’est viser forcément une efficacité immédiate.
Si les écrivains n’ont pas la naïveté de croire que leur œuvre va transformer rapidement la société en raison des résistances conservatrices, ils s’attachent cependant à faire passer avec obstination leurs idées.

Développement

Devant l’immensité de la tâche, nous nous restreindrons à un thème à la mode aujourd’hui, celui de l’égalité entre hommes et femmes. Nous nous appuierons principalement sur le texte de Martine Reid et le cas de George Sand.
Le féminisme est devenu visible dans la société française au siècle des Lumières. Olympe de Gouges, récemment remise à l’honneur, en fut notamment la promotrice avec sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

Un engagement spécifique sur le long terme
En raison de freins puissants dans la société

Combattre pour l’égalité, c’est s’attaquer à une montagne. En effet, dès la naissance, même si nous sommes théoriquement égaux en droit, la vie nous apprend la disparité de nos situations : santé, facultés, fortune, espérance de vie, accès à la culture et aux services… au point que l’humoriste Coluche pouvait ironiser : « Les hommes naissent libres et égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». De plus le combat pour l’égalité est protéiforme. Les bonnes causes sont légion. Certaines ne font pas recette parce que lointaines ou passées sous silence dans les médias : par exemple la politique d’aménagements pour les handicapés, la fracture numérique, les écarts entre pays riches et pauvres ou émergents… Enfin certains préjugés sont fortement incrustés dans nos esprits.

Une démarche nécessairement progressive

George Sand, dans son militantisme féminin, s’occupe d’abord de la vie privée des femmes : le droit à la libre disposition de soi et de ses biens, le mariage et la maternité. Elle revendique la reconnaissance des droits civils dont le divorce (supprimé en 1816 et rétabli en 1884) afin que les femmes bénéficient des mêmes dispositions que les hommes. En effet, les femmes sont alors jugées « mineures », soumises à leur père puis à leur époux, comme le prévoit le Code civil en vigueur depuis 1804.
Sand n’exige pas de droits politiques comme ceux du vote ou de la possibilité de se présenter aux élections. En effet elle juge cette démarche prématurée et donc vouée à l’échec, en tout cas dévoreuse d’énergie en pure perte. Elle se focalise sur l’égalité des droits dans le mariage parce que l’union matrimoniale donne un statut aux femmes, un nom, un toit, du pain, un avenir à leurs enfants, une stabilité personnelle comme mère et éducatrice, elle évite également l’asservissement particulièrement dans la sexualité. George Sand se montre donc pragmatique en concentrant ses efforts sur des objectifs à portée. Elle évite ainsi le risque du découragement pour elle, et du rejet par une société bourgeoise conservatrice en misant sur le ralliement des esprits éclairés par le progrès.

Poser en son temps les bases d’un avenir meilleur

Bon nombre d’écrivains ont compris que, pour faire évoluer les mentalités, il fallait éduquer les jeunes générations. Une grande part des écrits de Victor Hugo est animée par cette affirmation : « L’éducation, c’est la famille qui la donne ; l’instruction, c’est l’État qui la doit. » Aujourd’hui encore, l’UNICEF et bon nombre d’associations subviennent au manque de moyens de certains pays. Dans le domaine de l’égalité entre les hommes et les femmes, des auteurs prestigieux ont montré les dégâts lorsque l’éducation des jeunes filles était négligée : citons Molière dans L’École des femmes ou Les Femmes savantes, Marivaux dans La Colonie, Laclos dans Les Liaisons dangereuses.
George Sand s’est servie de l’argumentation indirecte. Elle ne s’est pas contentée de créer une revue, puis un journal d’opposition, et d’écrire des articles et des brochures. Elle s’est montrée efficace en diffusant ses croyances dans des romans appréciés. Ainsi ses personnages se marient-ils seulement après avoir rétabli l’égalité avec leur conjoint, comme pour la petite Fadette, pauvresse, qui devient petit à petit l’égale de son riche amoureux en savoir, en intelligence et en biens. Elle revalorise les savoirs traditionnels et ménagers, qu’elle souhaite monnayer dans Nanon (1872). Elle invente surtout des héroïnes douées, ardentes, engagées et attachantes, et, par là, donne envie de les imiter.

Promouvoir le futur avec l’utopie

Certains écrivains sont même allés, en recourant à l’utopie, à placer dans des lieux et un temps mythiques la réalisation de leurs rêves : Thomas More dans Utopia, Campanella dans La Cité du soleil, Voltaire et son Eldorado dans Candide. Mais il est vrai aussi que leurs sociétés déconnectées de la réalité et de l’histoire ont pu effrayer ou paraître invraisemblables.

Conclusion

Le combat pour l’égalité est apparu assez tardivement dans nos littératures. Alors que le christianisme avait depuis ses origines affirmé l’égale dignité des personnes et le respect inconditionnel de toute liberté (même si les pratiques ont pu obscurcir les principes), il a fallu attendre le XVIe siècle pour voir certains écrivains entrer dans l’arène politique. Mais transformer les sociétés est une tâche ardue tant les intérêts contradictoires, les jeux de pouvoir, le conformisme, l’inertie ou la peur des convulsions rendent difficile tout changement en profondeur. C’est pourquoi les écrivains n’ont pas eu la naïveté de croire qu’ils allaient changer immédiatement les mentalités. Ils se sont donc lancés dans une démarche progressive, se fixant des objectifs limités, recourant à des articles, des essais, des discours. Mais il apparaît que leurs écrits se sont montrés plus efficaces quand ils ont emprunté la voie de l’argumentation indirecte, la fiction romanesque et ses personnages attachants. En revanche, la volonté de faire table rase en reconstruisant la société dans une utopie s’est plutôt révélée contre-productive par son irréalisme et sa négation de certaines libertés fondamentales.
Si les écrivains ont permis aux sociétés occidentales de devenir un peu plus égalitaires, le chantier reste encore immense, surtout lorsque l’horizon s’élargit à l’échelle de la planète. Suivons l’exemple des auteurs en « cultiv[ant] notre jardin », en travaillant modestement dans notre sphère limitée à faire évoluer nos convictions et nos comportements.

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