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La mise en scène renforce l’émotion que suscite le texte théâtral

Sujets du bac de français 2015

Corrigé de la dissertation (séries S et ES)

En vous fondant sur des exemples puisés dans le corpus et dans votre expérience de spectateur, vous vous demanderez dans quelle mesure la mise en scène renforce l’émotion que suscite le texte théâtral.

Corrigé (plan détaillé)

Ce corrigé a été rédigé et retravaillé par boulou99, élève de première.
Introduction

« Le théâtre n’est fait que pour être vu », affirmait Molière, grand dramaturge classique du XVIIe siècle. Et il est vrai que le genre théâtral semble essentiellement être l’art du visuel, ainsi que l’illustre l’étymologie même du terme théâtre, du grec θεάομαι – theaomai -, regarder, contempler. Cette importance de la représentation au théâtre s’explique le plus communément par le fait qu’elle permet l’accentuation des émotions véhiculées par le texte. Pourtant, notamment au XIXe siècle, les pièces de théâtre romantiques – entre autres – destinées uniquement à la lecture prolifèrent, sans pour autant perdre de leur portée émotionnelle, élément d’ailleurs cher à ce mouvement.
Aussi est-il intéressant de se demander si la mise en scène théâtrale se fait nécessairement accentuation des émotions offertes par le texte.
Pour répondre à cette question, il convient dans un premier temps de mettre en valeur l’intérêt de la représentation dans le renforcement des émotions procurées au spectateur, pour ensuite souligner les limites que rencontre la mise en scène théâtrale dans sa fonction émotionnelle, pour enfin mettre en valeur l’objectif premier du théâtre à travers les siècles, à savoir non pas le « movere », mais plutôt le « docere ».

I. Certes, la mise en scène renforce les émotions que suscitent les textes théâtraux…

1. De l’intérêt de la mimesis d’Aristote.

Dans sa Poétique, Aristote définit nombre de règles artistiques et théâtrales. Parmi celles-ci, la mimesis est l’exigence de réalisme qui passe par l’imitation de la nature et du réel. Ainsi, la vie étant émotion, et l’émotion étant vie, la représentation théâtrale, du fait de la mimesis, met en scène l’émotion vraie, réaliste, et accentue donc la portée sentimentale du texte.
Exemple : nombre de comédies d’Aristophane, par exemple Les Nuées, qui imitent parfaitement les modes de vie athéniens de l’époque.

2. L’émotion esthétique de la représentation vient s’ajouter à l’émotion liée aux ressorts dramatiques du texte

Exemple : les décors baroques et le monde onirique que propose Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare sont souvent très travaillés, poussés jusqu’à la démesure : Ils provoquent une jouissance visuelle chez le spectateur qui vient s’ajouter aux émotions procurées par le texte.
De même, dans la mise en scène de Laurent Laffargue du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, l’impressionnante machinerie qui fait défiler les décors aux yeux du spectateur rythme l’ensemble de la pièce et favorise l’émotion esthétique.

3. La représentation permet d’accentuer les thématiques mises en jeu dans les pièces et décuplent donc les émotions / sentiments du spectateur

Exemple : dans la mise en scène du Misanthrope de Molière, par Michel Fau au théâtre Montansier, la hauteur des perruques des aristocrates est l’un des nombreux éléments scéniques qui accentuent le comique de caractère présent dans toute la pièce.
Les didascalies dans Le roi se meurt d’Eugène Ionesco, notamment le retrait progressif des éléments scéniques lors de la mort du Roi, accentuent l’impression de dépouillement et de néant dans la mort, et décuplent donc la sensation de vide de la scène.

4. La représentation et la modernisation : favoriser l’identification du spectateur au personnage pour accentuer les émotions

Exemple : cet atout qu’est la modernisation est joué par bon nombre de metteurs en scène, notamment par Anne Kessler, dans La Double Inconstance de Marivaux : Silvia, en effet, est habillée de manière assez moderne (de même que les autres personnages), tandis qu’Arlequin nous joue un air lancinant de guitare sèche. Tous ces choix provoquent l’identification chez le spectateur et accentuent donc la pitié que le public peut ressentir face à cette situation pathétique (au sens littéraire du terme !). La catharsis tient bien son rôle esthétique ici, l’homme prend en effet plaisir à voir et reconnaître les objets de son quotidien mis en scène de manière esthétique.

II. Cependant, cette capacité de la mise en scène à accentuer les émotions du texte trouve ses limites

1. Les conventions théâtrales, notamment chez les Classiques, limitent les possibilités de représentation et freinent donc le réalisme : → difficulté du lecteur à s’identifier aux personnages et à partager leurs émotions

Exemple : dans la tragédie Phèdre de Racine, l’absence de mentions triviales et de scènes trop violentes avec notamment la mort d’Hippolyte n’accentuent en rien la portée émotionnelle du texte. Comment en effet pourrait-on s’identifier aux personnages et prendre en pitié dans un monde où la violence ne peut qu’être entendue ?

2. Les obstacles matériels posent le même problème de réalisme que les conventions abstraites : l’identification et donc le renforcement des émotions est à nuancer.

Exemple : dans la bataille contre les Mores, dans Le Cid de Corneille, les milliers de chevaux et de soldats sont tout simplement impossibles à mettre en scène… Aussi doit-on se cantonner à une mise en scène limitée au simple récit. Alors, pourquoi ne pas préférer la simple lecture, plus confortable car plus personnelle ? Difficile donc de s’identifier à un monde où, comme pour la violence, les aspects héroïques ne sont que racontés…

3. La représentation peut susciter un désintérêt pour la beauté de la langue au profit du jeu des acteurs et de l’action… Ne passe-t-on pas à côté d’une belle source d’émotion ?

De l’intérêt donc de la simple lecture du théâtre… La représentation ignore souvent le travail de la versification et du style au profit d’un débit oral qui se veut vraisemblable… La langue est nécessairement vecteur de belles émotions, ainsi que l’illustre cet écrit de Guillevic : "Un mot // C’est plein de mains // Qui cherchent à toucher".
Exemple : Horace (acte IV, scène 5) de Corneille :

Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome, qui t’a vu naître et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !

L’on oublie ainsi, distrait par les éléments scéniques et le jeu des acteurs, tout le travail sur la métrique, l’équilibre des vers, les sonorités telles que les allitérations en dentales…

III. Mais surtout, le théâtre, que ce soit pour le texte ou la représentation, n’a pas pour finalité le "movere" : la quintessence du genre théâtre est le "docere", la réflexion, l’éducation du lecteur

1. Critiquer les hommes et les mœurs, voilà ce à quoi sont asservies les émotions procurées par le texte et la représentation

Exemple : le fameux "castigat ridendo mores" s’illustre le mieux dans les pièces de Molière, telles que L’Avare : le ridicule d’Harpagon et le rire suscité chez le spectateur ne desservent finalement que la critique de l’avarice et de la cupidité.

2. Le théâtre : une réflexion sur la condition humaine avant tout, qui peut être desservie par la représentation et les émotions

De là l’intérêt moral de la catharsis, qui purge l’homme de ses passions du fait de la mise en scène des émotions des personnages, et le conduit à une réflexion sur lui-même.
Exemple : La Cantatrice chauve d’Ionesco : le comique et l’absurdité des conversation lors de ce dîner « entre amis » dénoncent l’illogisme de la vie, et nous fait réfléchir au sens de l’existence, au rôle du langage… Car quoi de mieux que de faire ressentir l’absurde pour dénoncer l’absurde ?
De même pour En attendant Godot (Beckett) : la représentation met surtout en valeur les silences, et le ridicule que perçoit le spectateur dans cette situation permet une réflexion sur les relations entre les hommes, les objectifs de nos existences, réflexion élargie à Dieu-même, avec également l’incohérence et l’absurdité de l’attente de ces deux mendiants…

3. Proposer une réflexion sur l’art : le théâtre permet une méditation sur lui-même !

Là est tout le miracle de ce genre.
Exemple : la mise en abyme théâtrale et le métathéâtre dans l’Illusion comique de Corneille en sont un parfait exemple. Ainsi, le personnage d’Alcandre illustre la magie de ce genre, ainsi la grotte en représente les mystères, ainsi le fils de Pridamant symbolise l’art du comédien qui fait croire à l’irréel et dupe son père… Toute pièce est créée en vue de proposer une étude et une réflexion approfondie sur et par le théâtre. Voilà ce qui est, dans cet art, le plus merveilleux, le plus émouvant.

Conclusion

Ainsi, la mise en scène théâtrale se fait souvent vecteur d’émotions et accentue celles véhiculées par le texte, du fait notamment de la mimesis, de l’esthétique des décors, de la puissance suggestive des thématiques et de la modernisation. Mais son rôle de tremplin émotionnel est parfois à nuancer, comme le justifient le désintérêt pour la beauté de la langue et la perte du réalisme. Finalement, la portée émotionnelle d’une pièce de théâtre, qu’elle soit vue ou lue, dessert l’essence du genre que sont la réflexion et l’éducation du lecteur, tant au sujet des mœurs, de la condition humaine, ou du théâtre lui-même.
Il est intéressant de remarquer que cette même dialectique peut être appliquée au genre cinématographique, proche du genre théâtral car partagé entre texte et image. Car n’est-il pas légitime, dans la continuité de la précédente réflexion, de voir la puissance émotionnelle pourtant toute nuancée de ce genre, et des captations ?

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