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Bac français 2019 (Amérique du Nord) – Corrigé de la question

Bac français 2019 (Amérique du Nord)

Corrigé de la question (séries S et ES)

Objet d’étude : le texte théâtral et sa représentation, du XVIIe siècle à nos jours

Corpus :

  • Texte A : Molière, Le Médecin malgré lui, acte I, scène première, 1666
  • Texte B : Marivaux, La Double inconstance, acte I, scène première, 1723
  • Texte C : Alfred de Musset, La Nuit vénitienne, ou les noces de Laurette, scène première, 1830

Molière, Le Médecin malgré lui, acte I, scène première, 1666

[Le rideau se lève sur la querelle des époux Sganarelle et Martine.]

Molière MARTINE : Devrais-tu être un seul moment sans rendre grâce au Ciel de m’avoir pour ta femme ? et méritais-tu d’épouser une personne comme moi ?
SGANARELLE : Il est vrai que tu me fis trop d’honneur, et que j’eus lieu de me louer la première nuit de nos noces ! Hé ! morbleu ! ne me fais point parler là-dessus : je dirais de certaines choses…
MARTINE : Quoi ? que dirais-tu ?
SGANARELLE : Baste1, laissons là ce chapitre. Il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver.
MARTINE : Qu’appelles-tu bien heureuse de te trouver ? Un homme qui me réduit à l’hôpital2, un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j’ai ?
SGANARELLE : Tu as menti : j’en bois une partie.
MARTINE : Qui me vend, pièce à pièce, tout ce qui est dans le logis.
SGANARELLE : C’est vivre de ménage3.
MARTINE : Qui m’a ôté jusqu’au lit que j’avais.
SGANARELLE : Tu t’en lèveras plus matin.
MARTINE : Enfin qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison.
SGANARELLE : On en déménage plus aisément.
MARTINE : Et qui, du matin jusqu’au soir, ne fait que jouer et que boire.
SGANARELLE : C’est pour ne me point ennuyer.
MARTINE : Et que veux-tu, pendant ce temps, que je fasse avec ma famille ?
SGANARELLE : Tout ce qu’il te plaira.
MARTINE : J’ai quatre pauvres petits enfants sur les bras.
SGANARELLE : Mets-les à terre.
MARTINE : Qui me demandent à toute heure du pain.
SGANARELLE : Donne-leur le fouet : quand j’ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison.
MARTINE : Et tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même ?
SGANARELLE : Ma femme, allons tout doucement, s’il vous plaît.
MARTINE : Que j’endure éternellement tes insolences et tes débauches ?
SGANARELLE : Ne nous emportons point, ma femme.
MARTINE : Et que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir ?
SGANARELLE : Ma femme, vous savez que je n’ai pas l’âme endurante, et que j’ai le bras assez bon.
MARTINE : Je me moque de tes menaces.
SGANARELLE : Ma petite femme, ma mie, votre peau vous démange, à votre ordinaire.
MARTINE : Je te montrerai bien que je ne te crains nullement.
SGANARELLE : Ma chère moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose4
MARTINE : Crois-tu que je m’épouvante de tes paroles ?
SGANARELLE : Doux objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles.
MARTINE : Ivrogne que tu es !
SGANARELLE : Je vous battrai.
MARTINE : Sac à vin !
SGANARELLE : Je vous rosserai.
MARTINE : Infâme !
SGANARELLE : Je vous étrillerai5.
MARTINE : Traître, insolent, trompeur, lâche, coquin, pendard, gueux, belître, fripon, maraud, voleur…6 !
SGANARELLE Il prend un bâton et lui en donne  Ah ! vous en voulez donc ?
MARTINE : Ah, ah, ah, ah !
SGANARELLE : Voilà le vrai moyen de vous apaiser.

Notes

1 Assez.
2 Qui me fait vivre dans la pauvreté.
3 Jeu de mots : « être économe » ou « vivre en vendant les objets de la maison ».
4 Il faut comprendre : « vous avez envie de recevoir des coups ? ».
5 Rosser et étriller : battre.
6 Suite de jurons.

La Double inconstance, acte I, scène première, 1723

SILVIA, TRIVELIN, et quelques femmes à la suite de Silvia1.

Marivaux Silvia paraît sortir comme fâchée.

Trivelin : Mais, Madame, écoutez-moi.
Silvia : Vous m’ennuyez.
Trivelin : Ne faut-il pas être raisonnable ?
Silvia impatiente : Non, il ne faut point l’être, et je ne le serai point.
Trivelin : Cependant…
Silvia, avec colère : Cependant, je ne veux point avoir de raison ; et quand vous recommenceriez cinquante fois votre cependant, je n’en veux point avoir : que ferez-vous là ?
Trivelin : Vous avez soupé hier si légèrement, que vous serez malade, si vous ne prenez rien ce matin.
Silvia : Et moi, je hais la santé, et je suis bien aise d’être malade. Ainsi, vous n’avez qu’à renvoyer tout ce qu’on m’apporte, car je ne veux aujourd’hui ni déjeuner, ni dîner, ni souper, demain la même chose ; je ne veux qu’être fâchée, vous haïr tous tant que vous êtes, jusqu’à tant que j’aie vu Arlequin, dont on m’a séparée. Voilà mes petites résolutions, et si vous voulez que je devienne folle, vous n’avez qu’à me prêcher2 d’être plus raisonnable, cela sera bientôt fait.
Trivelin : Ma foi, je ne m’y jouerai pas, je vois bien que vous me tiendriez parole ; si j’osais cependant…
Silvia, plus en colère : Eh bien ! ne voilà-t-il pas encore un cependant ?
Trivelin : En vérité, je vous demande pardon, celui-là m’est échappé, mais je n’en dirai plus, je me corrigerai. Je vous prierai seulement de considérer…
Silvia : Oh vous ne vous corrigez pas, voilà des considérations qui ne me conviennent point non plus.
Trivelin, continuant : Que c’est votre souverain qui vous aime.
Silvia : Je ne l’empêche pas, il est le maître : mais faut-il que je l’aime, moi ? Non, et il ne le faut pas, parce que je ne le puis pas, cela va tout seul, un enfant le verrait, et vous ne le voyez pas.
Trivelin : Songez que c’est sur vous qu’il fait tomber le choix qu’il doit faire d’une épouse entre ses sujettes.
Silvia : Qui est-ce qui lui a dit de me choisir ? M’a-t-il demandé mon avis ? S’il m’avait dit : Me voulez-vous, Silvia ? je lui aurais répondu : Non, Seigneur, il faut qu’une honnête femme aime son mari, et je ne pourrais vous aimer. Voilà la pure raison, cela : mais point du tout, il m’aime, crac, il m’enlève, sans me demander si je le trouverai bon.
Trivelin : Il ne vous enlève que pour vous donner la main.
Silvia : Eh que veut-il que je fasse de cette main, si je n’ai pas envie d’avancer la mienne pour la prendre  ? Force-t-on les gens à recevoir des présents malgré eux ?
Trivelin : Voyez, depuis deux jours que vous êtes ici, comment il vous traite ; n’êtes-vous pas déjà servie comme si vous étiez sa femme ? Voyez les honneurs qu’il vous fait rendre, le nombre de femmes qui sont à votre suite, les amusements qu’on tâche de vous procurer par ses ordres. Qu’est-ce qu’Arlequin au prix d’un Prince plein d’égards, qui ne veut pas même se montrer qu’on ne vous ait disposée à le voir ? d’un prince jeune, aimable et rempli d’amour, car vous le trouverez tel. Eh ! Madame, ouvrez les yeux, voyez votre fortune, et profitez de ses faveurs.

Notes

1 Silvia est une jeune paysanne.
2 Essayer de me convaincre.

Alfred de Musset, La Nuit vénitienne, ou les noces de Laurette, scène première, 1830

[La scène se déroule à Venise. Razetta se rend sous le balcon de Laurette, la femme dont il est épris, alors que les noces de la jeune femme viennent d’être célébrées avec le prince d’Eysenach.]

Alfred de Musset LAURETTE : Je vous en supplie, Razetta, n’élevez pas la voix ; ma gouvernante est dans la salle voisine ; on m’attend ; je ne puis que vous dire adieu.
RAZETTA : Adieu pour toujours ?
LAURETTE : Pour toujours !
RAZETTA : Je suis assez riche pour vous suivre en Allemagne.
LAURETTE : Vous ne devez pas le faire. Ne nous opposons pas, mon ami, à la volonté du ciel.
RAZETTA : La volonté du ciel écoutera celle de l’homme. Bien que j’aie perdu au jeu la moitié de mon bien, je vous répète que j’en ai assez pour vous suivre, et que j’y suis déterminé.
LAURETTE : Vous nous perdrez tous deux par cette action.
RAZETTA : La générosité n’est plus de mode sur cette terre.
LAURETTE : Je le vois ; vous êtes au désespoir.
RAZETTA : Oui ; et l’on a agi prudemment en ne m’invitant pas à votre noce.
LAURETTE : Écoutez, Razetta ; vous savez que je vous ai beaucoup aimé. Si mon tuteur y avait consenti, je serais à vous depuis longtemps. Une fille ne dépend pas d’elle ici-bas. Voyez dans quelles mains est ma destinée ; vous-même ne pouvez-vous pas me perdre par le moindre éclat ? Je me suis soumise à mon sort. Je sais qu’il peut vous paraître brillant, heureux… Adieu ! adieu ! je ne puis en dire davantage… Tenez ! voici ma croix d’or que je vous prie de garder.
RAZETTA : Jette-la dans la mer ; j’irai la rejoindre.
LAURETTE : Mon Dieu ! revenez à vous !
RAZETTA : Pour qui, depuis tant de jours et tant de nuits, ai-je rôdé comme un assassin autour de ces murailles ? Pour qui ai-je tout quitté ? Je ne parle pas de mes devoirs, je les méprise ; je ne parle pas de mon pays, de ma famille, de mes amis ; avec de l’or, on en trouve partout. Mais l’héritage de mon père, où est-il ? J’ai perdu mes épaulettes ; il n’y a donc que vous au monde à qui je tienne. Non, non, celui qui a mis sa vie entière sur un coup de dé, ne doit pas si vite abandonner la chance.
LAURETTE : Mais que voulez-vous de moi ?
RAZETTA : Je veux que vous veniez avec moi à Gênes.
LAURETTE : Comment le pourrais-je ? Ignorez-vous que celle à qui vous parlez ne s’appartient plus ? Hélas ! Razetta, je suis princesse d’Eysenach.
RAZETTA : Ah ! rusée Vénitienne, ce mot n’a pu passer sur tes lèvres sans leur arracher un sourire.
LAURETTE : Il faut que je me retire… Adieu, adieu, mon ami.
RAZETTA : Tu me quittes ? — Prends-y garde ; je n’ai pas été jusqu’à présent de ceux que la colère rend faibles. J’irai te demander à ton second père l’épée à la main.

Vous répondrez à la question suivante (4 points) : comment les dramaturges expriment-ils le conflit entre les personnages dans les textes du corpus ?

Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Introduction :

Par essence, les pièces de théâtre se jouent dans un espace-temps contraint par la scène et la durée de la représentation. De ce fait, pour animer leurs intrigues, les auteurs dramatiques recourent à la force d’impulsion des conflits. Les textes proposés, Le Médecin malgré lui de Molière, La Double inconstance de Marivaux et La Nuit vénitienne, ou les noces de Laurette de Musset accentuent ce phénomène en insérant, dès la scène d’exposition, des tensions liées à des situations amoureuses compliquées. Comment les ont-ils donc exprimées ?

Développement :

Il convient préalablement de noter que tous ces textes proviennent de comédies mais les situations de départ et leur tonalité sont très différentes :

  • Molière écrit une scène de ménage entre époux en utilisant les procédés de la farce qui se signalent par la grossièreté, la trivialité, la tromperie et les coups de bâton.
  • À l’inverse, Marivaux nous présente une atmosphère feutrée et raffinée où une jeune femme en colère refuse tout compromis parce qu’elle a été privée de sa liberté.
  • Musset nous fait assister à la rupture entre amants parce que l’homme a négligé son amour au profit de ses addictions, et que la jeune femme s’est laissée séduire par la sécurité d’une position sociale. Il s’inscrit dans une comédie qui annonce le drame romantique par son mélange des genres. En effet le spectateur, confronté à l’inconstance et l’irresponsabilité des personnages, perçoit aussi un fond tragique possible derrière les emphases de la jeunesse.

Toutes ces scènes présentent un affrontement entre des volontés opposées. Ainsi se crée un rapport de forces où chacun tente de se défendre puis de prendre l’ascendant sur son adversaire pour inverser une position de faiblesse initiale.

Les personnages développent des stratégies assez semblables dans leur déroulement même si leur expression diverge dans la forme. Tous se trouvent à devoir gérer une situation d’époux en titre ou en devenir. Se pose à eux le difficile accord des volontés dans le couple. Dans le schéma traditionnel d’alors, c’est l’homme qui dirige. « Du côté de la barbe est la toute-puissance » écrivait Molière dans L’École des femmes.
Sganarelle, installé dans son rôle de chef de famille, ne prend pas au sérieux les reproches de sa femme Martine. Pour se faire entendre, cette dernière doit élever le ton jusqu’à l’insulte. Le mari, d’abord condescendant, cherche à se justifier, puis incapable d’endiguer le flot des remontrances, irrité par les brocards frappe son conjoint. Il manifeste ainsi sa faiblesse par ce recours à la force brutale car il n’a pas su faire valoir ses raisons.
Silvia souffre elle aussi de la violence du prince qui l’a enlevée. Face à Trivelin, l’intermédiaire qui veut l’amadouer, elle se réfugie d’abord dans un refus catégorique, puis compense la faiblesse de sa position de captive par le chantage affectif de la grève de la faim. Enfin elle fait valoir ses droits en forme de reproches indignés pour mieux souligner les exactions honteuses du « maître ». La petite paysanne doit alors résister aux mirages de la position sociale.
Laurette n’est pas plus respectée dans ses choix que ses consœurs. Elle aussi doit affronter le désir encombrant de Razetta qui empiète sur son intimité. Fine mouche, elle présente d’abord des objections morales et religieuses, elle cherche à apitoyer. Elle fait discrètement remarquer à son ancien amant qu’il s’est déconsidéré lui-même en dilapidant sa fortune. Enfin elle tente de réveiller chez lui l’honneur et le respect. Pour l’essentiel, sa stratégie est dans la fuite. Le joueur invétéré reproche alors de manière inconséquente à la jeune femme de n’avoir pas su apprécier le siège amoureux qu’il lui a imposé. Il laisse transparaître la violence qui l’habite dans de folles menaces.

Conclusion :

Ainsi, ces trois textes dénoncent le manque de respect à l’égard des femmes. Les hommes veulent y imposer leur choix au besoin par la force, et si les femmes, d’aventure, leur adressent des reproches, ils veulent les circonvenir par l’attrait de la fortune ou se laissent aller à l’usage de la force brutale.
Techniquement, posé dès la scène d’exposition, le conflit résultant permet à l’auteur, par son traitement original, de captiver le spectateur et de répondre à ses attentes quant au thème de la pièce, au caractère des personnages et au registre littéraire. Une telle entrée en matière joue le même rôle que l’incipit in media res dans le roman.

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