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Apollinaire, « Signe »

Guillaume Apollinaire, Alcools

« Signe »

Tina Malet, Automne

Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne
Partant j’aime les fruits je déteste les fleurs
Je regrette chacun des baisers que je donne
Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs

Mon Automne éternelle ô ma saison mentale
Les mains des amantes d’antan jonchent ton sol
Une épouse me suit c’est mon ombre fatale
Les colombes ce soir prennent leur dernier vol

Un commentaire rédigé par Tina Malet.

La saison d’automne, topos de la poésie, se prête aux méditations les plus nostalgiques propres à ce genre littéraire, avec la récurrence de nombreux thèmes comme l’écoulement du temps et la mort des amours évoquée d’une manière souvent concrète : les fleurs se fanent, les fruits tombent, les feuilles chutent, le vent souffle et les nuages obscurcissent les cieux. La nature comme arrière-plan est caractéristique d’Apollinaire ; elle est pour lui « une source pure à laquelle on peut boire sans crainte de s’empoisonner ».
Comment Apollinaire s’approprie-t-il ce thème automnal, qui fait l’objet d’une petite dizaine de poèmes répartis tout au long de son recueil Alcools (1913) ?
C’est le court poème « Signe », – deux quatrains et alexandrins -, qui nous informe le plus précisément sur son intérêt pour l’automne, un indice en quelque sorte, qui renvoie à une signification plus générale, se déclinant au long de ses autres pièces consacrées à cette saison. Notons par ailleurs que ce poème semble se cacher au milieu des autres consacrés à l’automne et figure dans la dernière partie du recueil1.

L’une des dénotations du terme « Signe » est d’ordre astrologique : le poète est né un 25 août, au tout début du Signe de la Vierge, saison des récoltes, à l’orée de l’automne donc – et mourra en novembre, au mitan de la saison, prémonition ?
Le premier vers donne le ton : « Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne », écrit-il. Notons l’emploi des majuscules qui donnent de l’importance à ces termes. Quel est ce « Chef » ? Mercure gouverne la Vierge, Vénus la Balance, et Pluton le Scorpion. Aucun ne semble convenir2, et rien ne nous dit qu’Apollinaire soit féru d’astrologie, à part le mot « signe » : peut-être a-t-il conscience que chacun est « soumis » à un Maître, un « Gouverneur » dit-il. On distingue ici une acceptation du fatum.

Le poète déteste en effet le printemps et ses « fleurs », regrette ses « baisers » et leur préfère « les fruits » qui naissent en automne, comme les noix, n’ignorant pas toutefois les « douleurs » des arbres qui perdent leurs fruits dans le vent, le « noyer gaulé » étant la personnification du poète souffrant, dont les « baisers » donnés se sont perdus. Il assimile ces douleurs de la nature aux siennes, nées de la fin des amours, notion développée dans la deuxième strophe.
Notons ici les rimes croisées en |onne| et |eurs| qui traduisent le désaveu, un son assourdi et sombre s’opposant à une sonorité plus gaie et légère. Par ailleurs, le verbe « donne », à la connotation plutôt méliorative, contredit « l’automne » mélancolique ; il en est de même pour « fleurs », qu’il « déteste », rimant avec « douleurs », affirmation logique de sa vision paradoxale et quelque peu contradictoire.

La deuxième strophe commence par une adresse directe quoique respectueuse à l’automne – notons la majuscule – suivie de l’interjection « ô » laissée en minuscule mais qui traduit l’expression d’un sentiment intense ; remarquons également les trois adjectifs possessifs, « mon », « ma » et « ton » plus loin, où l’on peut deviner une familiarité quelque peu possessive. Quant à l’automne, le voilà féminisée avec l’adjectif « éternelle », s’accordant ainsi avec le genre de « saison », sa « saison mentale » qui dure toute l’année et qui s’accorde avec son tempérament mélancolique.
Nous en avons l’explication au vers suivant, qui précise le deuxième vers de la première strophe avec la métaphore des « mains » féminines comparées à des feuilles « qui jonchent le sol », symbole des amours mortes.
Surgit alors étrangement la présence d’une épouse maléfique, une « ombre fatale » qui signe pour lui la fin de l’espoir amoureux, tel les colombes qui s’envolent.
On peut percevoir des rimes suffisantes, « mentale » et « fatale », devenant des rimes riches à l’oreille, qui insistent sur le poids de son humeur sombre et sur celui de cette femme funeste, impression qui s’accentue avec la reprise de la tonalité assourdi de |on| – « jonchent », « ombre », « colombes ».
Ces rimes finales qui s’étirent contrastent avec la brièveté alternée de « sol » et « vol », deux notions opposées qui traduisent la certitude de la mort des amours mais aussi celle de l’espoir à jamais enfui.

L’absence totale de ponctuation est caractéristique des poèmes composant le recueil où s’exprime le « je » lyrique. Il semblerait qu’ici, le poète, envahi par la mélancolie qui l’oppresse, cherche à s’en libérer en exprimant d’un seul élan ses sombres pensées. Mais on ne peut que relever son échec. En effet, dans cet écoulement ininterrompu des mots, on pressent une complaisance pour cette triste saison, métaphore d’un cœur souffrant et des amours mortes.


Notes

1 Alcools, Éditions Gallimard, 1944.
2 Pluton ne fut découvert que dans les années trente. Vénus gouverne l’amour et Mercure le mental.

Tina Malet
Poèmes du recueil Alcools sur le même thème
  • « Les Colchiques »
  • « L’Adieu »
  • « Automne »
  • « Rhénane d’automne »
  • « Automne malade »
  • « Vendémiaire »
  • « Cors de chasse »
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