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Pour connaître la nature humaine, peut-on se contenter de portraits physiques ?

Bac de français 2023

Baccalauréat technologique

Corrigé de l’essai

Pour connaître la nature humaine, peut-on se contenter de portraits physiques ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question en prenant appui sur le chapitre « De l’Homme » des Caractères de La Bruyère, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Proposition de corrigé (rédigée par Jean-Luc)

Introduction

La nature humaine est un sujet fascinant parce que l’homme a toujours cherché à comprendre qui il est et quelle est sa place dans le monde. Aristote définit la nature humaine par ces propos célèbres : « l’homme est un animal politique ». Ces deux caractéristiques de la nature humaine, l’appartenance au monde animal et le développement au sein d’un groupe, n’ont pu que conduire les humains à interpréter les signes extérieurs et l’attitude des individus rencontrés. En effet, pour entrer en communication avec autrui, il nous est nécessaire de le caractériser afin d’adapter notre comportement à son égard.
Pour connaître la nature humaine, peut-on alors se contenter de portraits physiques ?
Si les portraits physiques peuvent donner une première impression, ils présentent cependant des risques. C’est pourquoi il vaut mieux s’attacher à l’examen des comportements.

Développement

Qu’est-ce qu’un portrait physique littéraire ? Est-il révélateur de la personne ?
Définition

Le portrait littéraire, pictural ou sculptural est une représentation détaillée et descriptive d’une personne, que ce soit au moyen de mots pour la littérature ou de traits et de couleurs ou de formes matérielles pour l’œuvre d’art visuelle. Il vise à capturer les traits physiques, les caractéristiques psychologiques, les émotions et la personnalité de la personne représentée.
Nous aborderons seulement le portrait littéraire. Sa caractéristique est d’évoquer, grâce aux ressources du langage, le projet artistique de l’écrivain. Il est travaillé. Voulant dépasser la fugacité de l’instant, il recherche l’essence de la personne sous ses apparences temporelles, il est un condensé de sa vie. De plus, il peut parfois être un témoignage historique ou sociologique. Il procède souvent par la simplification et la transformation de la réalité. Son objectif est, la plupart du temps, d’immortaliser un état de la vie à son apogée. Il peut au contraire vouloir, par la satire, laisser l’image détestable d’un adversaire. Dans tous les cas, il nous livre la vision subjective de son auteur, une interprétation de ce qui a été perçu au travers de l’apparence physique.

La tentation physiognomoniste

Partant du principe que nos modes de vie laissent des traces sur notre physique, la physiognomonie a voulu, à partir des caractéristiques du visage et du corps, déterminer la personnalité, les prédispositions naturelles et morales d’une personne. Au XVIIe siècle, Charles Le Brun, peintre de Louis XIV, a cherché à différencier les faces humaines et animales. Il a connu la réussite dans ses études sur l’expression émotionnelle parce qu’au même moment, s’est développée la pathognomonie, ou étude des « passions de l’âme ». À la fin du XVIIIe siècle, la physiognomonie a regagné de l’intérêt avec l’essai de Lavater. L’auteur croyait en la correspondance entre vie intérieure et aspect physique, particulièrement dans les traits du visage. Il invite donc à observer, interpréter, classer.
Il est vrai que nos visages et notre corps peuvent donner des informations sur notre vie intérieure. Le diagnostic médical relèvera un teint bilieux, une peau couperosée… L’observateur se méfiera d’un regard fuyant, de la raideur d’un port de tête… La communication non verbale (gestes, attitudes, regards, rougeurs, larmes, rires…) est parfois plus significative que les propos tenus.
Toute la question est de déterminer si ces traces sont circonstancielles ou essentielles. Peut-on s’assurer que l’on connaît intimement la personne simplement à partir de ce que l’on voit ?

Le portrait physique présente des risques d’erreur évidents.

L’observation extérieure est datée, or notre caractère évolue. Nos traits sont modifiés par bien des causes physiques ou morales. Il est donc difficile de déduire une essence de la personne à partir d’un simple instantané. D’ailleurs le portrait littéraire entend transcender le temps en se focalisant sur un moment particulier, en général celui où la personnalité du modèle est accomplie, en bien ou en mal. Il reconnaît donc implicitement ses limites.
De plus les apparences peuvent être trompeuses. Notons d’abord les stéréotypes et les préjugés. Dans la réalité, la physiognomonie a pu conduire au racisme1. La littérature a dénoncé ces travers en peignant des « monstres » au faciès inquiétant, voire hideux, qui peuvent cacher une belle âme, comme chez les Quasimodo, Gwynplaine de Hugo. Au contraire la beauté de la « Morte amoureuse » de Gautier ou celle du Dorian Gray de Wilde dissimulent une réalité satanique.
Le portrait peut être affecté par les masques sociaux et les comportements attendus. Par exemple, La Bruyère dénonce, dans le chapitre intitulé « De la Cour », la vacuité et l’hypocrisie des courtisans qui prétendent à une civilité raffinée. Les moralistes du Grand Siècle n’ont pas cessé de traquer les vices derrière les apparences. La Rochefoucauld a retrouvé partout enfoui, même sous des apparences nobles ou altruistes, l’amour-propre.
Enfin, c’est le portraitiste lui-même qui peut forcer le trait à des fins polémiques ou didactiques. On parle alors de caricature. Les Fables de La Fontaine ou Les Caractères de La Bruyère regorgent de ces figures simplifiées à l’extrême, réduites à un trait de caractère. Balzac a cultivé cette typicisation de manière plus nuancée avec certains de ses personnages comme le père Grandet, avare retors et malhonnête, ou ses dandys arrivistes, Rastignac ou de Marsay.
Finalement, ce qui est en cause est l’absence de profondeur et de contexte. Ces croquis font l’impasse sur la complexité des émotions et des pensées. Les personnes deviennent des automates prévisibles, ce qui contribue puissamment à les rendre ridicules, comme le voulait la devise classique castigat ridendo mores (elle corrige les mœurs en faisant rire), et l’a démontré Bergson dans son essai sur Le Rire.

Regarder agir

Par suite des insuffisances notoires du portrait statique, les moralistes ou les écrivains soucieux de vraisemblance ont préféré le portrait en mouvement. Il ne s’agit plus de lire les traits de caractère et la personnalité dans la forme du visage, ses éléments constitutifs, nez, lèvres, yeux, oreilles, ni dans les proportions corporelles. Il convient de regarder comment la personne se comporte, d’écouter ses propos.
L’exemple de Gnathon est significatif. La Bruyère ne s’attache nullement à ses caractéristiques physiques. Elles n’interviennent que pour renforcer le trait. Le nom du personnage nous invite à considérer sa mâchoire qui broie les aliments. Ses mains déchirent les viandes, sa barbe dégouline de sauce. C’est entendu, Gnathon est un glouton malappris. La subtilité du moraliste est de faire évoluer la voracité en égoïsme forcené. La Bruyère multiplie les actions qui, toutes, reviennent vers le personnage. Gnathon monopolise tout, absorbe tout, sacrifie tout à sa propre personne au point d’en devenir odieux. Le portrait de Ménalque, tout en mouvements, est une suite d’aventures extravagantes dans lesquelles le distrait se perd à loisir. Derrière la satire de ce personnage lunaire se profile la dénonciation d’une aristocratie désœuvrée qui accumule des activités inconsistantes. Comme rien n’est important, Ménalque ne fait attention à rien. Le portrait en mouvement nous invite à aller au-delà des apparences. Les premières impressions ont besoin d’être raffinées pour parvenir à l’essence du personnage. Un vice en cache un autre. Derrière une façade comique et grotesque, ces portraits expriment avec subtilité un pessimisme foncier.

Conclusion

Finalement, bien que les portraits littéraires physiques puissent donner une première impression, ils sont insuffisants pour connaître la nature humaine dans toute sa complexité. La physiognomonie a tenté de manière empirique d’établir des correspondances entre apparence physique et caractérologie. Ces rapprochements simplificateurs ont paru séduisants en donnant l’illusion de pouvoir deviner les personnes depuis l’extérieur. Le bon sens montre que cette tentative est vouée à l’échec parce que notre physique évolue sans cesse sous l’effet de l’âge, des expériences, des contraintes sociales et culturelles. De plus les apparences sont souvent trompeuses. L’influence du groupe impose également des stéréotypes et des préjugés tenaces, des masques et des comportements attendus. Enfin, le portraitiste lui-même peut déformer la réalité en surinterprétant ce qu’il voit. C’est pourquoi les progrès de la science, de la psychologie et de la médecine ont fait renoncer à cette démarche pseudo-intellectuelle.
Ce qui reste acceptable, c’est le portrait en mouvement. Observer la personne qui agit, qui s’exprime est bien plus révélateur de son monde intérieur, tant il est vrai qu’une bonne partie de nos mimiques et de nos gestes ne peut être contrôlée consciemment. Les moralistes du Grand Siècle ont revendiqué cette approche pour dénoncer avec force les vices de leur époque. Recourant à la simplification caricaturale et en accumulant les traits satiriques, ils ont exprimé leur pessimisme foncier devant la nature de l’homme pécheur.

Note

1 Ce phénomène est toujours d’actualité dans les stades. On pourrait citer aussi les dérives eugénistes à l’encontre du mongolisme.

Voir aussi