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Sujet du bac de français 2019

Polynésie, série L

Objet d’étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours.

Corpus :

  • Texte A : Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, deuxième partie, IV, III, 1866.
  • Texte B : Pierre Loti, Pêcheur d’Islande, deuxième partie, 1886.
  • Texte C : Jean Giono, Colline, 1929.
  • Texte D : Laurent Gaudé, Ouragan, 2010.

Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, deuxième partie, IV, III, 1866

Le personnage principal de ce roman est Gilliatt, un pêcheur de l’île de Guernesey.

Victor Hugo Il n’avait jamais vu de pieuvre de cette dimension. Du premier coup, il se trouvait pris par la grande espèce. Un autre se fût troublé.
Pour la pieuvre comme pour le taureau il y a un moment qu’il faut saisir ; c’est l’instant où le taureau baisse le cou, c’est l’instant où la pieuvre avance la tête ; instant rapide. Qui manque ce joint est perdu.
Tout ce que nous venons de dire n’avait duré que quelques minutes. Gilliatt pourtant sentait croître la succion des deux cent cinquante ventouses.
La pieuvre est traître. Elle tâche de stupéfier d’abord sa proie. Elle saisit, puis attend le plus qu’elle peut.
Gilliatt tenait son couteau. Les succions augmentaient.
Il regardait la pieuvre, qui le regardait.
Tout à coup la bête détacha du rocher sa sixième antenne, et, la lançant sur Gilliatt, tâcha de lui saisir le bras gauche.
En même temps elle avança vivement la tête. Une seconde de plus, sa bouche-anus s’appliquait sur la poitrine de Gilliatt. Gilliatt, saigné au flanc, et les deux bras garrottés, était mort.
Mais Gilliatt veillait. Guetté, il guettait.
Il évita l’antenne, et, au moment où la bête allait mordre sa poitrine, son poing armé s’abattit sur la bête.
Il y eut deux convulsions en sens inverse, celle de la pieuvre et celle de Gilliatt.
Ce fut comme la lutte de deux éclairs.
Gilliatt plongea la pointe de son couteau dans la viscosité plate, et, d’un mouvement giratoire pareil à la torsion d’un coup de fouet, faisant un cercle autour des deux yeux, il arracha la tête comme on arrache une dent.
Ce fut fini.

Pierre Loti, Pêcheur d’Islande, deuxième partie, 1886

Yann et Sylvestre, les deux personnages mis en scène dans cet extrait, sont deux pêcheurs bretons qui pêchent la morue dans les eaux de l’Atlantique Nord, au large de l’Islande.

Une clameur géante sortait des choses comme un prélude d’apocalypse jetant l’effroi des fins de monde. Et on y distinguait des milliers de voix : d’en haut, il en venait de sifflantes ou de profondes, qui semblaient presque lointaines à force d’être immenses : cela, c’était le vent, la grande âme de ce désordre, la puissance invisible menant tout. Il faisait peur, mais il y avait d’autres bruits, plus rapprochés, plus matériels, plus menaçants de détruire, que rendait l’eau tourmentée, grésillant comme sur des braises…
Toujours cela grossissait.
Et, malgré leur allure de fuite, la mer commençait à les couvrir, à les manger, comme ils disaient : d’abord des embruns fouettant de l’arrière, puis de l’eau à paquets, lancée avec une force à tout briser. Les lames se faisaient toujours plus hautes, plus follement hautes, et pourtant elles étaient déchiquetées à mesure, on en voyait de grands lambeaux verdâtres, qui étaient de l’eau retombante que le vent jetait partout. Il en tombait de lourdes masses sur le pont, avec un bruit claquant et alors la Marie1 vibrait tout entière comme de douleur. Maintenant on ne distinguait plus rien, à cause de toute cette bave blanche, éparpillée ; quand les rafales gémissaient plus fort, on la voyait courir en tourbillons plus épais — comme, en été, la poussière des routes.
Une grosse pluie, qui était venue, passait aussi tout en biais, horizontale, et ces choses ensemble sifflaient, cinglaient, blessaient comme des lanières.
Ils restaient tous les deux à la barre, attachés et se tenant ferme, vêtus de leurs cirages2, qui étaient durs et luisants comme des peaux de requins ; ils les avaient bien serrés au cou, par des ficelles goudronnées, bien serrés aux poignets et aux chevilles pour ne pas laisser d’eau passer, et tout ruisselait sur eux, qui enflaient le dos quand cela tombait plus dru, en s’arc-boutant bien pour ne pas être renversés. La peau des joues leur cuisait et ils avaient la respiration à toute minute coupée. Après chaque grande masse d’eau tombée, ils se regardaient — en souriant, à cause de tout ce sel amassé dans leur barbe.

Notes

1 La Marie est le nom du bateau.
2 Cirage : autre nom du ciré.

Jean Giono, Colline, 1929

Les habitants d’un village reculé de Provence, dont Jaume et Maurras, deux paysans, luttent contre un incendie.

Jean Giono Ça sent bougrement le brûlé ; on entend craquer et éclater des pignes1. Ça brûlerait par là devant alors ?
Coup sur coup deux gros lièvres durs comme des rocs dévalent dans les jambes de Jaume ; puis on les entend crier en bas quand ils arrivent sur le bord tranchant de la flamme.
Maurras est seul sur la colline. Seul à côté d’un grand pin robuste et luisant.
L’arbre ébouriffe son épais plumage vert et chante. Le tronc s’est plié dans le lit habituel du vent, puis, d’un effort, il a dressé ses bras rouges, il a lancé dans le ciel son beau feuillage et il est resté là. Il chante tout mystérieusement à voix basse.
Maurras a regardé le pin, puis la fumée qui sourd des buissons, en bas. Ça s’est fait sans réflexion, d’instinct ; il s’est dit :
– Pas celui-là. Celui-là, elle ne l’aura pas.
Et il a commencé à tailler autour.
D’un seul coup, la terre s’est enragée. Les buissons se sont défendus un moment en jurant, puis la flamme s’est dressée sur eux, et elle les a écrasés sous ses pieds bleus. Elle a dansé en criant de joie ; mais, en dansant, la rusée, elle est allée à petits pas jusqu’aux genévriers, là-bas, qui ne se sont pas seulement défendus. En moins de rien ils ont été couchés, et ils criaient encore, qu’elle, en terrain plat et libre, bondissait à travers l’herbe.
Et ce n’est plus la danseuse. Elle est nue ; ses muscles roux se tordent ; sa grande haleine creuse un trou brûlant dans le ciel. Sous ses pieds on entend craquer les os de la garrigue.
Maurras frappe de droite et de gauche, et devant et derrière, puis il saute et il revient.
Soudain, ils sont face à face, Maurras et la flamme. Ils sont là, à danser l’un en face de l’autre, ils se bousculent, reculent, se ruent, se déchirent, jurent…
– Saloperie de capon de pas dieu…
Et du coin de l’œil, Maurras regarde le beau pin.
Mais, c’est de ruse qu’elle lutte.
Fléchissant les jarrets2, la flamme saute comme si elle voulait quitter la terre pour toujours ; à travers son corps aminci on peut voir toute la colline brûlée, et, déjà, elle est dans le pin qu’elle étripe.
– Chameau, gueule Maurras, et il saute en arrière dans la fumée.
Le sol descend sous ses pieds ; il dévale à toutes jambes. Une plaque brûlante couvre d’un coup son échine3 : le mufle4 de l’incendie souffle après lui ; la flamme dépasse la crête. À sa gauche la fumée est dense et immobile comme une pierre ronde. Une ombre bondit qui tousse et crache. Deux jurons.
– Jaume, c’est toi ?
– Hé, ça brûle donc, là-haut ?
– Tout. Dépêchons. Y a plus que le trou de Bournes5 de clair.

Notes

1 Pigne : pomme de pin.
2 Jarret : partie postérieure du genou.
3 Échine : partie du dos comprise entre le cou et la croupe de l’homme et de certains animaux.
4 Mufle : extrémité du museau de certains mammifères, notamment des ruminants et des carnivores.
5 Le trou de Bournes est un lieu-dit à proximité du village.

Laurent Gaudé, Ouragan, 2010

L’action de ce récit se déroule lors de l’ouragan Katrina, qui dévasta le sud des États-Unis en 2005. Le récit met en scène plusieurs personnages qui affrontent en même temps le déchaînement des éléments. Dans cet extrait, nous suivons un homme qui est entré dans la ville de la Nouvelle-Orléans alors que tous les autres fuient. Il vient rejoindre Rose, une femme qu’il aime et qu’il regrette d’avoir quittée pour travailler sur une plateforme en mer.

Il frappe à nouveau, de plus en plus fort. Quelque chose a lâché en lui. Il tape sur la porte, sur le mur, il longe la façade et tape contre les carreaux. Cela lui fait du bien. Il frappe pour toutes ces années d’oubli et d’épuisement, c’est comme s’il se battait contre le vent, comme s’il rendait les coups que lui avait portés la plate-forme, il frappe de toutes ses forces mais le vacarme de l’ouragan couvre tout et il lui semble que l’eau, le ciel et les bourrasques conspirent à étouffer le martèlement de ses poings. Elle l’entend, elle, pourtant, et se prend à avoir peur, quelqu’un est là, dehors, qui accroît la tempête, elle ne peut plus faire comme si cela n’existait pas, elle ne peut plus juste baisser la tête et serrer contre elle son fils raté d’amour, quelqu’un est là qui a entrepris de casser la maison, elle entend les coups sourds comme s’il donnait des coups de pied dans les murs et voulait défoncer les parois, alors elle se lève, elle a peur, elle fait signe à l’enfant de ne pas bouger, elle veut voir dans la nuit mais elle ne distingue, à travers la fenêtre, que les trombes d’eau qui s’écrasent sur l’avenue. Le vent, dehors, fait dégringoler des pots de fleurs, des vêtements, des poubelles, tout vole et se casse, et il ne peut plus s’arrêter, il a cru apercevoir une silhouette à travers la fenêtre, il n’en est pas certain mais il lui semble bien, il se passe la main sur le front mais il n’a rien pour essuyer l’eau qui lui ruisselle des cheveux et le force à cligner des yeux, il lui semble bien avoir vu une silhouette alors il crie, il se met à crier plus fort que le vent, « Rose », il n’y a plus que cela autour de lui, la fureur du vent, les paquets d’eau et son corps arc-bouté qui a encore la force de crier, « Rose », il pourrait rire à cet instant, c’est comme s’il se mesurait au vent. Elle entend son nom, « Rose », là, au cœur de la nuit, elle vacille, c’est comme si l’ouragan lui-même l’appelait, comme s’il connaissait son nom, alors elle se dirige vers la porte de la cuisine, « Rose », il continue à frapper mais c’est à la voix qu’elle répond, pas aux coups, c’est à ces cris venus du profond des choses, elle n’hésite plus, elle ouvre, tout est noir dehors et lui saute au visage, un homme est là qu’elle ne reconnaît pas encore, elle est presque déçue qu’il ne s’agisse que de cela, un homme, quand elle s’attendait à voir la nuit elle-même.

Vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Quelles relations les personnages entretiennent-ils avec la nature environnante ?

Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire

Vous commenterez le texte de Giono (Texte C).

Dissertation

Un personnage romanesque doit-il nécessairement affronter des épreuves ?
Vous répondrez à cette question en un développement structuré, en vous appuyant sur les textes du corpus et sur ceux étudiés pendant l’année. Vous pourrez aussi faire appel à vos connaissances et lectures personnelles.

Écriture d’invention

En conservant la tonalité épique du texte de Loti, poursuivez le récit pour proposer un dénouement.
Votre texte comportera au moins soixante lignes.

Voir aussi :