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Bac français 2019, séries technologiques – Corrigé des questions

Bac français 2019

Corrigé des questions (séries technologiques)

Objet d’étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours

Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, partie I, chapitre 5, 1869.

Frédéric Moreau, jeune provincial plein de rêves et d’ambition, monte à Paris pour y faire ses études. Après un échec à un examen, il reste l’été 1841 dans la capitale et se promène dans les rues.

Flaubert Il remontait, au hasard, le quartier latin1, si tumultueux d’habitude, mais désert à cette époque, car les étudiants étaient partis dans leurs familles. Les grands murs des collèges, comme allongés par le silence, avaient un aspect plus morne encore ; on entendait toutes sortes de bruits paisibles, des battements d’ailes dans des cages, le ronflement d’un tour, le marteau d’un savetier2 ; et les marchands d’habits, au milieu des rues, interrogeaient de l’œil chaque fenêtre, inutilement. Au fond des cafés solitaires, la dame du comptoir bâillait entre ses carafons remplis ; les journaux demeuraient en ordre sur la table des cabinets de lecture ; dans l’atelier des repasseuses, des linges frissonnaient sous les bouffées du vent tiède. De temps à autre, il s’arrêtait à l’étalage d’un bouquiniste ; un omnibus3, qui descendait en frôlant le trottoir, le faisait se retourner ; et, parvenu devant le Luxembourg4, il n’allait pas plus loin.
Quelquefois, l’espoir d’une distraction l’attirait vers les boulevards. Après de sombres ruelles exhalant5 des fraîcheurs humides, il arrivait sur de grandes places désertes, éblouissantes de lumière, et où les monuments dessinaient au bord du pavé des dentelures d’ombre noire. Mais les charrettes, les boutiques recommençaient, et la foule l’étourdissait, — le dimanche surtout, — quand, depuis la Bastille jusqu’à la Madeleine, c’était un immense flot ondulant sur l’asphalte6, au milieu de la poussière, dans une rumeur continue ; il se sentait tout écœuré par la bassesse des figures, la niaiserie des propos, la satisfaction imbécile transpirant sur les fronts en sueur ! Cependant, la conscience de mieux valoir que ces hommes atténuait la fatigue de les regarder.

Notes

1 Quartier latin : quartier des étudiants à Paris.
2 Le ronflement d’un tour, le marteau d’un savetier : le tour est la machine utilisée par les potiers ; le savetier est un cordonnier.
3 Omnibus : véhicule de transport public tiré par des chevaux.
4 Luxembourg : jardin du Luxembourg.
5 Exhalant : laissant échapper.
6 Asphalte : mélange à base de bitume qui recouvre les routes.

Émile Zola, Le Ventre de Paris, chapitre 1, 1873.

Ce roman de Zola a pour décor le quartier des Halles, au cœur de Paris, où se trouvait au XIXe siècle un immense marché couvert. Dans cet extrait, le personnage, Florent, le parcourt depuis plusieurs heures.

Émile Zola Il leva une dernière fois les yeux, il regarda les Halles. Elles flambaient dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au fond, trouant la masse des pavillons d’un portique de lumière ; et, battant la nappe des toitures, une pluie ardente tombait. L’énorme charpente de fonte se noyait, bleuissait, n’était plus qu’un profil sombre sur les flammes d’incendie du levant. En haut, une vitre s’allumait, une goutte de clarté roulait jusqu’aux gouttières, le long de la pente des larges plaques de zinc1. Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d’or volante. Le réveil avait grandi, du ronflement des maraîchers2, couchés sous leurs limousines3, au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses grilles ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les voix donnaient, et l’on eût dit l’épanouissement magistral de cette phrase que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait se traîner et se grossir dans l’ombre. À droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée4 mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule. C’était la marée, c’étaient les beurres, c’était la volaille, c’était la viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrière elles le murmure des marchés qui s’ouvraient. Autour de lui, le soleil enflammait les légumes. Il ne reconnaissait plus l’aquarelle tendre des pâleurs de l’aube. Les cœurs élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes, les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents, dans ce brasier triomphal. À sa gauche, de nombreux tombereaux5 de choux s’éboulaient encore. Il tourna les yeux, il vit, au loin, des camions qui débouchaient toujours de la rue Turbigo. La mer continuait à monter. Il l’avait sentie à ses chevilles, puis à son ventre ; elle menaçait, à cette heure, de passer par-dessus sa tête. Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l’estomac écrasé par tout ce qu’il avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il demanda grâce, et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim, dans Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des Halles. De grosses larmes chaudes jaillirent de ses yeux.

Notes

1 Zinc : métal d’un blanc bleuâtre dont on fait des plaques pour recouvrir les toits.
2 Maraîchers : producteurs de légumes.
3 Limousines : manteaux faits en poils de chèvre ou en laine.
4 Criée : annonce publique des marchandises à vendre et de leurs prix.
5 Tombereau : grande charrette utilisée pour le transport de marchandises.

Louis Aragon, Aurélien, chapitre 8, 1944.

Dans les années 20, Bérénice, jeune provinciale qui séjourne chez ses cousins parisiens Blanchette et Edmond, aime à se promener seule dans Paris.

Louis Aragon Bérénice savourait sa solitude. Pour la première fois de sa vie elle était maîtresse d’elle-même. Ni Blanchette ni Edmond ne songeaient à la retenir. Elle n’avait pas même l’obligation de téléphoner pour dire qu’elle ne rentrait pas déjeuner quand l’envie lui prenait de poursuivre sa promenade. Oh, le joli hiver de Paris, sa boue, sa saleté et brusquement son soleil ! jusqu’à la pluie fine qui lui plaisait ici. Quand elle se faisait trop perçante, il y avait les grands magasins, les musées, les cafés, le métro. Tout est facile à Paris. Rien n’y est jamais pareil à soi-même. Il y a des rues, des boulevards, où l’on s’amuse autant à passer la centième fois que la première. Et puis ne pas être à la merci du mauvais temps…
Par exemple l’Étoile1… Marcher autour de l’Étoile, prendre une avenue au hasard, et se trouver sans avoir vraiment choisi dans un monde absolument différent de celui où s’enfonce l’avenue suivante… C’était vraiment comme broder, ces promenades-là… Seulement quand on brode, on suit un dessin tout fait, connu, une fleur, un oiseau. Ici on ne pouvait jamais savoir d’avance si ce serait le paradis rêveur de l’avenue Friedland ou le grouillement voyou de l’avenue de Wagram ou cette campagne en dentelles de l’avenue du Bois. L’Étoile domine des mondes différents, comme des êtres vivants. Des mondes où s’enfoncent ses bras de lumière. Il y a la province de l’avenue Carnot et la majesté commerçante des Champs-Elysées. Il y a l’avenue Victor Hugo… Bérénice aimait, d’une de ces avenues, dont elle oubliait toujours l’ordre de succession, se jeter dans une rue traversière et gagner l’avenue suivante, comme elle aurait quitté une reine pour une fille, un roman de chevalerie pour un conte de Maupassant. Chemins vivants qui menaient ainsi d’un domaine à l’autre de l’imagination, il plaisait à Bérénice que ces rues fussent aussi bien des morceaux d’une étrange et subite province ou les venelles2 vides dont les balcons semblent avoir pour grille des dessins compliqués des actions et obligations de leurs locataires, ou l’équivoque lacis3 des hôtels et garnis4, des bistrots, des femmes furtives, qui fait à deux pas des quartiers riches passer le frisson crapuleux des fils de famille et d’un peuple perverti. Brusquement la ville s’ouvrait sur une perspective, et Bérénice sortait de cet univers qui l’effrayait et l’attirait, pour voir au loin l’Arc de triomphe, et vers lui la tracée des arbres au pied proprement pris dans une grille. Que c’est beau, Paris !

Notes

1 L’Étoile : place de l’Étoile qui entoure l’Arc de Triomphe et d’où partent douze avenues, dont les Champs Elysées.
2 Venelles : petites rues étroites.
3 Lacis : réseau dense et enchevêtré.
4 Garnis : chambres ou maisons louées meublées.

Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de façon organisée et synthétique (6 points) :

  1. Quels sont les points communs qui réunissent ces trois textes ?
  2. Quels sentiments ou quelles émotions la ville provoque-t-elle chez les personnages ?
Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Introduction :

La grande ville et surtout Paris ont beaucoup inspiré les écrivains. Les textes du corpus sont extraits de romans du XIXe et XXe siècles : de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert paru en 1869, du Ventre de Paris d’Émile Zola publié en 1873 et d’Aurélien de Louis Aragon édité en 1944. Ils décrivent certains quartiers de la capitale et les impressions ressenties par l’observateur.

Développement :

Quels sont les points communs qui réunissent ces trois textes ?

Ces textes sont d’abord la relation des errances de personnages romanesques. Frédéric Moreau, désœuvré, parcourt les rues « au hasard » ; Florent déambule comme hypnotisé ; Bérénice se laisse aller au gré de ses envies sans but précis, « C’était vraiment comme broder, ces promenades-là ».
Ces personnages ont des lieux de prédilection : le Quartier latin et les grands boulevards pour Frédéric, les Halles pour Florent et le quartier de l’Étoile pour Bérénice.

Quels sentiments ou quelles émotions la ville provoque-t-elle chez les personnages ?

Ces promenades à des endroits bien définis sont révélatrices des sentiments et des émotions qui habitent les personnages.
Frédéric souffre de sa solitude et cherche à occuper son ennui. Les immeubles sont « mornes ». Toutes les personnes qu’il rencontre semblent partager sa lassitude inquiète. La vie paraît s’être arrêtée. Lorsque lassé par cette léthargie, il ose affronter la cohue des boulevards, il est alors submergé, « étourdi » par le bruit de la circulation et la vulgarité des passants. Il manifeste ainsi un orgueil latent et son mépris de la populace.
Florent est d’abord surpris puis émerveillé par le spectacle du lever de soleil mêlé à la pluie, mais tenaillé par la faim, il est surtout « écrasé » par les amoncellements de nourriture et l’exubérance du « ventre de Paris ».
Bérénice, à la différence de Frédéric « savour[e] sa solitude », elle se sent libre. Elle aime tout de la ville y compris la « boue », « la saleté », « la pluie ». Elle apprécie le spectacle toujours renouvelé des rues. De fait, la capitale, par la variété de ses ambiances, sollicite l’imagination de la jeune femme, lui permettant d’éprouver toute une gamme d’émotions contrastées : peur, attirance. Finalement Paris est pour elle un lieu de plaisirs intenses, un résumé de la France.

Conclusion :

La capitale ne laisse personne indifférent. Séduisante, repoussante et surtout ambiguë, elle fascine le promeneur qui a du mal à échapper au spectacle toujours renouvelé de ses rues.

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