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Bac français 2019, séries S et ES – Corrigé de la question

Bac français 2019

Corrigé de la question (séries S et ES)

Objet d’étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours

Alphonse de Lamartine, « L’Isolement », strophes 1 à 6, Méditations poétiques, 1820

L’Isolement

Lamartine Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes,
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor1 jette un dernier rayon,
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.

Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs,
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme, ni transports2,
Je contemple la terre, ainsi qu’une ombre errante :
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon3, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend.
[…]

Notes

1 Encor : encore.
2 Transports : émotions intenses.
3 Aquilon : vent du nord.

Anna de Noailles, « La Vie profonde », Le Cœur innombrable, 1901.

La Vie profonde

Être dans la nature ainsi qu’un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l’orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !

Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns1 et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l’espace !

Sentir, dans son cœur vif, l’air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre.
− S’élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l’ombre qui descend.

Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise…

Note

1 Embruns : fines gouttelettes, formées par les vagues et emportées par le vent.

Andrée Chedid, « Destination : arbre », Tant de corps et tant d’âme, 1991.

Destination : arbre

Parcourir l’Arbre
Se lier aux jardins
Se mêler aux forêts
Plonger au fond des terres
Pour renaître de l’argile

Peu à peu
S’affranchir des sols et des racines
Gravir lentement le fût
Envahir la charpente
Se greffer aux branchages

Puis     dans un éclat de feuilles1
Embrasser l’espace
Résister aux orages
Déchiffrer les soleils
Affronter jour et nuit

Évoquer ensuite
Au cœur d’une métropole
Un arbre     un seul
Enclos dans l’asphalte
Éloigné des jardins
Orphelin des forêts

Un arbre
Au tronc rêche
Aux branches taries
Aux feuilles longuement éteintes

S’unir à cette soif
Rejoindre cette retraite
Écouter ces appels

Sentir sous l’écorce
Captives mais invincibles
La montée des sèves
La pression des bourgeons
Semblables aux rêves tenaces
Qui fortifient nos vies

Cheminer d’arbre en arbre
Explorant l’éphémère
Aller d’arbre en arbre
Dépistant la durée.

Note

1 Les espaces aux vers 11 et 18 sont un choix d’Andrée Chedid.

Yves Bonnefoy, « La pluie d’été », Les Planches courbes, 2001.

I

Yves Bonnefoy Mais le plus cher mais non
Le moins cruel
De tous nos souvenirs, la pluie d’été
Soudaine, brève.

Nous allions, et c’était
Dans un autre monde,
Nos bouches s’enivraient
De l’odeur de l’herbe.

Terre,
L’étoffe de la pluie se plaquait sur toi.
C’était comme le sein
Qu’eût rêvé un peintre.

II

Et tôt après le ciel
Nous consentait
Cet or que l’alchimie1
Aura tant cherché.

Nous le touchions, brillant,
Sur les branches basses,
Nous en aimions le goût
D’eau, sur nos lèvres.

Et quand nous ramassions
Branches et feuilles chues,
Cette fumée le soir puis, brusque, ce feu,
C’était l’or encore.

Note

1 Alchimie : l’alchimie avait pour objectif de transformer les métaux en or.

Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Quelle(s) relation(s) le poète entretient-il avec la nature dans les poèmes du corpus ?

Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Le spectacle de la nature a souvent inspiré les poètes. Les textes du corpus : « L’Isolement » de Lamartine tiré des Méditations poétiques de 1820, « La Vie profonde » d’Anna de Noailles issu du Cœur innombrable de 1901, « Destination : arbre » d’Andrée Chedid, extrait de Tant de corps et tant d’âme paru en 1991 et « La pluie d’été » d’Yves Bonnefoy dans Les Planches courbes de 2001, exploitent tous ce thème. Quelles relations les poètes entretiennent-ils donc avec la nature dans ces poèmes ?

Tous les auteurs expriment des sentiments variés devant le spectacle naturel qui s’offre à leurs yeux. Lamartine, devant un coucher de soleil qui précède les ombres funèbres de la nuit, nous livre sa tristesse et son abattement. Les autres poètes, au contraire, expriment leur vitalité. Anna de Noailles et Andrée Chedid, qui s’intéressent notamment aux « arbres », évoquent la montée de leur jubilation comme des « sèves » ; Yves Bonnefoy « s’enivre » sous une averse estivale. Cette jouissance est cependant mêlée d’émotions plus pénibles : « douleur » pour Anna de Noailles, « soif » pour Andrée Chedid, souvenir « cruel » pour Yves Bonnefoy. Nous comprenons que c’est l’intensité de la sensation qui est douloureuse. Enfin tous éprouvent une délectation esthétique devant le paysage qu’ils contemplent. Lamartine, malgré sa tristesse, apprécie ces « doux tableaux », Anna de Noailles a « l’âme qui rêve », Andrée Chedid partage avec son aînée des « rêves tenaces » tandis qu’Yves Bonnefoy évoque lui aussi le « rêve » du « peintre » et l’« alchimie » des jeux de lumière.

Peu ou prou, nos auteurs sont en symbiose avec la nature, tout particulièrement avec l’arbre, symbole de l’alliance entre la terre ou le réel, et le ciel ou le mystère. Seul Lamartine prend la pose romantique pour chanter en creux son élégie. Tous les autres éprouvent intensément des pulsions de vie surtout chez les femmes plus en relation dans leur être avec la fécondité de la terre, même si on peut noter aussi chez Bonnefoy l’allusion au « sein ».

Voir aussi le corrigé de la dissertation »

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