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Que représentent l’arbre ou la forêt pour les poètes du corpus ?

Bac français 2019 (Amérique du Nord)

Corrigé de la question (série L)

Objet d’étude : écriture poétique et quête du sens du Moyen Âge à nos jours

Corpus :

  • Texte A : Jean de La Fontaine, « La forêt et le bûcheron », Fables, livre XII, fable XVI, 1694
  • Texte B : François-René de Chateaubriand, « La Forêt », Tableaux de la nature, 1789
  • Texte C : José-Maria de Heredia, « Le Dieu hêtre », Les Trophées, « Rome et les barbares », 1893
  • Texte D : Supervielle, « Feuille à feuille », II, 1939-1945, 1946

Jean de La Fontaine, « La forêt et le bûcheron », Fables, livre XII, fable XVI, 1694

LA FORÊT ET LE BÛCHERON

La FontaineUn Bûcheron venait de rompre ou d’égarer
Le bois dont il avait emmanché sa cognée1.
Cette perte ne put sitôt se réparer
Que la Forêt n’en fût quelque temps épargnée.
   L’Homme enfin la prie humblement
   De lui laisser, tout doucement
   Emporter une unique branche,
   Afin de faire un autre manche :
Il irait employer ailleurs son gagne-pain ;
Il laisserait debout maint chêne et maint sapin
Dont chacun respectait la vieillesse et les charmes.
L’innocente Forêt lui fournit d’autres armes.
Elle en eut du regret. Il emmanche son fer.
   Le misérable ne s’en sert
   Qu’à dépouiller sa bienfaitrice
   De ses principaux ornements.
   Elle gémit à tous moments :
   Son propre don fait son supplice.

Voilà le train du Monde et de ses sectateurs2 :
On s’y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d’en parler ; mais que de doux ombrages
   Soient exposés à ces outrages,
   Qui ne se plaindrait là-dessus ?
Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode3 :
   L’ingratitude et les abus
   N’en seront pas moins à la mode.

Notes

1 Le bûcheron vient de rompre ou d’égarer le manche en bois de sa hache.
2 Sectateur : personne qui suit aveuglément les opinions d’une autre.
3 Désagréable.

François-René de Chateaubriand, « La Forêt », Tableaux de la nature, 1789

Chateaubriand Forêt silencieuse, aimable solitude,
Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré !
Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,
J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude !
Prestiges de mon cœur ! je crois voir s’exhaler1
Des arbres, des gazons, une douce tristesse :
Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,
Et dans le fond des bois semble encor m’appeler.
Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière
Ici, loin des humains ! – Au bruit de ces ruisseaux,
Sur un tapis de fleurs, sur l’herbe printanière,
Qu’ignoré je sommeille à l’ombre des ormeaux2 !
Tout parle, tout me plaît sous ces voûtes tranquilles ;
Ces genêts, ornements d’un sauvage réduit3,
Ce chèvrefeuille atteint d’un vent léger qui fuit,
Balancent tour à tour leurs guirlandes4 mobiles.
Forêts, dans vos abris gardez mes vœux offerts !
À quel amant jamais serez-vous aussi chères ?
D’autres vous rediront des amours étrangères ;
Moi de vos charmes5 seuls j’entretiens vos déserts.

Notes

1 Exhaler : dégager, répandre, émaner.
2 Ormeau : variété d’arbre.
3 Un réduit est un petit espace, qui sert d’abri ou de refuge.
4 Le genêt et le chèvrefeuille sont des arbustes aux tiges longues et souples, et dont les fleurs sont très parfumées.
5 Un charme désigne aussi une variété d’arbre.

José-Maria de Heredia, « Le Dieu hêtre », Les Trophées, « Rome et les barbares », 1893

LE DIEU HÊTRE
Fago deo1

José-Maria de Heredia Le Garumne2 a bâti sa rustique maison
Sous un grand hêtre au tronc musculeux comme un torse
Dont la sève d’un Dieu gonfle la blanche écorce.
La forêt maternelle est tout son horizon.

Car l’homme libre y trouve, au gré de la saison,
Les faînes3, le bois, l’ombre et les bêtes qu’il force
Avec l’arc ou l’épieu, le filet ou l’amorce,
Pour en manger la chair et vêtir leur toison.

Longtemps il a vécu riche, heureux et sans maître,
Et le soir, lorsqu’il rentre au logis, le vieux Hêtre
De ses bras familiers semble lui faire accueil ;

Et quand la Mort viendra courber sa tête franche,
Ses petits-fils auront pour tailler son cercueil
L’incorruptible cœur de la maîtresse branche.

Notes

1 Fago deo : « Au dieu Hêtre », en latin.
2 Les Garumnes sont, dans l’Antiquité, un peuple du sud-ouest de la France actuelle.
3 Faînes : sortes de châtaignes (fruits du hêtre).

Supervielle, « Feuille à feuille », II, 1939-1945, 1946

II

Supervielle Vous qui ne demandez rien,
Vous qui êtes toujours là,
Sans yeux, comme en ont les chiens,
Pour rappeler qu’ils sont là,
Arbres de mon grand jardin,
Dans un mouvement serein
Ouvrant nuit et jour le bras,
Vous nous faites oublier
Que vous ne les fermez pas,
Arbres graves, sans défauts,
Moitié tronc, moitié feuillage,
Et jamais trop peu ni trop
Ayant toujours ce qu’il faut
Pour votre immense veuvage,
Vous qui vivez parmi nous
Solitude jusqu’au cou
Malgré le vent, les oiseaux,
Et les hommes inégaux
Qui vous coupent en morceaux.
Que serviraient les regards
Ou de froncer les sourcils
Et l’avance ou le retard
Et tous les humains soucis ?
En dépit de vos racines
Vos troncs ne sont pas d’ici
Mais bien d’un pays caché
Dont nul ne peut approcher.
Et vous laissez un sillage
Sans avoir jamais bougé,
Comme les paralysés
Qu’on voit rêver sur les plages,
Vous qui nous poussez à vivre
Nous, moins que vous attachés,
À la façon d’hommes libres
Courant après leurs pensées.

Vous répondrez à la question suivante (4 points) : que représentent l’arbre ou la forêt pour les poètes du corpus ?

Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Introduction :

Le spectacle de la nature, notamment le mystère et la majesté des forêts, a souvent inspiré les poètes. Les textes proposés : « La forêt et le bûcheron » extrait des Fables de La Fontaine, « La Forêt » tiré des Tableaux de la nature de Chateaubriand, « Le Dieu hêtre » issu des Trophées de Heredia, et « Feuille à feuille » de Supervielle parcourent l’espace poétique du XVIIe au XXe siècle. Que représentent donc l’arbre ou la forêt pour les poètes de ce corpus ?

Développement :

Les arbres sont d’abord pour eux des êtres familiers. Le bûcheron de La Fontaine et le Garumne de Hérédia en tirent leur subsistance, tandis que Chateaubriand savoure l’abri qu’ils offrent et que Supervielle apprécie leur présence fidèle.

Les deux premiers considèrent le végétal avec un regard utilitaire tandis que les deux derniers le contemplent de manière méditative. Cependant si chez La Fontaine et Heredia, l’arbre est une ressource, le bûcheron ne respecte ni la nature, ni sa parole, alors que l’habitant du Sud-Ouest reconnaît dans le hêtre la force d’un dieu tutélaire. Chateaubriand et Supervielle manifestent également cette capacité à voir au-delà de la réalité. Tous portent un regard respectueux, voire affectueux. Chateaubriand et Heredia conçoivent la forêt comme un abri mais, tandis que le premier se complaît dans sa mélancolique solitude très romantique, le second, en poète parnassien, l’envisage sous un angle épique. Les trois derniers textes nous amènent de plus à considérer les questions fondamentales de la vie, de l’amour et de la mort. Chateaubriand mêle sommeil et amour érémitique de la solitude, Heredia chante la cueillette, la chasse, puis la fin du libre Gaulois. Supervielle, pour sa part, célèbre doucement leur effacement silencieux, leur présence maternelle, leur « veuvage », leur égalité d’humeur, leur ouverture vers un au-delà inaccessible aux hommes qui nous incitent à considérer notre destinée.

Conclusion :

Les poètes portent un regard neuf sur les arbres, ces éléments familiers. Pour La Fontaine, ils ne sont que l’occasion de dénoncer, dans un apologue, l’ingratitude humaine. Chez les autres écrivains, la relation avec eux est plus complexe car ils envisagent une symbiose naturelle et affective avec le biotope. À l’heure où l’écologie devient un sujet préoccupant, ces poèmes peuvent nous faire reconsidérer notre attitude à l’égard de la flore.

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