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Peut-on bien connaître un personnage de fiction sans la présentation de son environnement ?

Bac de français 2019

Corrigé de la dissertation (séries technologiques)

Peut-on bien connaître un personnage de fiction sans la présentation des lieux dans lesquels il évolue ?

Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les romans que vous avez étudiés en classe et sur votre culture personnelle (y compris cinématographique).

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Fiche méthode : la dissertation
Plan détaillé

Introduction :

Le récit romanesque est porté par une intrigue dans laquelle les personnages jouent un rôle irremplaçable. Le lecteur, au fur et à mesure du déroulement de l’action, apprend à les connaître. Mais le récit est parfois mis en pause par des discours, des portraits et la description des lieux dans lesquels les protagonistes évoluent. L’auteur doit-il s’intéresser particulièrement aux décors pour permettre au lecteur de bien connaître les acteurs du récit ?
Certes la connaissance des personnages est assurée d’abord par d’autres canaux plus importants que la présentation de l’environnement, mais découvrir les décors dans lesquels évoluent les protagonistes peut renforcer notre compréhension des acteurs. Qui plus est, il arrive même que le lieu devienne un véritable personnage.

Développement :

1. La connaissance du personnage romanesque passe d’abord par d’autres canaux.

Les actes

Les actions d’un personnage sont beaucoup plus révélatrices de ce qu’il vit. Les déambulations sans but de Frédéric Moreau montrent son ennui. De même l’errance de Florent dans les Halles de Paris traduit le désarroi et la détresse du jeune évadé de Guyane.

Les propos

Frédéric Moreau dévoile sa fatuité et son manque de caractère par ses propos intérieurs : « il se sentait tout écœuré par la bassesse des figures, la niaiserie des propos, la satisfaction imbécile transpirant sur les fronts en sueur ! »
Il en va de même pour Bérénice qui savoure sa liberté toute neuve : « Oh, le joli hiver de Paris, sa boue, sa saleté et brusquement son soleil ! »

Les focalisations interne et omnisciente

L’utilisation des focalisations interne et omnisciente permet aux auteurs de donner accès à l’intériorité de leurs créatures. Flaubert, Zola et Aragon nous font découvrir le flux des pensées et des émotions qui habitent leurs promeneurs pour nous les rendre plus familiers.

2. Mais la présentation des lieux dans lesquels il vit peut renforcer notre connaissance du personnage.

Les descriptions des lieux pourraient rester des ornements extérieurs aux nécessités de l’intrigue. D’ailleurs beaucoup de lecteurs n’admettent pas le ralentissement de la narration. Pourtant les auteurs habiles peuvent nous permettre, par la présentation des lieux, de mieux comprendre le personnage dans ses réactions.

Des lieux en harmonie, des lieux symboliques

La description est alors justifiée quand l’auteur crée un accord, une harmonie entre le personnage et l’environnement dans lequel il vit.

Quelques exemples :

  • Dans Le Père Goriot, la description de la pension Vauquer nous apprend que la propriétaire est non seulement pingre mais qu’elle cultive le mauvais goût jusqu’à l’écœurement.
  • Dans Quatrevingt-treize, Hugo utilise la sombre Tourgue pour symboliser la cruelle autorité féodale de l’Ancien régime en la personne de Lantenac.
  • La chute de la Maison Usher de Poe est la représentation de la dégradation morale d’un homme dont le cœur s’effrite comme la pierre des murs. « Il était dominé par certaines impressions superstitieuses relatives au manoir qu’il habitait ». La maison finit même par manipuler son esprit. Tout baigne dans un brouillard pestilentiel, dans un climat d’exaltation sensorielle, d’hypersensibilité, et de morbidité délétère. Poe y analyse les mystérieuses affinités qui existent entre une maison et son propriétaire. Charles Baudelaire aurait parlé de « Correspondances », c’est-à-dire de ce réseau de liens mystérieux qui existe entre le monde réel et concret et celui du surnaturel, le premier n’étant que le reflet du second. Si bien qu’à la lecture de la nouvelle, on ne sait plus très bien qui conforme l’autre à son image : la maison lézardée ou le trop sensible Sir Roderick ? Finalement les deux destinées sont parallèles et la chute de la « maison » doit être entendue au propre et au figuré.
  • À la fin de Bel-Ami, Maupassant place son héros éponyme arriviste dans l’église de la Madeleine pour signifier sa réussite sociale, et il le fait regarder, à la sortie de son mariage, vers la Chambre des députés pour apprendre au lecteur que l’ambition du personnage reste insatisfaite.
Des lieux qui le modèlent

Allons plus loin, certains romanciers veulent nous montrer comment ces lieux inanimés modèlent en fait leurs héros.

Quelques exemples :

  • Fabrice del Dongo, dans La Chartreuse de Parme, découvre sa nature égotiste dans sa prison en haut de la tour de la citadelle. Paradoxalement, le jeune homme épris de liberté découvre le bonheur dans son incarcération parce que le panorama des Alpes est splendide, qu’une cage à oiseaux se trouve en contrebas et que tout est transfiguré par une présence féminine.
  • La forêt de pins est constitutive de la nature paradoxale de Thérèse Desqueyroux. Mauriac fait remarquer combien la possession de l’arbre est ancrée dans la mentalité rurale, qu’elle est signe de reconnaissance sociale, qu’elle est finalement une prison pour les âmes un peu élevées. Aussi, quand elle sera libérée, l’héroïne regrettera dans Paris les forêts de sa lande girondine.
  • Bosco, dans Le Mas Théotime, analyse les liens du sang de la terre et du ciel dans une Provence implacable. C’est là que Pascal Dérivat, l’étranger au pays, se livre à l’herboristerie, au dessin et à l’écriture, laissant la culture des terres à une famille de fermiers, les Alibert. Cependant le meurtre de son voisin Clodius et l’arrivée de sa cousine Geneviève l’obligeront à reconsidérer son attitude à l’égard de l’austère et puissante nature environnante qui pourra lui apporter un bonheur paisible à condition de se soumettre à ses rythmes et à sa rude réalité.

3. Il arrive même que le lieu devienne un personnage à part entière.

Quelques auteurs s’intéressent tellement à certains lieux de leurs romans qu’ils les transforment en personnages à part entière. Ces lieux, animés d’une vie secrète, interfèrent dans la destinée des acteurs humains.
Ainsi en va-t-il de la cathédrale dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, des Halles dans le Ventre de Paris ou des grands magasins dans Au Bonheur des dames de Zola.

Conclusion :

Pour faire connaître leurs personnages au lecteur, les auteurs les font d’abord agir, se confier. Grâce surtout aux techniques de la focalisation interne, voire omnisciente, ils nous permettent d’entrer dans l’intimité de leurs créatures. La description des lieux qui ralentit le récit se justifie cependant lorsqu’elle permet de mieux comprendre le personnage dans ses réactions, qu’elle est le reflet de sa personnalité ou mieux que l’endroit contribue à son évolution. Cet intérêt presque obsessionnel pour le décor a pu conduire certains auteurs à transformer les lieux en acteurs à part entière.
En développant à l’extrême ce rôle fonctionnel du décor, les écrivains ont pu le faire accéder poétiquement à une existence mythique. Pensons entre autres, dans Germinal, au puits de mine du Voreux qui prélève son sacrifice humain comme l’antique Minotaure tapi au fond de son labyrinthe. C’est aussi la divinité infernale de l’alambic qui luit sournoisement dans L’Assommoir. C’est la grotte, gigantesque utérus, qui enfante le nouveau Robinson dans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier.

Voir aussi