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Dans un roman, les personnages ambitieux sont-ils les plus intéressants ?

Bac de français 2018 (Amérique du Nord)

Corrigé de la dissertation (séries S et ES)

Dans un roman, les personnages ambitieux sont-ils les plus intéressants ?

Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les œuvres que vous avez étudiées en classe et sur vos lectures personnelles.

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Fiche méthode : la dissertation

Introduction

Accroche :

Le personnage est un élément essentiel de l’intrigue pour le romancier. Doté d’une personnalité, inscrit dans un milieu social, vivant à une époque déterminée, il entre de plain-pied dans le schéma narratif comme acteur des événements qui émaillent le récit. Il est surtout, dans le schéma actanciel, un sujet destinataire de la quête quand il n’est pas cantonné à jouer les seconds rôles comme adjuvant ou opposant.

Copie du sujet :

Aussi est-il légitime de se demander si les personnages dont la quête est la réussite sociale ne sont pas les plus intéressants dans l’univers romanesque.

Problématique :

Est-ce à dire que l’ambition est une caractéristique du héros romanesque capable de séduire prioritairement le lecteur par les leviers qu’elle offre à l’auteur ?

Annonce du plan :

1re formule : Nous examinerons d’abord en quoi l’ambition bien sentie peut faire naître des héros positifs attachants. Ensuite nous analyserons comment cette même ambition peut dégénérer en arrivisme au risque de rendre le personnage méprisable et rebutant. Enfin nous verrons que dans ces deux cas de figure le personnage ambitieux reste une source d’information irremplaçable pour le lecteur.
2de formule : S’il est vrai que l’ambition bien sentie peut faire naître des héros positifs attachants, elle peut cependant dégénérer en arrivisme au risque de rendre le personnage méprisable et rebutant. Mais, dans ces deux cas de figure, le personnage ambitieux reste une source d’information irremplaçable pour le lecteur.

1re partie : un héros du refus de la médiocrité

Des origines romantiques et des valeurs aristocratiques

L’ambitieux, dans les romans de la première moitié du XIXe siècle, est un héros positif. Issu d’une bonne famille, mais limité dans ses perspectives par la pauvreté ou le statut social, il lui faut aller chercher fortune ou se faire un nom hors de son lieu de naissance. Ainsi d’Artagnan, dans Les Trois Mousquetaires de Dumas, doit quitter sa Gascogne natale pour faire une carrière militaire auprès du roi. Le Père Goriot de Balzac raconte comment Eugène de Rastignac, fils d’un hobereau charentais peu fortuné, est monté à Paris pour tenter de percer. Ces jeunes hommes sont vaillants, honnêtes, soucieux de leur honneur. Pour tout dire, ils développent des valeurs aristocratiques. Dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, Julien Sorel rêve secrètement de conquérir le monde à la manière d’un Bonaparte devenu Napoléon. Rastignac de même apprend de son mentor Vautrin que l’ascension sociale est une campagne militaire. Ces personnages déploient une énergie et une détermination toute romantiques. Ils se montrent entreprenants. De plus, en dignes « enfants du siècle », ils se révèlent insatisfaits et se révoltent contre un ordre social qui les brime et ne reconnaît pas leur valeur.

Des qualités à employer pour découvrir la société

Des héros comme d’Artagnan et, dans une moindre mesure, Rastignac doivent mettre en œuvre des qualités d’intelligence pour s’adapter aux divers milieux qu’ils vont devoir fréquenter. De même ils doivent consentir des sacrifices pour mener à bien leur projet. Eugène, qui a été invité à un bal où il a rencontré Anastasie de Restaud, est écarté par la jeune femme, le mari, l’amant et leur cercle de relations en raison de son origine campagnarde et de son manque d’argent. Il doit alors surmonter son orgueil blessé pour continuer sa conquête du quartier Saint-Germain. D’Artagnan met souvent en péril sa propre vie par fidélité à ses valeurs.

Une haute considération pour le service de la cité ou la perfection humaine

D’autres héros romanesques comme l’empereur Hadrien de Marguerite Yourcenar ont placé très haut leur ambition désintéressée. L’autocrate romain a mis son pouvoir absolu au service de son empire et l’a conduit à son apogée. Il se félicite modestement d’en avoir assuré la sécurité en repoussant les murailles de protection, les fameux limes, aux frontières du territoire. Il se targue d’avoir été un novateur éclairé en sachant concilier les « vertus » de la ville aux « sept collines » avec l’expansion nécessaire à la capitale de l’empire pour s’approcher de « l’ordre du monde ». Enfin, non le moindre de ses mérites, il a su être mystiquement fidèle au destin de Rome, lui l’empereur-dieu, en acculturant la « Ville éternelle » aux religions orientales à mystères, lui permettant sans le savoir de devenir le futur foyer du christianisme naissant. Il considère donc qu’il a accompli sa nature humaine, qu’il a bien employé ses talents en misant sur la raison philosophique et le génie politique de la Grèce.

2e partie : un héros parfois négatif ou de l’ambition à l’arrivisme

Transition : Si le héros ambitieux peut séduire par ses qualités de cœur et d’intelligence, il rebute souvent par sa compromission avec les vices du siècle.

La domination du mâle, l’infidélité

L’ambitieux au XIXe siècle est un homme. Madame de Beauséant, dans Le Père Goriot de Balzac, révèle à Eugène de Rastignac que le succès mondain s’obtient par les femmes et qu’il faut épouser une dot. Chez Zola, il y a une corrélation entre le désir d’arriver et une sexualité envahissante. L’arriviste est un mâle dominant qui veut marquer son territoire. Saccard dans La Curée puis L’Argent éprouve une jouissance quasi orgasmique dans la spéculation effrénée. Il se sert de sa femme Renée pour constituer sa propre fortune en la volant. Puis il cherche à drainer les crédits en l’utilisant comme un appât. Julien Sorel, qui hésite entre la carrière militaire et les ordres pour assurer son ascension sociale, se sert de Madame de Rénal et de Mathilde de la Mole pour gravir les échelons. Le plus ignoble profiteur est Duroy, le bien nommé Bel-Ami, qui utilise sans vergogne ses maîtresses successives pour se faire une place au soleil : Madeleine Forestier, la femme de son ami, Clotilde de Marelle, Madame Walter puis sa fille Suzanne épousée pour sa dot.

Le calcul, le cynisme, l’hypocrisie

L’arriviste fait fi des sentiments. Seul compte son intérêt soumis aux aléas des opportunités. Duroy gère ses associations professionnelles et sentimentales au gré de ses convoitises. Il n’a aucune reconnaissance, il multiplie les petits accommodements et les grandes trahisons. C’est une morale cynique qui règle ses actions : « toutes les femmes sont des filles » dont il faut « se servir sans leur rien donner de soi ».
Julien Sorel choisit sa route selon les circonstances. Il soupèse sans cesse la voie à emprunter, celle du Rouge, la couleur de la carrière militaire, celle du Noir, la réussite dans les ordres. Il simule souvent : il cache soigneusement sa passion pour Napoléon. Lorsque sa liaison avec Mme de Rénal est découverte, il doit quitter les lieux qu’il fréquente comme précepteur pour entrer au séminaire de Besançon où il joue à merveille la comédie de la piété. Chez ses employeurs, il dissimule son mépris pour la société qu’il côtoie.

3e partie : le triomphe des valeurs bourgeoises parfois remis en question

Transition : Taraudé par son désir d’arriver à tout prix et son appât du gain, l’arriviste incarne donc un modèle d’accomplissement bourgeois qui peut répugner les âmes délicates. Cependant l’ambitieux est toujours un personnage intéressant par ses contradictions internes rémanentes et les ouvertures qu’il nous offre sur le fonctionnement caché de la société.

Un personnage peut en cacher un autre

L’ambitieux Julien Sorel est aussi un orgueilleux intransigeant. Il ne supporte pas la mesquinerie et la bassesse. Il a gardé quelque chose de la révolte romantique contre un ordre social qui ne veut pas reconnaître le mérite. Il est, écrit Stendhal, « l’homme malheureux en guerre avec la société ». En outre chez lui, la passion triomphe souvent sur le calcul. Il ne veut pas la victoire à n’importe quel prix. De plus chez lui, l’impulsivité l’emporte parfois sur la froideur de la tactique si bien que l’exécution suit immédiatement la décision. Par exemple nous sommes étonnés de voir que Julien, quand il s’élance pour Verrières afin de se venger de Mme de Rénal, remet en cause son succès chez les La Mole alors qu’il maîtrise la situation. La fin du roman nous montre un personnage apaisé qui a compris où résidait le vrai bonheur. Foin de l’hypocrisie qui pourrait lui fournir des moyens de se sauver par une conversion politique ou religieuse lui valant aussitôt de puissantes protections ! « Que me restera-t-il, demande-t-il, si je me méprise moi-même ? J’ai été ambitieux, je ne veux point me blâmer ; alors, j’ai agi suivant les convenances du temps. Maintenant, je vis au jour le jour. Mais je me ferais fort malheureux si je me livrais à quelque lâcheté. » Jouir du présent et de l’amour qui l’habite transcende désormais les affres de l’arrivisme. « Jamais cette tête n’avait été aussi poétique qu’au moment où elle allait tomber. »
Le beau et peu scrupuleux Duroy qui paraît plein d’assurance est en fait miné par l’angoisse de la mort et du néant. Il a parfois conscience de la vacuité de son existence. Il sait qu’il a échangé une part de lui-même pour l’ombre de son ami Forestier dont il revêt symboliquement les dépouilles. Dans les instants qui précèdent son duel l’ancien hussard découvre sa lâcheté. Sortant de la serre des Walter, surpris par l’air froid, il s’imagine frappé du mal fatal qui a tué Forestier. Le lecteur attentif a d’ailleurs été averti au début du roman quand le poète et artiste Norbert de Varenne a confié à Duroy une mise en garde pascalienne : « il arrive un jour, voyez-vous et il arrive de bonne heure pour beaucoup, où c’est fini de rire, comme on dit, parce que derrière tout ce qu’on regarde c’est la mort qu’on aperçoit ». Duroy va garder inconsciemment tout au long du récit cet effroi devant la vanité des illusions mondaines. Il lui arrive parfois de sentir qu’il chemine sur un gouffre quand, apercevant son image dans les miroirs, il doute de ce qu’il est vraiment.

L’ambition au service du roman d’apprentissage

L’ambition est en fait un moteur puissant pour lancer le personnage sur les routes de la vie. Être de désir, le personnage humain veut s’accomplir en gagnant une place au soleil. Sortant de son environnement familier, le héros ambitieux va devoir mettre en œuvre tous ses talents pour conquérir un nouveau statut social. Il va ainsi être confronté à des situations ou des difficultés insoupçonnées qui vont lui permettre de tirer des leçons de vie et d’apprendre beaucoup sur sa nature profonde. C’est pourquoi le roman de l’ambitieux devient souvent un roman d’apprentissage.
Julien Sorel est d’abord un jeune homme timide et non-conformiste, inadapté à son milieu d’origine. Son orgueil le rend cassant mais l’influence de Madame de Rénal va l’adoucir et l’initier aux émois sentimentaux. Il apprend à dominer ses peurs. Ce sont ses relations féminines qui vont le façonner et lui donner confiance dans son énergique singularité. Pour finir, grâce à sa première amante qu’il n’a jamais au fond cessé d’aimer, il abandonne son orgueilleuse quête pour un bonheur égotiste.
Eugène de Rastignac, l’honnête et courageux provincial, découvre la promiscuité dans la pension Vauquer et les secrets sordides qu’elle recèle. Il est initié à des mondes étanches entre eux : comme un picaro, il peut passer de l’usure crasseuse de la pension aux fastes mondains du quartier Saint-Germain. Mais partout on intrigue. Il apprend les duperies, la coupable et cruelle indifférence des enfants, le martyr de la paternité, les dessous peu reluisants du théâtre mondain. Sa naïveté initiale n’y résiste pas et il doit s’endurcir. Après avoir lancé son grandiloquent : « Paris, à nous deux », il va cyniquement dîner chez la femme qu’il convoite et dont il vient de réprouver la conduite.

Les rouages secrets de la société

Ces deux arrivistes sont formés par des femmes amoureuses ou vengeresses : Mme de Rénal initie Julien aux intrigues de la petite ville de Verrières et aux mesquineries de la bourgeoisie locale. Madame de Beauséant donne les codes d’accès du quartier Saint-Germain à Eugène dont l’éducation sera achevée par le ténébreux Vautrin. Duroy profite des leçons de Madeleine Forestier et des indiscrétions de Madame Walter.
Ils sont tous introduits dans un univers factice et crapuleux où priment les intérêts, où l’on complote, où le pouvoir entretient des intelligences secrètes avec l’argent. Saccard pratique avec un entrain filou le délit d’initié. Tout est apparence, le monde appartient à ceux qui savent. Partout s’exerce le pouvoir corrupteur de l’argent. Balzac note dans Le Père Goriot ce constat pessimiste et indécent : « Il vit le monde comme il est ; les lois et la morale impuissantes chez les riches, et vit dans la fortune l’ultima ratio mundi ».

Conclusion

Résumé de l’argumentation :

Au terme de notre parcours, nous avons pu remarquer que la première moitié du XIXe siècle a produit des héros ambitieux positifs et attachants. Enfants du siècle romantiques, fils spirituels du mythe napoléonien, ils se caractérisent par leur énergie, leur refus d’un ordre social sclérosé et par leurs vertus aristocratiques leur permettant d’assumer courageusement leur contestation et leur affrontement de la société établie.
Mais les désillusions qui ont suivi la Restauration puis les Trois Glorieuses ont mis en avant la prédominance des valeurs bourgeoises. Les écrivains ont dénoncé leur étroitesse, leur pragmatisme et leurs excès. Dans ce mouvement de critique, l’ambitieux est devenu un arriviste sans scrupule. C’est un mâle grossier qui cultive le calcul, l’hypocrisie et le cynisme. Il réussit grâce aux femmes que par ailleurs il méprise. Il s’est mué en personnage lâche, cupide et immoral. Ce triomphe des prétendues valeurs bourgeoises a été stigmatisé par les écrivains réalistes et naturalistes.
Toutefois, que l’ambitieux soit honoré ou abâtardi et dénigré, il constitue toujours un sujet intéressant pour l’auteur et le lecteur. En effet les grands romanciers ont su relever ses contradictions, montré comment il s’est construit voire perverti. Surtout ils ont pu révéler les secrets d’une société soumise à la tyrannie de l’argent. En restreignant la sphère d’action de l’arriviste à la politique, le pessimisme foncier du réalisme a beaucoup contribué à l’antiparlementarisme qui a affecté la IIIe République et à la montée des contestations révolutionnaires.

Ouverture (facultative) :

À la différence des romans français du XIXe siècle, ceux du XXe ne foisonnent pas d’ambitieux. Les auteurs ont préféré semble-t-il l’aventurier plus capable d’éveiller l’intérêt du lecteur. C’est ce personnage d’ailleurs sous sa forme picaresque qui prend la relève pour la critique sociale comme le Ferdinand Bardamu du Voyage au bout de la nuit de Céline.
Pourquoi ? André Malraux, dans Le Démon de l’absolu, a donné une réponse : « La furieuse accusation romantique du bourgeois vise plus loin qu’il ne paraît d’abord. Au désir d’être riche et honoré, elle entend répondre : le premier désir de l’homme est de satisfaire et d’incarner les parties de lui-même préférées par son imagination. » C’est que nous avons plus besoin de rêve que de satiété.

Quelques lectures conseillées :
  • Histoire de Gil Blas de Santillane de Lesage
  • Le Rouge et le Noir de Stendhal
  • Le Père Goriot de Balzac
  • La Curée et L’Argent de Zola
  • Mont-Oriol et Bel-Ami de Maupassant
  • Les Trois Mousquetaires de Dumas
  • Le Nabab d’Alphonse Daudet
Voir aussi