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Dans quelle mesure la littérature peut-elle conduire une génération à agir ?

Bac de français 2017 (Pondichéry, séries S et ES)

Corrigé de la dissertation

Dans quelle mesure la littérature peut-elle conduire une génération à agir ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés et sur vos lectures personnelles. Vous pourrez avoir recours à tous les genres de l’argumentation.

Ces corrigés ont été rédigés par Jean-Luc.

A – Un corrigé conventionnel (plan détaillé)

Introduction :

L’écrivain est comme ses contemporains confronté aux difficultés de son époque. S’il échappe à la tentation de se réfugier dans sa « tour d’ivoire », il met volontiers son extrême sensibilité et son talent au service de son enthousiasme, de sa colère ou de son indignation.
Dans quelle mesure les œuvres littéraires ainsi produites ont-elles pu conduire une génération à agir ?
Comment ces auteurs ont-ils recherché une efficacité pour toucher la conscience de leurs lecteurs et les amener à transformer la société dans laquelle ils vivaient ?
Si certains ont emprunté la voie austère de l’argumentation directe, d’autres ont préféré la polyphonie du discours théâtral. Cependant le plus grand nombre a choisi la voie plaisante de l’argumentation indirecte tandis que les poètes se sont servis de la voix persuasive et puissante du lyrisme engagé.

1. La voie austère de l’argumentation directe

a) Les intellectuels, ceux qui sont plus à l’aise avec le maniement des idées ont choisi tout naturellement la voie précise et rigoureuse de l’argumentation directe.
Exemples : Essai sur les mœurs, Lettres philosophiques de Voltaire, Essais de Montaigne, Génie du christianisme de Chateaubriand, L’Homme révolté de Camus…
b) Mais cette forme est souvent austère et donc rebutante surtout pour de jeunes esprits.

2. La polyphonie du discours théâtral

a) Des auteurs ont porté le débat d’idées sur scène en faisant confiance à la polyphonie du discours théâtral. Ils espéraient valoriser leur thèse par l’opposition formelle entre des personnages porte-paroles.
Exemples : Lorenzaccio de Musset, Ruy Blas de Hugo, Les Mains sales de Sartre, Les Justes de Camus, Antigone d’Anouilh.
b) Cependant le théâtre politique a rarement connu le succès parce qu’il est un spectacle élitiste. Surtout le heurt des positions peut paraître artificiel au point que le langage mis au service d’idéaux politiques se révèle une illusion fatale.
Exemple : Musset dénonce dans Lorenzaccio la forme ultime et la plus pernicieuse du masque : le langage. « Ah ! les mots, les mots, les éternelles paroles ! S’il y a quelqu’un là-haut, il doit bien rire de nous tous ; cela est très comique, vraiment. – Ô bavardage humain ! ô grand tueur de corps morts ! grand défonceur de portes ouvertes ! ô homme sans bras ! »

3. La voie plaisante de l’argumentation indirecte

a) Depuis l’Antiquité s’est développé un courant didactique dont la devise a été « placere, docere » : « plaire pour instruire ». Il s’est agi essentiellement pour lui de se servir de récits signifiants pour délivrer des leçons de vie. De l’apologue, récit court assorti d’une morale, il a pu évoluer jusqu’au roman d’apprentissage.
Exemples : Texte de Cyrano de Bergerac, Fables de La Fontaine, Candide de Voltaire, René de Chateaubriand, Les Thibault de Martin-du-Gard, Les Hommes de bonne volonté de Romains, (pacifisme), Le Petit Prince de Saint-Exupéry, La Condition humaine de Malraux.
b) Cependant ces récits peuvent pâtir d’une volonté simplificatrice qui réduit la complexité du réel en une caricature séduisante mais peu convaincante.
Exemples : Candide de Voltaire, texte de Cyrano de Bergerac
La morale peut être implicite, voire peu discernable ou ambiguë.
Exemple : La Condition humaine de Malraux
Le récit peut prendre le pas sur la leçon de vie et même l’occulter.

Exemple : Les Thibault de Martin-du-Gard

4. La voix persuasive et puissante du lyrisme engagé

a) Beaucoup d’écrivains ont spontanément mis leur plume au service de leur indignation, de leur enthousiasme ou de leur colère en misant sur la voix puissante et persuasive du lyrisme engagé. Forte modalisation du propos. Recours aux registres épique, tragique et satirique.
Exemples : La lettre ouverte de Zola, texte de Gide, Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, Les Châtiments de Hugo, en particulier « Au peuple », « Liberté » d’Éluard, « La Rose et le réséda » d’Aragon.
b) Toutefois, si l’expression n’est pas sincère, si elle flagorne, si elle veut nuire méchamment, elle devient propagande ou manipulation outrancière.
Exemples : les libelles, les pamphlets, les épigrammes.
Voltaire
« L’autre jour, au fond d’un vallon
Un serpent mordit Jean Fréron
Que pensez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva ! »
Claudel qui successivement écrivit une « Ode au Maréchal Pétain » puis une « Ode au Général de Gaulle ».

Conclusion :

Les écrivains sont souvent amenés à partager leurs opinions et sentiments chaque fois que des événements douloureux sont venus heurter leur conscience d’homme ou de citoyen, surtout lorsque ces mêmes événements divisaient profondément la société. Ils ont mis alors leur talent au service de leur engagement en empruntant les voies qu’ils jugeaient les plus efficaces selon leur savoir-faire. Certains ont préféré la forme convaincante et aboutie de l’essai. Quelques-uns ont confié au discours théâtral le soin d’animer leur débat intérieur. Le plus grand nombre a emprunté la voie traditionnelle du récit apologétique estimant que pour enseigner il fallait d’abord séduire le lecteur. Le lyrisme enflammé ou polémique a saisi parfois des poètes au souffle puissant.
Au terme de ce parcours, il est légitime de se demander quelle est la manière la plus efficace de faire réagir une génération. Malheureusement il est impossible de fournir une réponse définitive à cette question. Tout est affaire d’accord entre un style d’écriture et les attentes inconscientes du public. Le républicanisme universaliste de Hugo peut encore nous toucher mais il n’a pas créé la révolte populaire attendue contre « Napoléon le petit ». Le talent n’est pas suffisant pour faire réagir une population donnée, faut-il encore que la cause défendue réponde à des intérêts immédiats. Si les écrits de Voltaire et de Diderot ont préparé les esprits bourgeois à renverser l’Ancien Régime, c’est bien, semble-t-il, l’augmentation du prix du pain qui a poussé les Parisiens à entrer dans la sédition révolutionnaire.

B – Un corrigé atypique (plan détaillé)

Introduction :

L’écrivain est comme ses contemporains confronté aux difficultés de son époque. S’il échappe à la tentation de se réfugier dans sa « tour d’ivoire », il met volontiers son extrême sensibilité et son talent au service de son enthousiasme, de sa colère ou de son indignation.
Dans quelle mesure les œuvres littéraires ainsi produites ont-elles pu conduire une génération à agir ?
Quelles conditions doivent-elles remplir pour toucher la conscience de leurs lecteurs et amener une population à transformer la société dans laquelle elle vit ?
D’abord avant même de parler de talent, il faut examiner les conditions économiques et culturelles qui permettent l’éclosion des œuvres engagées. Ensuite s’imposent à l’analyse les nécessités esthétiques propres à la littérature. Enfin l’exemple d’un livre qui transcende les aspects temporels permettra de vérifier la pertinence de ces hypothèses.

1. Des conditions économiques et culturelles

Avant de devenir une œuvre d’art, un texte est d’abord un produit intellectuel qui a besoin de conditions économiques et culturelles pour exister.
a) un appareil technique qui permet une large diffusion, abaisse le coût de production et assure une rémunération à l’écrivain
Grâce à l’imprimerie, les auteurs ont pu se faire connaître. Dès le XIXe siècle, les livres ou les journaux peuvent pénétrer les milieux populaires.
Elle permet à nombre d’écrivains de vivre de leur plume et de prendre leur indépendance à l’égard de mécènes.
b) un enseignement
qui permet au plus grand nombre de savoir lire, d’acquérir un esprit critique, d’apprendre les ressources expressives de sa langue,
qui diffuse des valeurs fortes et réalise l’intégration sociale (voir l’école de la IIIe République).
c) le contournement de la censure quand elle existe
Voltaire fait publier ses œuvres à l’étranger, Montesquieu recourt aux services des imprimeurs d’Amsterdam pour Les Lettres persanes. Ces auteurs ne signent pas directement leurs œuvres. Plus près de nous, Soljenitsyne qui, au goulag, réussit à faire sortir ses écrits.
d) rejoindre les préoccupations des lecteurs et les transcender
Le plus souvent, il s’agit d’aspiration à la paix, la liberté, la reconnaissance, la dignité, la justice.
Il est difficile de mobiliser durablement sur des questions secondaires.
Exemples : La querelle de la préciosité peut encore nous amuser chez Molière, mais la dénonciation de l’hypocrisie ou de l’avarice sénile nous touche en profondeur plus sûrement.
Hugo dans Les Misérables entend élever le débat pour que la bourgeoisie de son temps prenne conscience de son égoïsme qui conduit les plus pauvres à la « damnation sociale ». Aujourd’hui encore la simplification et la charge affective puissante du roman peuvent marquer durablement le lecteur.

2. Des conditions esthétiques

Le texte doit aussi posséder une force interne capable de retenir l’attention ou de réveiller des idéaux assoupis.
a) l’argumentation directe
L’essai à condition qu’il ne se perde pas dans les subtilités techniques, qu’il soit illustré d’exemples concrets.
Le théâtre conçu comme une tribune où s’affrontent les idées sous réserve que l’action n’en soit pas étouffée.
La correspondance surtout dans sa forme de la lettre ouverte (voir le texte de Zola) si elle sait mêler habilement la sincérité de la confidence personnelle à la grandeur des principes (voir le texte de Gide).
b) l’argumentation indirecte
La vivacité et la pertinence simplificatrice de l’apologue s’il ne sombre pas dans la caricature ou les généralisations abusives (voir le texte de Cyrano).
Le conte philosophique de Voltaire, plaisir pour l’esprit quand il ne s’affadit pas dans les mesquineries ou les simplifications outrancières.
Les utopies et les dystopies si elles gardent le contact avec la réalité.

3. Un ouvrage remarquable selon ces points de vue : la Bible

Il ne s’agit pas ici de s’intéresser à ce livre comme texte religieux, mais comme succès de librairie dans la plupart des cultures.
a) Les conditions économiques et culturelles
La Bible a bénéficié à plein des débuts de l’imprimerie. À partir de 1550, le prix d’une bible devient plus abordable. L’Écriture Sainte peut dorénavant être accessible à tous ceux qui désirent se la procurer.
L’imprimerie permet une large diffusion des traductions en langues vernaculaires. Leur succès correspond au besoin des fidèles d’avoir accès au texte. La bible de Luther devient la grande force de la Réforme. En Angleterre, la bible de William Tyndale a été la plus répandue dans le monde.
Il est inutile d’aborder ses liens avec l’enseignement dans la mesure où elle constitue la base de toute formation religieuse juive ou chrétienne. Mais on peut noter qu’elle est toujours une référence dans le monde anglo-saxon.
Il lui a fallu parfois contourner la censure. Par exemple la Bête de l’Apocalypse désigne dans son langage codé la persécution païenne de l’empire romain. Plus précisément le nombre 666 converti en caractères hébraïques désigne Néron César.
La Bible a constitué un immense réservoir de références artistiques : images, symboles, récits, expressions… même chez des auteurs agnostiques. Ces références donnent la certitude d’être compris par tous dans la mesure où elles se réfèrent à des images archétypales ou à des réalités profondément humaines. Dans son poème « Aux Feuillantines » Hugo décrit l’attrait de ce vieux livre sur l’enfant qu’il était :
« Nous lûmes tous les trois ainsi, tout le matin,
Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes. »
Elle lui a inspiré « La Conscience », « Booz endormi » et d’une manière générale son engagement en faveur des « misérables » et de la justice sociale. Même Voltaire y a puisé pour doter son Zadig de la sagesse de Salomon, détournée malicieusement en innocente naïveté philosophique.

b) les conditions esthétiques
La Bible est en fait une bibliothèque qui a utilisé de nombreux genres argumentatifs.
Le lecteur y rencontre des essais comme Le Livre de la Sagesse.
Mais aussi des lettres ouvertes, Les Épîtres.
De nombreux apologues comme les paraboles ou le Livre de Job.
Le lyrisme touchant du Cantique des cantiques.
Le souffle épique puissant de l’Apocalypse.

c) Ce livre a su rejoindre les préoccupations des lecteurs et les transcender.
La force transformante de ce texte réside dans son souci des gens simples ou démunis, dans sa haute conception de l’amour. Il répond au besoin d’appartenance de l’homme, animal social. Il assure la cohésion du groupe tout en invitant chacun à découvrir qui il est en profondeur. Il milite pour la libération de l’esclavage, la restauration de la dignité humaine. Il parle aux « hommes de bonne volonté ». Enfin, il invite à dépasser les aspects utilitaires du langage en sacralisant la « parole ».

Conclusion :

Comment les mots, réalités conceptuelles, peuvent-ils engendrer l’action concrète dans un groupe humain ? Il faut d’abord que soient assurés certains préalables comme les moyens de diffusion, l’intégration culturelle, le discernement des besoins des individus. Alors l’écrivain, s’il est perspicace et généreux, peut mettre son talent de magicien des mots au service de son combat. Selon ses goûts ou ce qu’il croit le plus efficace, il choisira la voie de l’essai construit, du discours délibératif ou les chemins séduisants des récits apologétiques, les routes inquiétantes des dystopies. L’œuvre ainsi produite pourra alors cheminer en chacun jusqu’à parfois fédérer les individus à condition d’avoir su faire émerger les attentes enfouies au cœur de chaque homme. Toutes ces considérations peuvent se vérifier dans la permanence de la Bible, texte toujours jeune après bientôt trois millénaires et malgré son enracinement culturel sémitique.
Aujourd’hui la littérature et les écrivains disposent d’un nouveau medium, internet, dont on ne sait ce qu’il produira durablement sur les nouvelles générations. Entre les détracteurs qui dénoncent l’immédiateté, la surabondance, la superficialité des écrits, et les partisans qui vantent la liberté, la nouveauté, la diversité des propos, trouverons-nous encore le temps de parcourir une voie de sagesse ? Saurons-nous échapper à la logique épuisante de l’émotion ?

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