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Stylistique

Les procédés esthétiques ou artistiques

Les procédés esthétiques ou artistiques

Sommaire

Cette page a été rédigée par Jean-Luc.

Ces procédés ont en commun de mettre en œuvre la fonction poétique du langage. Ils marquent un écart par rapport à la norme. Ils sont censés surprendre le lecteur. Dans le cas contraire ils mutent en clichés.

Les procédés portant sur le signifiant – la forme du mot, figures de mots

Les figures dites « de mots » se servent du matériel sonore et visuel que représentent les mots, elles jouent donc sur le signifiant, le mot en tant que contenant.
Elles visent à retenir l’œil ou l’oreille sur un mot, une phrase… Elles attirent l’attention pour produire une certaine expérience esthétique qui incite à découvrir un sens original ou appuyé. Elles ont souvent un rôle de mémorisation : la publicité et la politique s’en servent abondamment dans leurs slogans.

Les procédés qui jouent sur les sonorités : mise en relief de sons, notamment par leur répétition, rapprochement sonore :

Allitération

L’allitération est une répétition de consonnes ou de sons consonantiques voisins (par ex. D et T) qui constitue un procédé suggestif reposant sur le retour, dans plusieurs syllabes rapprochées, d’un même trait phonique.

« Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s’éloigne »
Guillaume Apollinaire, Alcools, « Chanson du Mal-Aimé »

On peut noter la reprise des F, consonne continue, qui expriment ici la douceur trompeuse de cette affection féminine.

Assonance

L’assonance est la répétition d’un même son vocalique ou de sons vocaliques voisins (par ex. A et OI) dans plusieurs syllabes rapprochées.

« Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. »
Jean Racine, Phèdre

Ce vers contient une assonance en I. La voyelle aiguë présente l’acuité de la souffrance de la reine, et son aspect fermé exprime son angoisse. L’assonance vient souligner la reprise du verbe nuire, manifestation de l’acharnement caché divin (ou de l’hérédité) sur la fille de Minos et de Pasiphaé.

Onomatopée et idéophone (plutôt descriptifs)

L’onomatopée est un mot court cherchant à imiter un son et à le retranscrire. Il existe tout un lexique cherchant à reproduire les sons proche des onomatopées : crisser, tintinnabuler, barrir, meugler, bêler…

L’idéophone est un mot traduisant des sentiments ou sensations : La douleur, aïe ! Ouille ! ; le dégoût : berk ! beurk, pouah ! ; le rire : ah ! ah ! ah ! hi ! hi ! hi ! ; le soulagement, ouf ! ; le silence, chut ! ; le  dépit : zut !
Un couac
Bling-bling

Ces notations valent par leur immédiateté et leur universalité. Elles prennent une valeur artistique lorsqu’elles sortent de leur domaine naturel. Elles sont alors proches de la comparaison ou de la métaphore.

Ce qu’il écluse, pompe, liche, tête, glougloute… inouïe ! toujours il a la dalle en pente…
Alphonse Boudard, Bleubite

« La demeur’ que je préfère,
C’est votre robe à froufrous,
Tout le restant m’indiffère,
J’ai rendez-vous avec vous ! »
Georges Brassens, « J’ai rendez-vous avec vous »

« Elle ne disait pas une phrase que mes oreilles ne fussent assourdies par ce mot qui tintinnabulait sans cesse et secouait sur moi l’agaçante et folle musique de ses mille grelots. »
Octave Mirbeau, Lettres de ma chaumière : La Tête coupée

L’harmonie imitative utilise de manière marquée allitérations et assonances pour produire une image sonore.

« Mais combien la seule L embellit la parole !
Lente elle coule ici, là légère elle vole ;
Le liquide des flots par elle est exprimé, »
Augustin de Piis, L’Harmonie imitative de la langue française

Les L liquides évoquent l’eau qui s’écoule ou les ailes qui battent l’air. Bien entendu, c’est le contexte qui permet d’en percevoir le sens.

Sons et sens »

Hiatus

L’hiatus est la rencontre de deux voyelles, sans élision. Dans le corps d’un vers, il y a hiatus chaque fois qu’un mot terminé par une voyelle sonore est immédiatement suivi par un mot commençant par une voyelle ou par un H muet (comme dans tu as, tu es, j’ai aiguisé, j’ai honoré). La conjonction de coordination « et », dont le T n’est jamais prononcé, produit un hiatus avec toute voyelle sonore qui la précède ou la suit (Il a apprécié et acheté ce recueil).
En revanche l’adverbe monosyllabique oui qui se prononce sur une aspiration peut succéder à une voyelle sonore (Eh oui !). Si un E muet précède oui, il peut être élidé, sauf dans ce, le, que car il perd son caractère muet en servant d’appui à la voix (ce oui, le oui traditionnel du mariage).
Les interjections ah ! eh ! oh ! dont le H final est aspiré, peuvent également être répétées sans produire d’hiatus. De même, elles peuvent être placées devant un mot commençant par une voyelle.
L’hiatus est en principe désagréable à l’oreille. Il s’intègre mal dans des vers qui voudraient célébrer la douceur de la vie.

Un à un
Peu à peu
Çà et là

À tort et à travers
il y avait
Sang et eau

Va-et-vient
Brouhaha
Il allait à sa perte

Alain Horvilleur, « Hiatus »

Bien évidemment, leur concentration dans ce petit poème est un exercice de style.

« J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux océans poussifs ! »
Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre »

Dans cet extrait du « Bateau ivre », Rimbaud durcit délibérément la diction avec la diphtongue UI (qui n’est pas à proprement parler un hiatus en raison de la synérèse) prolongée par un second I, puis des assonances avec ce même I combinées avec des allitérations en R et P. Le résultat phonique est un effet sec, grinçant et perçant propre à évoquer la violence du tumulte marin.

Proches du hiatus (et de l’allitération) on peut citer la cacophonie (mélange de sons blessant l’oreille),

« Non, il n’est rien que Nanine n’honore »
Voltaire, Nanine, Acte III, scène 8

Cette cacophonie voulue permet un effet comique.

Il y a aussi la dissonance, rencontre peu agréable de sons.

« Ils s’en allèrent les premiers les pompiers, puis s’en furent les sergents de ville »
Raymond Queneau, Pierrot mon ami

Elle est souvent employée pour créer une discordance de rythme, de syntaxe ou de ton pour souligner des fragments de phrase. Chez Queneau la discordance est double : d’abord une dislocation (rejet de « pompiers ») et une inversion syntaxique (deuxième membre de la phrase), ensuite il y a une discordance de registres de langue : style familier dans le premier membre, style soutenu dans le second. L’effet est amusant.

Citons aussi le paréchème (successions de syllabes de même sonorité :

« Même et marine Marmara, /
Tu tues un temps tendre à périr. /
L’âme erre amène en des désirs /
Qui quitte enfin un art à rats. »
Jean Lescure, « Poème pour bègue »

Nous avons là une production artistique d’exercices d’élocution.

Nous connaissons tous aussi les tautophonies (répétition excessive du même son) : « Si six scies scient six cigares, six cent six scies scient six cent six cigares » ou « Ton thé t’a-t-il ôté ta toux ? »

Homonymie

L’homonymie est la relation entre les mots d’une langue qui ont la même forme orale ou écrite mais des sens différents. Elle devient un procédé artistique quand elle veut surprendre par le rapprochement polysémique.

« La mère de l’amour eut la mer pour berceau, »
Pierre de Marbeuf

Le rapprochement des homonymes « mère » et « mer » permet d’insister sur les circonstances de la naissance de Vénus surgie de l’écume marine.

Paronomase

La paronomase consiste à rapprocher des mots de sonorité voisine (mais de sens différents). Elle est amplement utilisée dans pour des énoncés courts et forts : les publicités, les maximes, les titres…
« Café Legal, le goût »
« Eleska, c’est exquis » (Sacha Guitry)
« Comparaison n’est pas raison »
Banco à Bangkok pour OSS 117, film de Hunebelle
Plus littéraires :

« Et l’on peut me réduire à vivre sans bonheur,
Mais non pas me résoudre à vivre sans honneur. »
Corneille, Le Cid

Le dramaturge insiste sur l’échelle des valeurs pour son héros chez qui l’idéal aristocratique passe avant toute autre considération. La paronomase est renforcée par le placement des mots à la rime sémantique.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
François Rabelais, Pantagruel

La paronomase renforce l’aphorisme et facilite sa mémorisation.

« Le bouquet du vin est, ô combien, plus friand, riant, priant, plus céleste et délicieux que celui de l’huile ! »
Rabelais, Gargantua

L’auteur est dans l’incantation.

Syllepse

La syllepse est un trope qui associe en un seul énoncé le sens primitif et le sens dérivé d’un mot.
Dans Andromaque, Racine fait dire à Hermione : « Je percerai le cœur que je n’ai pu toucher ». Le « cœur » est une syllepse car pris dans son sens primitif d’organe, puis dans son sens étendu de lieu symbolique de l’affectivité. Hermione révèle ainsi l’ambiguïté de ses sentiments : elle veut faire assassiner Pyrrhus qu’elle aime et qui refuse de l’aimer.

L’antanaclase et la diaphore

L’antanaclase est la répétition, à l’intérieur d’un même énoncé, du même mot (ou groupe de mots) avec des sens différents. Il y a diaphore quand la reprise concerne le même domaine. Elle frappe l’esprit et favorise la mémorisation.

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. »
Pascal

Pascal joue habilement sur la polysémie du mot raison. D’abord il est employé au sens de motif, puis de faculté, pour suggérer que la raison est insuffisante lorsqu’il s’agit de décider.

« Un homme de caractère n’a pas toujours bon caractère. »
Jules Renard

Une personne énergique est rarement agréable à vivre.

« La France a, dit l’Almanach Impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. »
Rochefort, Journal « La Lanterne »

Le procédé est ici polémique. Il suggère que chaque Français est déçu par Napoléon III ou que les griefs contre l’Empire sont innombrables.

Les calembours et les à-peu-près

Le calembour est un jeu de mots fondé sur une similitude de sens (ambiguïté sémantique) ou sur l’homonymie, l’homographie ou l’homophonie, et sur la polysémie. Il n’a pas bonne réputation en littérature, car jugé facile ou grossier. Pourtant les exemples qui suivent montre sa puissance de dénonciation.

« Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »
Beaumarchais

Ce calembour est renforcé par un polyptote (mur murant), une allitération et un chiasme pour dénoncer avec force l’impopularité du mur des Fermiers généraux.

« Mon père est marinier
Dans cette péniche
Ma mère dit : « La paix niche
Dans ce mari niais »
Ma mère est habile
Mais ma bile est amère
Car mon père et ses verres
Ont les pieds fragiles »
Boby Lapointe, extrait de « Mon père et ses verres »

Un écrivain dit sévère a parfois inclus des propos qui l’étaient moins dans ses vers.

« Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle
Et le désir s’accroît quand l’effet se recule »
Corneille, Polyeucte

Le roman autobiographique de Marie Cardinal, Les Mots pour le dire, est un titre qui se sert du calembour. Relatant sa psychanalyse, le récit permet à l’auteur de se rappeler les traumatismes de son enfance et d’utiliser le langage pour mettre des mots sur ses maux afin de tenter d’en guérir.

Le calembour est l’arme préférée des humoristes.

« Je connais un critique qui est en même temps auteur… ce qui le met en tant qu’auteur dans une situation critique ! »
Raymond Devos

« Un concerné n’est pas forcément un imbécile en état de siège pas plus qu’un concubin n’est obligatoirement un abruti de nationalité cubaine. »
Pierre Dac

Bonnes manières

« Lorsque tu verras une bonne
D’enfants, et non autre personne,
Assise au milieu d’un tender
Ou wagon de chemin de fer
Découvre-toi sur son passage
Salut à son noble visage !
Moralité : à bonne en tender, salut ! »
Alphonse Allais

En poésie formelle le calembour est utilisé pour les rimes équivoquées quand les mots à la fin de chaque vers sont repris à la rime du vers suivant par des mots consonants mais qui diffèrent de sens.

La « Petite épître au roi » de Clément Marot en est un exemple fameux.
« En m’ébattant je fais rondeaux en rime,
Et en rimant bien souvent, je m’enrime ;
Bref, c’est pitié d’entre nous rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime ailleurs,
Et quand vous plait, mieux que moi rimassez,
Des biens avez et de la rime assez :
Mais moi, à tout ma rime et ma rimaille,
Je ne soutiens (dont je suis marri) maille.
Or ce me dit (un jour quelque rimart)
« Vien ça, Marot, trouves tu en rime art
Qui serve aux gens, toi qui as rimassé ?
– Oui vraiment, réponds-je, Henry Macé ;
Car, vois-tu bien, la personne rimante
Qui va au jardin de son sens la rime ente,
Si elle n’a des biens en rimoyant,
Elle prendra plaisir en rime oyant.
Et m’est avis, qui si je ne rimois,
Mon pauvre corps ne serait nourri mois,
Ne demi-jour. Car la moindre rimette,
C’est le plaisir, où faut que mon ris mette. »
Si vous supplie, qu’à ce jeune rimeur
Fassiez avoir par sa rime heur,
Affin qu’on dise, en prose ou en rimant ;
« Ce rimailleur, qui s’allait enrimant,
Tant rimassa, rima et rimonna,
Qu’il a connu quel bien par rime on a. »

Le calembour est également utilisé dans les vers homorimes.
La rime « milliardaire » est un jeu de l’esprit utilisé dans les vers holorimes (olorimes) ou pantorimes.

« Par les bois du Djinn où s’entasse de l’effroi.
Parle et bois du gin ou cent tasses de lait froid. »
Alphonse Allais

Exhortation au pauvre Dante

« Ah ! vois au pont du Loing ! De là, vogue, en mer, Dante !
Hâve oiseau, pondu loin de la vogue ennuyeuse ! »
(la rime n’est pas très riche, mais j’aime mieux ça que la trivialité)
Alphonse Allais

À noter que le commentaire facétieux est de la plume de l’auteur.

« Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses,
Danse, aime, bleu laquais, ris d’oser des mots roses. »
Charles Cros

Ce type de rimes a pu exceptionnellement allier la virtuosité à l’expression des sentiments

« Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas ! »
Louise de Vilmorin, L’Alphabet des aveux

L’à-peu-près essaie, dans le langage enfantin, de ramener l’inconnu au connu. Ma fille traduisait « topinambour » par « copine au tambour ». Les humoristes jouent volontiers de cet effet.
« Marie en Toilette » (Antoinette) ; une grosse lagune à combler (lacune).
L’expression populaire, « Il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages » a été transformée, au moment de la guerre du Vietnam, en « il ne faut pas prendre les sampans du pont Thieu pour des canots de sauvetage ». Le journal satirique, « Le Canard enchaîné » est coutumier du fait :
— À la suite de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, le journal a produit la manchette : « Au Japon, la réalité dépasse la fission ».
— Évoquant la crise de la dette publique grecque, il écrit : « La Crise grecque ? Pas de quoi en faire un dra(ch)me ! ».

Le contrepet ou contrepèterie

Le procédé permute des syllabes appartenant à des mots distincts, de manière à en modifier le sens tout en conservant le matériel sonore.
Le contrepet est souvent implicite. Il dissimule des allusions paillardes qui ne sont perceptibles que pour les esprits préparés. Dans les exemples qui suivent, ils sont explicites.

« En l’aultre deux ou troys mirouers ardens, dont il faisoit enrager aulcunesfois les hommes et les femmes, & leur faisoit perdre contenance à l’esglise, car il disoit qu’il n’y avoit qu’ung antistrophe entre femme folle à la messe, & femme molle à la fesse. »
« Mais (dist il) equivoquez sur A beau mont le vicomte.
Ie ne sçauroys, dist elle.
C’est (dist il) à beau con le vit monte. »
Rabelais Pantagruel

Hugo a osé un contrepet antiphrastique puisqu’il a caché une grivoiserie dans la critique elle-même.
« Le calembour, c’est la f(i)ente de l’esprit qui v()ole. » Victor Hugo
Mais d’autres domaines ont su l’accueillir.
« Martyr, c’est pourrir un peu. »
Prévert nous gratifie ici d’une formule gentiment irrévérencieuse.

Les procédés qui jouent sur le matériel visuel ou sonore des mots pour en tirer un sens nouveau ou le remettre en question

Anagramme

Faire une anagramme consiste à composer un mot en mélangeant les lettres d’un autre. Le procédé a permis à des auteurs de composer leur pseudonyme : Voltaire est l’anagramme de son patronyme réel (Arovet L.I, c’est-à-dire Arouet le Jeune, en latin u = v et i = j). Boris Vian s’est décliné en Bison ravi, Brisavion, Baron Visi. François Rabelais a choisi Alcofribas Nasier. Paul Verlaine s’est représenté dans ses poèmes sous le nom de Pauvre Lélian. Yourcenar est l’anagramme de Crayencour.
Georges Perec, dans Alphabets et Beaux présents, belles absentes, s’est servi du procédé à des fins poétiques, de même que plusieurs participants de l’OuLiPo.
Ronsard a produit une jolie anagramme dans Continuation des amours :

Marie, qui voudrait votre beau nom tourner,
Il trouverait Aimer : aimez-moi donc, Marie,

Le palindrome

Le palindrome est un groupe de mots qui peut être lu de gauche à droite (sens normal) ou de droite à gauche (sens inverse) :
Charles Cros : « Élu par cette crapule. »
Louise de Vilmorin : « L’âme sûre ruse mal. »
Le procédé est étonnant, mais il n’est pas d’un grand intérêt pour l’analyse stylistique, d’autant plus qu’il doit être signalé pour être perçu.

Isolexisme ou polyptote

Le polyptote est la reprise de plusieurs mots de même racine, ou encore d’un même verbe, à divers temps ou personnes.

« Madame se meurt ! Madame est morte ! »
Bossuet, Oraison funèbre de Henriette-Anne d’Angleterre

Le polyptote souligne la fin brutale de la princesse. Cette rapidité avait beaucoup marqué les esprits au point qu’on suspectait un empoisonnement. Bossuet, avec diplomatie, respecte la volonté royale d’éviter le scandale. Mais, en pasteur convaincu, il veut frapper les esprits des fidèles afin qu’ils se tiennent prêts pour leur dernière heure.

« Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes
Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes »
Guillaume Apollinaire, « Cortège », Alcools

À sa façon, quelques années avant Valéry qui écrivait dans La Crise de l’esprit : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », Apollinaire reprend le thème élégiaque du temps destructeur. Notons l’ellipse du « vous » qui apostrophe l’Antiquité et ses divinités.

Acrostiche

Un acrostiche est un poème dont les initiales des vers forment un mot lisible verticalement. Ce mot est souvent le nom de l’auteur, le nom de celui à qui on dédie le poème ou un mot en rapport avec le titre.

« Voulez-vous que verté vous die ?
Il n’est jouer qu’en maladie
Lettre vraye que tragedie
Lasche homme que chevalereux,
Orrible son que melodie,
Ne bien conseillé qu’amoureux »
Villon, « Ballade des contre-vérités »

Le sonnet de Félix Arvers

• Si les lettres initiales suivent l’ordre de l’alphabet, on parle d’abécédaire.
• Le mésostiche place le mot sur les lettres médianes du poème

Mésostiche

• Le téléstiche utilise les lettres finales du poème, il peut se lire aussi de bas en haut.

Dans le bus, ce jour-là
Chapeau à tresse ai vu.
Zazou se querellait
Avec un autre zozo
Qu’était pas du même club.
A la gare, l’ai revu
C’t été, en pardessus

• L’acroteleuton combine l’acrostiche et le téléstiche.

Le calligramme

Le calligramme dessine avec les mots l’objet ou la personne sujet du poème. Apollinaire en a composé plusieurs.

Le calligramme

Les procédés qui créent ou modifient un mot afin de produire un effet particulier, parfois esthétique

Archaïsme

Un archaïsme est l’emploi d’un mot ancien qui n’a plus cours dans le langage courant. C’est aussi l’emploi d’un mot courant avec un sens oublié. La difficulté de l’archaïsme est qu’il nécessite une bonne connaissance de l’histoire de la langue. En outre il doit pouvoir être compris par le destinataire.

« Mais de ce souvenir mon âme possédée,
A deux fois en dormant revu la même idée. »
Racine, Athalie

Le mot « idée » a longtemps signifié image. Aujourd’hui il a le sens de concept. Les spectateurs contemporains de Racine n’avaient aucune difficulté à le comprendre. Maintenant il faut l’expliquer. Cependant, stylistiquement, son emploi n’a rien de remarquable.

L’emploi d’un lexique ancien est nécessité par la « couleur locale ». Il permet au lecteur de se projeter plus facilement dans l’époque décrite. Marguerite Yourcenar, avec L’Œuvre au noir, nous transporte dans l’univers de la Renaissance au moyen de mots d’alors aujourd’hui désuets : la nation belgique au lieu de la nation belge ; inane pour inutile ; atourner pour habiller ; bourdeau pour bordel…

L’archaïsme peut-être l’expression de la nostalgie. Brassens a repris un texte de Villon pour faire soupirer sur les temps d’autrefois, alors qu’au XVe siècle, « antan » signifiait l’année dernière.

« Dites-moi où, n’en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan ? »
Villon, « Ballade des Dames du temps jadis »

Parfois il s’agit de surprendre. L’emploi de couvre-chef pour chapeau ou de vélocipède pour bicyclette peut donner un ton solennel ou compassé, voire pédant comme dans l’exemple suivant :

« Cela manque de galbe et de couleur », continua le voisin de Frédéric. « Ie cuyde, messire, que nous avons dégénéré ! À la bonne époque de Loys onzième, voire de Benjamin Constant, il y avait plus de mutinerie parmi les escholiers. Ie les treuve pacifiques comme moutons, bêtes comme cornichons, et idoines à estre épiciers, Pasque-Dieu ! Et voilà ce qu’on appelle la Jeunesse des écoles ! »
Flaubert, L’Éducation sentimentale

S’ils sont utilisés conjointement avec des termes très récents, ils peuvent revêtir une valeur satirique, par exemple quand dans la conversation on use d’un « moult » au lieu de « beaucoup ».

Régionalismes, niveaux de langue, emprunts épisodiques

Ici, nous parlerons des régionalismes comme des emprunts épisodiques aux dialectes régionaux parsemés dans un français standard. Nous pouvons étendre le concept à l’utilisation ponctuelle de parlers sociologiques (argots, jargons techniques, expressions de classe sociale) ou étrangers.
Le premier effet voulu est celui de la « couleur locale » quand l’auteur veut inscrire son œuvre dans un cadre géographique particulier. Romantisme et Parnasse ont beaucoup utilisé le concept.

Quelques exemples :

Mérimée dans Colomba

« Au thé, le capitaine charma de nouveau miss Lydia par une histoire de vendette transversale, encore plus bizarre que la première, et il acheva de l’enthousiasmer pour la Corse en lui décrivant l’aspect étrange, sauvage du pays, le caractère original de ses habitants, leur hospitalité et leurs mœurs primitives. »

L’auteur veut captiver son auditrice dont il est amoureux.

« Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encor dans l’air où vibraient leurs voix fortes
La chaleur du carnage et ses âcres parfums. »
José-Maria de Heredia, « Soir de bataille »

Le tableau de genre évoque la puissance militaire romaine.

« Un tapis-franc, en argot de vol et de meurtre, signifie un estaminet ou un cabaret du plus bas étage.
Un repris de justice qui, dans cette langue immonde, s’appelle un ogre, ou une femme de même dégradation qui s’appelle une ogresse, tiennent ordinairement ces tavernes, hantées par le rebut de la population parisienne : forçats libérés, escrocs, voleurs, assassins y abondent. »
Eugène Sue, Les Mystères de Paris

Ce début de l’œuvre indique clairement que l’auteur veut dépayser et faire peur. À nos portes commencent des terres étrangères et dangereuses.

C’est la verdeur du langage qui est recherchée comme dans cet extrait de Mort à crédit :

« Elle m’attaque au parapluie.
Elle me branle des grands coups de riflard en plein dans la tronche. Le manche lui en pète dans la main. »
Céline

Dans cet extrait de Guillaume Coquillart tiré de Les Droitz nouveaulx, la verdeur populaire est à visée satirique pour dénoncer les inconvénients de l’allaitement :

« beau petit teton,
Cul troussé pour faire virade,
Le sain poignant, tendre, mignon
Il n’est rien au monde plus sade.
S’elle est nourrisse, elle sera fade
Avalee, plaine de lambeaux :
Faisandes deviennent beccasses,
Les culz troussez deviennent peaux,
Les tetons deviennent tetasses. »

Mot-valise

Mot créé à partir de deux termes contractés en un seul parce qu’une homophonie partielle le permet.
Il s’agit alors d’amuser, d’étonner.
« donner l’alcoolade » Queneau
« Vous êtes tournipilant à la fin ! » Queneau, Fleurs bleues
« Franglais » Etiemble
« Pourriel » contraction de pourri et courriel

« Ragueneau me plaît. C’est pourquoi, dame Lise,
Je défends que quelqu’un le ridicoculise. »
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac

Néologisme et mots ad hoc

Le néologisme est une création de mot à partir d’une racine lexicale existante. L’usage confirme ou non par la suite la validité ou l’intérêt de l’invention.
En dehors des besoins dus aux évolutions des techniques, on peut citer quelques réussites langagières dans le registre familier mais expressif : carambouille, copinage, déboussoler, entourloupette, gamberger, grenouillage, lèche-bottes, lèche-vitrines, lève-tard / lève-tôt, arnaque, baraqué, baratin, barbouze, bidule, combine, dingue, magouille, mirettes, patapouf, peaufiner, pinailler, pisse-copie, pistonner, pousse-au-crime, prêchi-prêcha…
Le néologisme devient véritablement une figure de style lorsque son auteur le rend nécessaire :

« Les ordres religieux avaient rebâti dans leur couvent la Thébaïde… Ainsi lorsqu’on était près d’entrer dans Clairvaux, on reconnaissait Dieu de toute part. On trouvait au milieu du jour un silence pareil à celui du milieu de la nuit : le seul bruit qu’on y entendait était le son des différents ouvrages des mains
ou celui de la voix des frères lorsqu’ils chantaient les louanges du Seigneur. La renommée seule de cette grande aphonie imprimait une telle révérence que les séculiers craignaient de dire une parole. »
Chateaubriand, Vie de Rancé

Dans cet extrait, l’auteur prépare son néologisme et le rend indispensable. Par touches successives, il évoque l’environnement monastique : d’abord, la solitude du désert avec la Thébaïde, puis le « silence » des lieux que les activités manuelles ou liturgiques des moines ne viennent pas troubler. Ainsi est justifié le néologisme qui est absence de voix ou silence car la voix est intériorisée dans la prière.

Mais le néologisme peut consister aussi à donner un sens nouveau à un mot existant :

Quel artificier
Tu meurs ! Fauve César !
Francis Ponge, Douze petits écrits, « Trois poésies »

D’abord nous sommes alertés par la construction anormale de la phrase exclamative à la seconde personne. Ensuite l’apostrophe « Fauve César ! » contribue à nous aiguiller vers le « Qualis artifex pereo » de Néron mourant. La formule que Suétone prête à l’empereur peut être traduite par « Quel artiste je meurs ! », ou moins littéralement par « Quel artiste périt avec moi ! ». Artificier par référence à artifex n’est donc plus un synonyme de pyrotechnicien, il est devenu celui qui crée l’artifice, acception nouvelle en français.

Le mot ad hoc est, quant à lui, une véritable invention élaborée pour la circonstance. Il a souvent un caractère paronymique évocateur.

« Il l’emparouille et l’endosque contre terre
Il le rague et le roupète jusqu’à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l’écorcobalisse. »
Henri Michaux, « Le grand combat »

Nous pouvons noter également l’effet proche de l’harmonie imitative.

La catachrèse

La catachrèse est un procédé qui consiste à détourner un mot de son sens propre, elle est voisine de la métaphore.
C’est le plus souvent une métaphore lexicalisée, c’est-à-dire qui n’est plus sentie comme originale. Par exemple les ailes d’un moulin, les pieds d’une table, à cheval sur une branche…
« Mettre la main à la patte » est une catachrèse involontaire par graphie fautive.
Elle devient intéressante à analyser quand elle est intentionnelle.

Un effet comique : « Un territoire où la main de l’homme n’a jamais mis le pied. »

« T’accommodes-tu mieux de ces douces Ménades,
Qui, dans leurs vains chagrins, sans mal toujours malades,
Se font des mois entiers, sur un lit effronté,
Traiter d’une visible et parfaite santé ; »
Boileau, Satire X

Le satiriste misogyne dénonce les épouses délurées qui se refusent au devoir conjugal pour obtenir de leur mari la satisfaction d’un caprice. Son emploi ici est proche de l’hypallage.

« Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux. »
Lamartine, « Le lac »

Le poète commet une incohérence sans doute voulue pour évoquer les rames qui frappent doucement l’eau, hypnotisent les amants et les invitent à intérioriser leur regard.

Les procédés portant sur des combinaisons syntaxiques particulières, ou figures de construction

Renforcement ou atténuation du sujet

— Le nous de majesté, ou pluriel de majesté (pluralis majestatis) est l’usage d’un pronom personnel pluriel à la place d’un pronom singulier je. Ce nous est utilisé par un monarque ou une sommité religieuse dans des actes officiels. Il exprime la solennité du discours.
« Nous, Lion, Roi des Animaux, décrétons : Afin que la paix règne parmi tous nos sujets, il sera désormais expressément défendu de se manger les uns les autres. » Le Roman de Renard

Le nous de modestie, utilisé par les auteurs de publications scientifiques et universitaires, atténue la subjectivité d’un je derrière un faux pluriel plus objectif.

Dislocation (peut être A)

La dislocation permet de mettre en relief un membre de la phrase au moyen de pronoms qui permettent l’anticipation ou la reprise.
La dislocation signe parfois la langue orale, Céline utilise couramment le procédé.
« Le colonel n’avait jamais eu d’imagination lui. » Voyage au bout de la nuit
Colonel est repris par le pronom anaphorique lui.
« Il s’appelait Pinçon ce salaud-là, le commandant Pinçon. J’espère qu’à l’heure actuelle il est bien crevé (et pas d’une mort pépère). Mais à ce moment-là, dont je parle, il était encore salement vivant, le Pinçon. » Voyage au bout de la nuit
« Il » est un pronom cataphorique car il annonce Pinçon.

La dislocation appartient aux procédés d’emphase qui mettent en valeur un élément :

« Et ce grand nom de Cid que tu viens de gagner
Ne fait-il pas trop voir sur qui tu dois régner ? »
Corneille, Le Cid

Enchâssement ou parenthèse

La parenthèse consiste à interrompre provisoirement la construction d’une phrase (thème / prédicat), afin d’intercaler un élément secondaire (groupe de mots, proposition) par rapport à l’affirmation principale : cause, description, précision, observation. Cette incise met aussi l’accent sur l’élément intercalé.

« Sa fortune était sinon faite, on ne faisait pas sa fortune auprès du roi, mais sa position assurée. »
Alexandre Dumas, Mémoires

Le procédé souligne un jugement de valeur.

« Je les adore, dit-elle, mais (elle hocha la tête d’un air grave) je suis trop bien élevée pour manger des raisins volés. »
Marcel Pagnol, Le Temps des secrets

L’attitude renforce la déclaration.

Lorsque la parenthèse entretient un lien syntaxique avec ce qui précède, on parle de parembole.

« Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité »
Michaux, Peintures, « Clown »

Épiphrase

Littré définit l’épiphrase comme une figure de style « par laquelle on ajoute, à une phrase qui semblait finie, un ou plusieurs membres pour développer des idées accessoires. » En ce sens, elle peut paraître proche de l’hyperbate. Elle fonctionne souvent comme l’ajout de commentaires personnels à l’énoncé.

« Pour qui venge son père il n’est point de forfaits,
Et c’est vendre son sang que se rendre aux bienfaits. »
Corneille, Cinna

Le droit filial à la vengeance est assorti d’un reproche moral à l’encontre de celui qui voudrait oublier.

Apposition (peut être A ou O)

L’apposition permet de qualifier un terme en lui rattachant d’autres mots ou groupes de mots placés à sa suite ou antéposés. Elle a une valeur causale ou descriptive. Quand elle explicite le premier terme, elle recherche souvent l’expressivité.

« Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. »
Victor Hugo, Les Contemplations, « Demain dès l’aube »

Le poète qui se rend sur la tombe de sa fille décrit sa marche somnambulique. Il évoque son effondrement intérieur, le chagrin qui l’obnubile, par une succession d’appositions. Le procédé est renforcé par une structure rythmique croissante 1/3/4/4 qui se résout dans un enjambement avec rejet mettant en valeur « triste ». Notons également la rupture du rythme qui décroît brutalement sur un terme monosyllabique délimité par la suspension de la virgule, alors que la règle prosodique demande la liaison avec la voyelle suivante.

« Peuple russe, tremblant et morne, tu chemines,
Serf à Saint-Pétersbourg, ou forçat dans les mines »
Victor Hugo, Les Châtiments, « Carte d’Europe »

Ici les appositions sont à la fois antéposées et postposées. La postposition vient expliquer a posteriori l’antéposition.

Rythme ternaire (surtout O)

Ce rythme est l’expression de l’équilibre. Pensons au trépied qui est toujours d’aplomb (du moins tant que son centre de gravité ne sort pas du polygone de sustentation).
Ce rythme appartient plutôt aux effets oratoires, il est utilisé dans les formules quand on veut leur donner un aspect définitif ou solennel.

Exemple : « Je n’ai plus rien à apprendre, j’ai marché plus vite qu’un autre, et j’ai fait le tour de ma vie. » Mémoires d’Outre-Tombe de François-René de Chateaubriand

Une telle affirmation péremptoire ne peut plus être discutée.

Deux autres exemples tirés du texte « Guerre » de Voltaire :

« Cette province, […] a beau protester qu’elle ne le connaît pas, qu’elle n’a nulle envie d’être gouvernée par lui ; que, pour donner des lois aux gens, il faut au moins avoir leur consentement »

Ici le rythme ternaire évoque l’équilibre de l’art oratoire. Il met en valeur l’exposé raisonné des arguments du plaidoyer. Le rythme est de plus croissant (cadence majeure) soulignant l’ampleur de l’étonnement.

« Il se trouve à la fois cinq ou six puissances belligérantes, tantôt trois contre trois, tantôt deux contre quatre, tantôt une contre cinq, se détestant toutes également les unes les autres, s’unissant et s’attaquant tour à tour… »

Ces rythmes ternaires enchâssés évoquent un semblant d’ordre dans le désordre général. L’effet produit est ironique.

Rythme accumulatif (peut être un procédé affectif)

Lorsqu’il y a plus de trois éléments, on parle alors de rythme accumulatif, d’accumulation ou d’énumération. Cette série évoque la jubilation devant l’exubérance de la vie, la complexité, la richesse d’un être ou d’un spectacle. Elle peut aussi au contraire accabler ou écraser.

« Vous y verriez un baromètre à capucin qui sort quand il pleut, des gravures exécrables qui ôtent l’appétit, toutes encadrées en bois noir verni à filets dorés ; un cartel en écaille incrustée de cuivre ; un poêle vert, des quinquets d’Argand où la poussière se combine avec l’huile, une longue table couverte en toile cirée assez grasse pour qu’un facétieux externe y écrive son nom en se servant de son doigt comme de style, des chaises estropiées, de petits paillassons piteux en sparterie qui se déroule toujours sans se perdre jamais, puis des chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se carbonise. »
Balzac Le Père Goriot

Le bric-à-brac du salon, dans la pension Vauquer, nous apprend beaucoup sur la propriétaire des lieux : manque de goût, prétention, pingrerie, négligence, au point de rendre l’atmosphère insupportable.

Les rythmes dans la phrase »

L’ellipse

L’ellipse est l’effacement d’un élément dans un énoncé sans que sa disparition nuise au sens. L’effet produit est une accélération de l’énoncé qui devient plus compact, qui surprend par son aspect inhabituel. Lorsque l’ellipse se contente d’éviter les répétitions, elle ne mérite pas vraiment d’être relevée.

« Les mains cessent de prendre, les bras d’agir, les jambes de marcher »
La Fontaine, Fables, « Les Membres et l’estomac »

L’ellipse du verbe cesser allège simplement l’énoncé.

« Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ? »
Racine, Phèdre

Les deux ellipses, d’abord celle de « quand tu étais », puis de « si tu avais été fidèle » sont plus intéressantes. Cet énoncé minimaliste de Phèdre souligne le jaillissement incontrôlé d’un aveu interdit. L’interrogation elliptique finale laisse imaginer la force d’une passion qui n’aurait plus été refoulée. Les points de suspension dans un récit joueraient le même rôle.

« Je sens vibrer en moi toutes les passions
D’un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur l’immense gouffre
Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir ! »
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « La Musique »

Chez Baudelaire, l’ellipse finale souligne le manque, l’absence mortifère, caractéristique du spleen.

« Baobabs beaucoup baobabs
baobabs
près, loin, alentour
Baobabs, Baobabs »
Henri Michaux, Plume, « Télégramme de Dakar »

Dans cet extrait, le poète utilise le style télégraphique qui traduit la suite ininterrompus des impressions lors d’un voyage en voiture, mais aussi imite le parler « petit nègre ».

Le zeugme ou attelage

Le zeugme est une variété de l’ellipse. Il emploie des verbes polysémiques dans plusieurs membres de la phrase mais en évitant leur répétition. Dans la construction ainsi obtenue, les compléments sont incompatibles entre eux mais compatibles un à un avec chacun des sens de ces verbes. Sauf s’il est intentionnel, le zeugme est fautif. Dans la langue littéraire il crée un effet de surprise par des associations inhabituelles.

« Vêtu de probité candide et de lin blanc »
Victor Hugo, La Légende des siècles, « Booz endormi »

Le poète l’utilise pour créer un effet puissant d’alliance entre aspects concret et abstrait. Tout est pur chez Booz.

« Contre ses persiennes closes, Mme Massot tricote, enfermée dans sa chambre et dans sa surdité. »
Roger Martin du Gard

« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours »
Guillaume Apollinaire, Alcools

Les amours ne coulent pas à la manière de l’eau. Le zeugme permet un rapprochement entre l’écoulement de l’eau, symbole du temps qui fuit comme dans la clepsydre, et l’effilochement inéluctable des amours humaines. Il devient un procédé au service de l’élégie.

Dans la langue moderne, l’attelage est souvent humoristique dans des maximes décalées.
« Il vaut mieux s’enfoncer dans la nuit noire, plutôt qu’un clou dans la fesse gauche. »
« Il vaut mieux prêter à 15 % qu’à confusion. »
Pierre Dac
« Elle [Danièle] est pulpeuse, sensuelle, protestante. »
Matzneff, Mes amours décomposés

L’anacoluthe

Il s’agit d’une rupture de construction. En principe les tournures ainsi produites sont fautives au regard de la syntaxe.
Intentionnelle, elle crée une rupture qui attire l’attention. Elle privilégie le sens par rapport à la grammaire. Elle permet de partager des émotions, des souffrances, des étonnements.

« Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « L’Albatros »

L’anacoluthe met en évidence l’inadaptation du poète.

« Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. »
Pascal, Pensées

Elle attire l’attention sur la futilité de certaines causes dans l’histoire humaine.

L’épanaphore ou épanalepse ou réduplication (quand la répétition est immédiate)

C’est la répétition d’un même groupe de mots dans la phrase.
Procédé d’insistance à effet divers, dans les extraits suivants, comme la douleur :

« Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle… »
Racine, Andromaque

ou le comique (pingrerie et refus dans la prise de responsabilité) :

« C’est à vous, Monsieur, d’aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.
— Que diable allait-il faire dans cette galère ? Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.
— Va-t’en, Scapin, va-t’en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui.
— La justice en pleine mer ! Vous moquez-vous des gens
— Que diable allait-il faire dans cette galère ?
— Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici, l’action d’un serviteur fidèle.
— Quoi, Monsieur ?
— Que tu ailles dire à ce Turc, qu’il me renvoie mon fils, et que tu te mets à sa place, jusqu’à ce que j’aie amassé la somme qu’il demande.
— Eh, Monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens, que d’aller recevoir un misérable comme moi, à la place de votre fils ?
— Que diable allait-il faire dans cette galère ? »
Molière, Les Fourberies de Scapin

L’anaphore

L’anaphore est une figure d’insistance, elle répète le ou les mêmes mots au début de plusieurs phrases ou vers. Elle rythme la phrase, souligne un mot en le situant à l’attaque de l’énoncé. Elle oriente donc vers un thème. Elle exalte ou déprécie le mot qu’elle met en valeur.

« Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre. »
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal

Le poète célèbre ses frères de race en montrant ceux que le colonisateur méprisant refuse de voir.

Épiphore

L’épiphore procède comme l’anaphore à la différence que la répétition se situe en fin de phrase ou de vers. Les effets produits sont similaires.

« Et toujours ce parfum de foin coupé qui venait de Bérénice, qui résumait Bérénice, qui le pénétrait de Bérénice »
Louis Aragon, Aurélien

L’épiphore traduit l’obsession du jeune homme. Ce parfum entêtant est la signature olfactive de la jeune femme.

Antépériphore ou antépiphore ou symploque ou inclusion

L’antépériphore est une combinaison de l’anaphore et de l’épiphore : un même mot ou groupe de mots est répété en début et en fin de phrase. Elle consiste aussi dans l’emploi d’un même vers en début et en fin de strophe.

« Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?
Peut-on déchirer des ténèbres
Plus denses que la poix, sans matin et sans soir
Sans astres, sans éclairs funèbres ?
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ? »
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « L’Irréparable »

Anadiplose et épanadiplose

L’anadiplose est la répétition du ou des mots qui terminent une phrase au début de la phrase suivante. Ce procédé renforce la concaténation.
Une épanadiplose est la répétition du ou des mots qui commence une phrase à la fin de la suivante. Ce réemploi permet d’insister sur le ou les termes.
Quand cette forme de répétition se trouve au début et à la fin d’une forme littéraire (récit, pièce de théâtre), on parle alors d’épanadiplose narrative. La Cantatrice chauve d’Ionesco est bâtie sur ce principe de retour cyclique. « Clair de lune », dans Les Orientales de Victor Hugo, repose sur le même principe. Le vers « La lune était sereine et jouait sur les flots » ouvre et ferme le poème pour souligner l’indifférence de la nature aux exactions ottomanes.

L’exemple suivant combine une épanadiplose et une anadiplose en forme de chiasme :

« L’enfance sait ce qu’elle veut. Elle veut sortir de l’enfance »
Jean Cocteau, La Difficulté d’être

L’épanadiplose porte sur « enfance » ; L’anadiplose sur « elle veut ».

L’hyperbole

L’hyperbole consiste à exagérer de manière méliorative ou péjorative une impression. Il s’agit de frapper l’esprit de l’auditeur ou du lecteur.

« De ses mots savants les forces inconnues
Transportent les rochers, font descendre les nues,
Et briller dans la nuit l’éclat de deux soleils. »
Corneille, L’Illusion comique

La force du langage est amplifiée au moyen d’images cosmiques.

Dans l’exemple suivant, elle a un rôle ironique, elle exprime l’indignation du fabuliste :

« Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir. »
La Fontaine, Fables, « Les Animaux malades de la peste »

La gradation ou renchérissement

La gradation fait succéder des termes d’intensité croissante ; elle produit un effet de focalisation, de grossissement :

« C’est un roc ! c’est un pic ! c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ?… c’est une péninsule !
Rostand, Cyrano de Bergerac

Cyrano utilise le procédé par auto-dérision. Il annihile par avance les critiques que l’on pourrait adresser à son appendice nasal démesuré. Il transcende sa difformité physique en sujet poétique.

La correction

La correction est le procédé inverse de la gradation en utilisant des termes d’intensité décroissante.

« Ça dure bien toute une nuit à brûler, un village, même un petit, à la fin, on dirait une fleur énorme, puis rien qu’un bouton, puis plus rien. »
Céline, Voyage au bout de la nuit

L’absurdité de la guerre est dénoncée par ces métaphores mélioratives, mais figures d’anéantissement irrémédiable, dans un processus de régression contre nature.

« Un des derniers se vantait d’être
En Éloquence si grand Maître,
Qu’il rendrait disert un badaud,
Un manant, un rustre, un lourdaud ;
Oui, messieurs, un lourdaud, un animal, un âne. »
La Fontaine, Fables, « Le Charlatan »

Le bonimenteur vante son art de la métamorphose en rabaissant préalablement le sujet de son expérience.

L’asyndète et la parataxe

Ces procédés se contentent de juxtaposer des termes de proposition ou de phrases sans aucune conjonction (coordination et subordination). Ils donnent rapidité et nervosité à la relation. On les rencontre dans les énumérations.

« Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint. »
Flaubert, L’éducation sentimentale

Par l’absence de liens de but ou de causalité, le romancier veut rendre palpable l’inanité d’une vie et l’ennui qui saisissent son héros désabusé.

« Français, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble,
Avançaient, combattaient, frappaient, mouraient ensemble. »
Voltaire, La Henriade

L’asyndète de la conjonction de coordination « et » rend compte de la furieuse mêlée du combat. Elle assure l’inscription dans le registre épique.

« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue,
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
Je sentis tout mon corps et transir et brûler ».
Racine, Phèdre

L’asyndète traduit la violence du coup de foudre subi par Phèdre. La succession rapide des impressions montre combien le phénomène est incontrôlable. Notons la polysyndète finale qui souligne la simultanéité de sensations contradictoires.

Épitrochasme

Un épitrochasme est une figure voisine de l’asyndète, elle consiste dans l’accumulation de termes brefs placés syntaxiquement sur le même plan, elle recherche d’abord un effet rythmique.

« Le passé ne veut pas s’en aller. Il revient
Sans cesse sur ses pas, reveut, reprend, retient,
Use à tout ressaisir ses ongles noirs ; fait rage ;
Il gonfle son vieux flot, souffle son vieil orage,
Vomit sa vieille nuit, crie : À bas ! crie : À mort !
Pleure, tonne, tempête, éclate, hurle, mord.
L’avenir souriant lui dit : Passe, bonhomme. »
Victor Hugo, Les Contemplations, « Poème écrit en 1846 »

Le poète répond à un marquis de l’Ancien Régime qui lui reproche ses dérives jacobines : il est résolument pour l’avenir et dénonce l’impuissance d’un passé condamné par sa violence.

La polysyndète et l’hypotaxe

Ces procédés répètent les marques de coordination.
La répétition des conjonctions de coordination crée un effet de rythme appuyé (binaire ou ternaire la plupart du temps)
La répétition des conjonctions de subordination insiste sur les liens logiques.

« Tout s’enfle contre moi, tout m’assaut, tout me tente,
Et le monde et la chair et l’ange révolté,
Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventé,
Et m’abîme, Seigneur, et m’ébranle et m’enchante. »
Sponde, Stances et sonnets de la Mort

Ici la polysyndète et l’hypotaxe soulignent et renforcent le rythme ternaire, évocateur de l’implacable puissance de séduction luciférienne. Elle oppose la trinité du Mal à la solitude unique du poète pécheur.

La syllepse

Il existe deux formes :

  • La syllepse grammaticale : l’accord ne se fait pas selon les règles grammaticales, mais selon la logique du sens.

« Une personne me disait un jour qu’il avait une grande joie et confiance en sortant de confession. L’autre me disait qu’il restait en crainte »
Pascal, Pensées

Pascal veut lever l’ambiguïté sans pour autant dévoiler l’identité. Ses pénitents sont des hommes. Nous pouvons suspecter une misogynie latente : pour une fois, ce n’est pas le genre féminin qui est manœuvré par les sentiments.

  • La syllepse de sens : elle emploie un même mot à la fois au sens propre et au sens figuré. Elle joue donc sur la polysémie d’un mot.

« Sais-tu pourquoi les sauvages sont tout nus ?
C’est parce que Christophe Colomb les a découverts. »
Devinette attribuée à Victor Hugo

La syllepse crée la surprise en associant implicitement deux sens (ici dénuder et trouver). L’effet est amusant. Le procédé vise l’humour en créant des relations inédites.

« Je percerai le cœur que je n’ai pu toucher. »
Racine, Andromaque

Là, le dramaturge souligne les effets dévastateurs de la passion en se servant des deux sens du mot cœur, l’organe et le siège métaphorique de l’affectivité. L’amour déçu peut conduire au meurtre.

L’hyperbate

Une hyperbate est une figure de style qui consiste à séparer deux mots normalement assemblés par l’intercalation d’un ou plusieurs autres mots ; c’est aussi le prolongement de la phrase censée terminée par ajout d’un élément qui se trouve ainsi déplacé. Elle est souvent une mise en relief de mots rejetés en fin de phrase, à la manière d’adjectifs placés en dislocation.

« Les armes du matin sont belles, et la mer »
Saint-John Perse

Ici l’hyperbate attire l’attention sur le dernier mot qui reste comme en suspens. Tout se passe comme si la beauté de l’élément liquide laissait le poète sans voix.

« Albe le veut, et Rome ; il leur faut obéir »
Corneille, Horace, Acte II, scène 6

Dans cet extrait l’hyperbate additive impose sa loi inexorable. Elle concourt donc au registre tragique.

L’inversion

Le procédé est remarquable lorsqu’il ne s’agit pas d’une tournure interrogative, d’une incise dans le discours, et de la suite de « ainsi » ou de « aussi » ou d’« encore ».
Cet arrangement renverse l’ordre habituel des mots. Il met en valeur les mots déplacés.

« … Étroits sont les vaisseaux, étroite notre couche
Immense l’étendue des eaux, plus vaste notre empire
Aux chambres closes du désir. »
Saint-John Perse, Amers

Le poète exalte son désir de liberté. À noter la répétition d’« étroit », et le parallélisme de construction doublé d’une opposition.

« Le lac en vain palpite et lèche son lit rose ;
En vain d’or précieux brille le jeune blé ; »
Valéry, « César »

Valéry peint le général romain avant qu’il ne prenne la décision irrévocable de marcher sur Rome. La nature est souriante, mais, en son for intérieur, celui qui va mettre fin à la République est habité par la « foudre » de son ambition. La répétition de « en vain » et son réemploi inversé insistent sur l’insensibilité et le repliement sur soi de César.

Vers blanc

En poésie, vers qui ne sont liés à aucun autre par la rime. En prose, vers (surtout des alexandrins) dissimulés dans un fragment de texte, fréquents chez Michelet.

« Les unions moins monstrueuses (du frère et de la sœur), communes chez les Orientaux et les Grecs, étaient froides et très peu fécondes. Elles furent très sagement abandonnées, et l’on n’y fût guère revenu sans l’esprit de révolte, qui, suscité par d’absurdes rigueurs, se jetait follement dans l’extrême opposé.
Des lois contre nature firent ainsi, par la haine, des mœurs contre nature.
O temps dur, / temps maudit ! // et gros / de désespoir ! »
Michelet La Sorcière

En fin de paragraphe, le vers blanc (3/3//2/4) donne force à la réprobation contre l’obscurantisme.

Les procédés portant sur le sens de certains mots, dites figures de sens ou tropes

Ces procédés changent le niveau de signification. Elles font passer le mot d’un sens littéral à un sens figuré.

  • Les figures de la contiguïté utilisent un concept qui en représente un autre et avec lequel il entretient un rapport. Les deux entités appartiennent au même ensemble. Ces figures opèrent ici par glissement ou extension de sens.
  • Les figures de l’association introduisent, au contraire, une rupture d’isotopie. Elles associent deux concepts qui n’ont a priori rien à voir et que l’on rapproche pour délivrer une signification originale plus forte, plus expressive : allégorie, apposition, comparaison, métaphore, oxymore (ou oxymoron) sont les principales.

Double négation

À la différence des mathématiques où moins par moins donne plus, la double négation en français ne constitue pas une affirmation. Elle doit être considérée comme une atténuation (modalisation) proche de la litote ou l’évocation d’une réalité floue, du doute quand il s’agit d’affirmer.

« Tout dépouillé qu’il est, il n’est pas sans autorité »
« On n’était pas bien certain de n’avoir pas ouï la mer. »
Chateaubriand, Vie de Rancé

Métonymie

La métonymie est une figure de style qui fait référence à une idée par un mot qui lui est associé selon le rapport partie/tout, contenant/contenu, cause/effet…, ou un lien symbolique (ex. royauté/sceptre) ou encore logique : l’auteur pour l’œuvre, la ville pour ses habitants, etc. Elle a une valeur affective quand la substitution permet d’évoquer la force des émotions.

« Rodrigue, as-tu du cœur ? »
Corneille, Le Cid

Le passage de l’abstrait au concret, de la qualité (le courage) à l’organe censé la contenir donne de la vigueur à la question.

« Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée. »
Racine Phèdre

Ici la métonymie qui remplace l’effet par la cause, et la réalité par la transcendance, donne à la passion de Phèdre un caractère d’inexorabilité tragique. Phèdre se perçoit comme une victime des dieux attachés à sa perte.

Synecdoque (D aussi, parfois A)

La synecdoque est une forme particulière de la métonymie, elle est une figure par laquelle on prend la partie pour le tout, le tout pour la partie, l’espèce pour le genre, le plus pour le moins, le singulier pour le pluriel, etc.
C’est une figure plutôt descriptive avec parfois une recherche esthétique.
Elle peut prendre une valeur affective lorsque l’extension ou la restriction cherche à provoquer l’émotion plutôt que l’effet pittoresque ou l’abstraction esthétique

« Mon bras qu’avec respect tout l’Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ? »
Corneille, Le Cid, acte I, scène 4

Le bras (partie du corps) est employé ici pour résumer la personne. Corneille insiste sur le désarroi du vieux guerrier trahi par sa faiblesse sénile. Il suggère une conception de l’honneur aristocratique fondée sur la force qui induit un respect craintif. L’échec de cette idéologie est patent lorsque la vigueur a disparu. Par manque d’une humble sagesse en accord avec son âge, Don Diègue est dévasté lorsqu’il constate son impuissance à imposer brutalement ses vues.

Métalepse

La métalepse est une figure de style qui inverse la cause et la conséquence afin de rendre original le rapport d’analogie. Certaines sont communes comme « perdre sa langue » pour « rester muet », ou « il a bu » pour « il est ivre ». Elles ne présentent pas alors grand intérêt.
Elles sont proches de la métonymie et jouent souvent le rôle de litote ou d’euphémisme.

« l’heure où la porte se ferme sur la rue,
et le bruit du moulin s’arrête ;
où la voix de l’oiseau ne réveille plus,
et les chansons se sont tues.
On redoute alors les montées,
et les fondrières sur le chemin ; »
Qohélet 12 4-5 Bible des peuples

Le sage recommande de penser à sa fin, au temps de sa jeunesse, avant que ne surviennent les « jours mauvais ». Ils sont décrits au moyen d’une suite de métalepses qui évoquent toutes la vieillesse par ses effets réducteurs : vue qui baisse, surdité qui s’installe, diminution des forces. Le tableau des conséquences est plus poignant que le concept, mais il est aussi plus difficile à comprendre si l’on ne dispose pas de la clé.

Oxymoron (parfois A)

L’oxymoron ou oxymore est l’alliance syntaxique de deux mots (en principe nom + épithète, verbe + adverbe) qui se contredisent habituellement. C’est surtout une figure esthétique qui attire l’attention sur un aspect inédit de la réalité.
« Elle se hâte avec lenteur », écrit La Fontaine dans sa fable « le Lièvre et la tortue ». L’oxymore rend bien compte du sérieux et de l’effort de l’animal à carapace qui, malgré son désavantage, croit fermement en ses chances.
Corneille, dans son Cid, lors de l’attaque sournoise des Maures, crée une atmosphère particulière avec le fameux « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ». Le procédé permet de définir la nuit comme une réalité ambiguë : le lieu de la peur et en même temps l’alliée qui, tout en dissimulant le dispositif de combat, permet aux assiégés de discerner l’arrivée de l’ennemi. L’effet de surprise qui en résultera permettra d’inverser le rapport de force.
Dans Candide, Voltaire qualifie le combat entre les Abares et les Bulgares de « boucherie héroïque ». L’alliance crée une condamnation sans appel de la guerre dont le philosophe, épris de raison, dénonce ironiquement la folie meurtrière et la vaine gloire.

Les noms de personnages (surtout D)

Nous connaissons bien « Monsieur Tout-le-monde », expression cliché assez rebattue. Certains auteurs se sont efforcés, dans cette veine, d’habiller leurs personnages de noms propres qui les définissent ou les programment. Les patronymes agissent alors comme un blason. L’onomastique littéraire est très révélatrice.
Dans son roman Candide, Voltaire a usé du procédé pour étiqueter ses marionnettes :
— Le héros principal est nommé Candide, l’innocent et le naïf, l’esprit vierge de tout préjugé ou presque. Sa bienveillance naturelle va être mise à rude épreuve.
— Pangloss, le précepteur est étymologiquement celui qui est toute langue, un phraseur qui a perdu le contact avec la réalité.
— Cunégonde, la fille du baron Thunder-ten-Tronck, au rude patronyme qui suggère la raideur prussienne, a un prénom qui évoque la Vénus callipyge.
Balzac a choisi d’appeler son usurier Gobseck. Son « Lys dans la vallée », symbole de pureté, se nomme Mme de Mortsauf.
Dans L’Homme qui rit, Victor Hugo symbolise à outrance en recourant notamment au latin, langue liturgique, son loup est appelé Homo (puisque les hommes sont des loups) ; son héroïne, Dea (la déesse) ; le saltimbanque solitaire et au grand cœur, Ursus (l’ours).

Antonomase

Elle utilise un nom propre comme nom commun ou l’inverse.
— Noms propres devenus noms communs : notons que leur lexicalisation leur a fait parfois perdre leur majuscule et que leur emploi au pluriel entraîne l’adjonction du S.
Exemples : Un séide, un homme de main tiré du Mahomet de Voltaire ; un Tartarin, un vantard mythomane inventé par Daudet ; une mégère, femme méchante et emportée, par allusion à l’une des Érinyes ; un sosie, une personne de grande ressemblance issue du déguisement de Jupiter sous les traits du serviteur d’Amphitryon de Molière, patronyme devenu lui-même une antonomase au sens d’hôte ; un mentor, un guide intellectuel et moral, personnage du Télémaque de Fénelon…
— Noms communs devenus noms propres : pour un Parisien, l’« Arc de Triomphe » (nom propre) désigne le monument de la place de l’Étoile. Pour un monothéiste, Dieu (marqué par la majuscule et l’absence de déterminant) désigne l’Être suprême alors que les religions polythéistes connaissent plusieurs dieux. Le « Grand Siècle » désigne le XVIIe siècle français. La « Grande Guerre » désigne le premier conflit mondial…
— Antonomase par périphrase :
« L’Île de Beauté » pour la Corse ; « Le Monstre des Carpates » pour Dracula ; Bercy ou Matignon pour désigner des ministères…
Ce procédé marque les références à un univers culturel commun, il signe la connivence et confine parfois au snobisme intellectuel. Il peut avoir une valeur humoristique par dérision comme dans « une vénus de banlieue » ou « Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. » (La Fontaine, « Le Corbeau et le Renard », Fables).

Les procédés portant sur le sens global d’un énoncé, dites figures de pensée

Comparaison et métaphore (D surtout)

Les comparaisons et métaphores, surtout descriptives en ce qu’elles permettent de relier des domaines habituellement éloignés, peuvent revêtir une valeur esthétique lorsqu’elles recherchent des effets inhabituels.

« […] beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l’incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt, comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l’animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! »
Lautréamont, Les Chants de Maldoror

L’auteur cherche visiblement à étonner, désorienter pour tenter de cerner une beauté étrange. À sa suite les surréalistes creuseront cette trace.

La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Éluard, L’Amour la Poésie

Cette comparaison paraît d’une absurdité déroutante de prime abord. Mais elle a en fait sa légitimité au-delà de son incongruité. Le poète nous en prévient tout de suite : « les mots ne mentent pas ». La Terre et l’orange sont deux sphères à l’aspect grumeleux. Notons également que la Terre est appelée « la planète bleue » (dénomination permise par les observations postérieures des satellites et donc ignorées par le poète, mais qu’il pressent sans doute). En tout cas la métaphore connote la vie, la vie intérieure. Le bleu, couleur du ciel et de l’eau, symbolise l’infini, le divin, le spirituel. Il invite au rêve et à l’évasion.

Personnification, métaphore animalière et réification (valeur affective aussi)

La personnification consiste à donner des qualités humaines à des choses inanimées ou des animaux. Elles sont voisines de la métaphore.

« Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses :
Il les forçait,
Leste, et prenant les forteresses
Par le corset… »
Hugo, Les Châtiments

Le poète chante la guerre napoléonienne comme un viol où se mêlent admiration et reproches.

La métaphore animalière mérite aussi un traitement à part dans la mesure où elle a été utilisée fréquemment, notamment dans les fables. Chaque animal incarne traditionnellement un symbole bien défini. Chacun sert soit à louer, soit à critiquer.

« Vous êtes mon lion, superbe et généreux !
Je vous aime. »
Hugo, Hernani

Doña Sol peut exprimer son amour et son admiration à Hernani, parfaite incarnation de la bravoure et de l’honneur chevaleresques.
Nous pouvons nous rappeler le célèbre : « Gendarme, vous êtes une moule ! » de Courteline dans Le Gendarme est sans pitié.
Dans « Fable ou histoire » des Châtiments, Hugo dénonce l’avidité, la couardise, le mensonge de Napoléon III qu’il transforme en singe déguisé en tigre. Sous son apparence terrifiante, l’empereur n’est qu’un « brigand » féroce qui imite mal son oncle, Napoléon 1er, le grand.
La Ferme des animaux d’Orwell stigmatise le stalinisme.

La réification (métaphore qui suit le chemin inverse de la personnification), déshumanise une personne en la transformant en objet. Elle fleurit dans les insultes.
« Tête de pioche ! », « Espèce d’andouille ! », « Tu es un boulet. »

Mais elle peut apparaître avec subtilité, dans la poésie, sous la forme de l’autodérision, chez un auteur chez qui le spleen désespérant dissout l’humanité.

« — Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché. »
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans »

Contrairement à ce que l’on pourrait penser la réification n’est pas toujours péjorative.

Je n’ai de repos qu’en Dieu seul, mon salut vient de lui.
Lui seul est mon rocher, mon salut, ma citadelle : je suis inébranlable.
Bible, Psaume 61

L’interprétation de ces procédés dépend du contexte. En règle générale, il faut se demander si l’effet recherché est de créer des réactions primaires chez le lecteur : dégoût, colère, peur… ou une réflexion plus élaborée : admiration, contemplation, jugement esthétique…
Enfin notons que dans l’argumentation, tous ces procédés concourent à la persuasion.

L’argumentation »

La périphrase

La périphrase consiste à remplacer un mot par un groupe de mots signifiant approximativement la même chose, mais qui n’a pas forcément la même charge affective. La périphrase apporte en général une connotation supplémentaire. Elle est d’abord employée pour éviter les répétitions. Elle sert à esquiver les mots jugés trop communs : le bas du dos pour les fesses ; le plus vieux métier du monde pour la prostitution (elle est dans ce cas proche de l’euphémisme). Molière en a dénoncé le ridicule dans le langage précieux : « Le conseiller des grâces » pour « le miroir », « les commodités de la conversation » pour « les fauteuils », Les Précieuses ridicules.

Mais, bien utilisées, les périphrases apportent une touche supplémentaire et forte qui caractérise l’objet ou la personne nommée :
— Amplification majestueuse pour désigner le chêne :

« Celui de qui la tête au ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’empire des Morts »
La Fontaine, Fables, « Le chêne et le roseau »

— La crainte dans « le feu du ciel » pour la foudre.
— L’admiration et la filiation artistique dans « le roi soleil » pour Louis XIV : l’expression évoque la puissance du monarque ainsi que son mécénat artistique placé sous le signe d’Apollon.

Allégorie

C’est une suite de métaphores, (donc proche de la métaphore filée) présentant un concept abstrait au moyen d’aspects concrets et vivants (de ce fait voisine de la personnification). Le procédé donne force à une réalité peu familière tout en la rendant plus perceptible.

« Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croit et se fortifie »
Baudelaire, Fleurs du mal, « L’Ennemi »

Baudelaire représente une réalité abstraite, le temps qui fuit, comme un monstre concret qui se repaît de la vie de l’homme.
Dans « Moesta et errabunda », il incarne son âme, prénommée Agathe, en la personne d’une voyageuse désabusée.
Platon, dans La République, développe l’allégorie (ou mythe) de la caverne pour présenter sa conception du monde des idées pures. Ce tableau concret n’est compréhensible qu’au moyen de clefs d’interprétation précises.
L’allégorie est proche de la parabole (au sens moral ou religieux plus appuyé). Ainsi dans l’Évangile de Matthieu 13, 1-9, la parole divine prend-elle la forme du semeur dont les semailles connaissent un sort lié au sol qui les reçoit, image des dispositions plus ou moins favorables du cœur humain. Ce qui est intéressant dans ce récit est que Jésus donne les clefs d’interprétation pour que ces disciples immédiats comprennent.

Symbole

Le symbole est un objet concret ou un animal retenus pour faire connaître une de leurs caractéristiques déterminantes. En effet le symbole est multivalent.
Par exemple, le vent est tout à la fois la puissance impétueuse et vaine, le changement imprévisible, le bruit, la force qui aide ou contrarie, la contingence, l’insignifiance, la niaiserie, la liberté, l’appel de l’idéal… Le serpent, animal qui sort de la terre-mère, est un symbole bénéfique, il soigne comme sur le caducée, il rachète comme le serpent d’airain élevé par Moïse dans le désert. C’est surtout un symbole maléfique, incarnation du séducteur et tentateur dans le jardin d’Éden. Venu des profondeurs, il représente la connaissance intellectuelle luciférienne qui se veut toute-puissante. Les couleurs ont aussi une valeur symbolique forte. On peut utilement consulter un dictionnaire des symboles.
Le symbole dépasse de beaucoup l’espace littéraire. Il apparaît d’abord comme le surgissement codé de notre inconscient. Freud puis Jung et Adler ont montré combien notre sexualité brimée et nos angoisses séculaires pouvaient alimenter nos rêves. Ainsi s’est constitué un répertoire qui traverse les cultures chaque fois que l’objet ou l’animal existe dans l’environnement.
Un courant littéraire de la seconde moitié du XIXe siècle a codifié son usage dans une tentative de spiritualiser l’écrit littéraire en cultivant le sens du mystère. Il s’agit d’accéder à la sphère du sacré au-delà des apparences réelles. « Correspondances » de Baudelaire en est une parfaite tentative.

Dans l’exemple suivant, le poète mêle vie, mort, liberté, idéal, défaite, souvenir, oubli, panthéisme…

À l’ombre de la voûte en fleur des catalpas
Et des tulipiers noirs qu’étoile un blanc pétale,
Il ne repose point dans la terre fatale ;
La Floride conquise a manqué sous ses pas.

Un vil tombeau messied à de pareils trépas.
Linceul du Conquérant de l’Inde Occidentale,
Tout le Meschacébé par-dessus lui s’étale.
Le Peau-Rouge et l’ours gris ne le troubleront pas.

Il dort au lit profond creusé par les eaux vierges.
Qu’importe un monument funéraire, des cierges,
Le psaume et la chapelle ardente et l’ex-voto ?

Puisque le vent du Nord, parmi les cyprières,
Pleure et chante à jamais d’éternelles prières
Sur le Grand Fleuve où gît Hemando de Soto.

José-Maria de Heredia, Les Trophées, « Le tombeau du conquérant »

Le parallélisme

C’est une figure de style qui consiste à répéter un segment de phrase selon une construction et une taille similaires ; il se fonde donc principalement sur la juxtaposition et/ou la coordination de deux syntagmes, de deux phrases ou de deux vers construits de manière similaire. Cet aspect binaire se rencontre fréquemment dans la poésie populaire.

Dieu aima les oiseaux et inventa les arbres.
L’homme aima les oiseaux et inventa les cages.
Jacques Deval, Afin de vivre bel et bien

Le parallélisme vise à souligner la correspondance entre deux parties de l’énoncé, soit en jouant sur les similitudes ou les oppositions. Dieu et l’homme n’aiment pas de la même manière, leur amour n’inspire pas les mêmes résultats : l’un est gratuit, l’autre est captatif. Les reprises syntaxiques et rythmiques attire l’attention sur le changement final.

Antithèse (souvent A)

L’antithèse consiste à placer côte à côte deux réalités, définies chacune par un mot, un groupe de mots, voire plusieurs phrases qui s’opposent terme à terme. Victor Hugo l’a beaucoup utilisée.
« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie. » Louise Labé exprime avec force l’ambivalence de la passion.
« Innocents dans un bagne, anges dans un enfer. » Victor Hugo, dans « Melancholia », poème tiré des Contemplations, se sert du procédé pour exprimer sa révolte devant le travail des enfants.

« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
La Fontaine, « Les Animaux malades de la peste »

L’antithèse souligne ici la contradiction insupportable.

Chiasme

Le chiasme relie deux membres d’une phrase selon une symétrie inverse.
Il permet de mettre en parallèle des éléments et de créer ainsi des effets d’opposition, des liens de cause à effet. On le rencontre dans les préceptes moraux lorsqu’il s’agit de mettre en valeur les conséquences d’un choix radical : l’Évangile de Luc affirme avec force que « Celui qui s’élève sera abaissé, celui qui s’abaisse sera élevé ». Ce fonctionnement en miroir BA / AB évoque le X (khi en grec).
— Chiasme grammatical
Le chiasme est grammatical quand les termes utilisés sont de même nature grammaticale (deux noms, deux adjectifs…). Dans l’exemple qui suit, on relève deux verbes qui enchâssent deux adverbes :

« Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu. »
Hugo, La légende des siècles, « Booz endormi »

— Chiasme sémantique
Le chiasme est sémantique quand les termes partagent le même domaine de sens.

« Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie ! »
Bible, Psaume 125 (126)

Les verbes semer et moissonner appartiennent aux activités agricoles tandis que larmes et joie sont des émotions. Pour que le chiasme soit parfait, il aurait fallu « dans la joie moissonne ».
— Chiasme phonétique
Il repose sur la paronymie. Dans cette phrase de Cocteau, il se comporte en calembour pour notre plus grand plaisir : « Je préfère les assauts des pique-assiettes aux assiettes de Picasso. »

Quelques autres exemples au service de l’humour par mélange des mots : « Un journal coupé en morceaux n’intéresse aucune femme, alors qu’une femme coupée en morceaux intéresse tous les journaux. » Tristan Bernard
Dans les aphorismes loufoques :
« Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. » Molière, L’Avare
« Il vaut mieux être assis que debout et vermouth cassis. » Pierre Dac (qui utilise aussi le calembour)
« Une femme est comme votre ombre, courez après, elle vous fuit ; fuyez-la, elle vous court après. »

Antiphrase et ironie

L’antiphrase utilise un mot mais implicitement dans un sens contraire à son emploi courant.

« Il […] était froid, impassible, d’une nature essentiellement silencieuse et répondait au nom de « Babillard », que sans doute les Indiens, ou ses compagnons eux-mêmes lui avaient donné par antiphrase. »
Gustave Aimard, Les Trappeurs de l’Arkansas

« C’est M. Lefèvre, l’ancien acteur des Variétés, qui a fait éclore un jour cette phrase dans la bouche de mademoiselle Juliette, une figurante laide et rousse qu’Odry, par antiphrase, appelait Joliette. »
Joachim Duflot, Les secrets des coulisses des théâtres de Paris : mystères, mœurs, usages

Dans cet exemple l’antiphrase se double de paronomase. Le procédé n’en est que plus cruel.

Dans un propos ironique, l’antiphrase porte sur tout l’énoncé. Un propos ironique est généralement annoncé par des exagérations. Voltaire est un maître de ce procédé. Dans ses contes philosophiques, il invite, par ce moyen, son lecteur à réfléchir. De plus par le ridicule associé à la formulation, il l’engage à rejoindre le parti des rieurs.

« Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. »

Voltaire, Candide

Le propos ironique est précédé d’une série d’épithètes marquées par l’adverbe d’intensité si répété. La suite signifie le contraire de ce qui est affirmé : d’abord l’alliance incongrue des instruments de musique et des armes, ensuite la contradiction explicite entre harmonie et enfer rehaussée par la comparaison restrictive « telle que ne jamais ». L’harmonie n’était donc qu’un vacarme infernal. Le terme est aussi une antiphrase d’affrontement.

Substitution (dérivé du calembour)

Elle provoque un effet de surprise fondé sur l’utilisation d’une formule attendue, dont on remplace certains mots par d’autres, que l’on n’envisageait pas.
« Il ne faut pas jeter le manche après s’être cogné. »
Charles Morellet, Calembredaines
« Rabelais a écrit que le rire était le propre de l’homme, c’est pourquoi il y a tant de gens sales ».
Charles Morellet, (citation approximative)
La substitution peut devenir un élément constitutif de l’énoncé :

« Hélas ! chère ! j’étais moi-même très, très vitreuse ! Mes trois plus jeunes tourteaux ont eu la citronnade, l’un après l’autre. Pendant tout le début du corsaire, je n’ai fait que nicher des moulins, courir chez le ludion ou chez le tabouret, j’ai passé des puits à surveiller leur carbure, à leur donner des pinces et des moussons. Bref, je n’ai pas eu une minette à moi. »
Jean Tardieu, Un mot pour un autre.

Dans sa pièce, Tardieu substitue systématiquement au mot correct un autre qui n’a rien à voir, mais proche par la sonorité (paronymie). Le spectateur comprend parfaitement le décalage en raison des situations vaudevillesques ou conventionnelles, et des énoncés résultants stéréotypés. Ces transformations créent un comique cocasse, parfois surréaliste.

Voir aussi