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Hervé Bazin, Vipère au poing

Une présentation rédigée par Jean-Luc.

Hervé Bazin Hervé Bazin est né à Angers en 1911. Issu d’une famille bourgeoise traditionaliste qui compta parmi ses membres un académicien, cet écrivain à succès nous a livré, dans son œuvre, une satire violente de la bourgeoisie et, tout particulièrement dans Vipère au poing (1948), la révolte d’un fils contre sa mère. Pour une large part, ce récit est autobiographique.

Ce récit met en scène deux personnages principaux : Jean Rézeau, dit Brasse-Bouillon, le narrateur et sa mère Paule Pluvignec, surnommée Folcoche, et un certain nombre de personnages secondaires : père, frères, oncles, tantes et la cohorte de précepteurs.

En Craonnais, pays aux habitants chétifs, retors, méfiants, soumis à la « cure et au château », dans les années 1920, les Rézeau, bourgeois bien pensants, habitent le manoir de la Belle Angerie, vieille demeure humide et peu confortable mais étalant les prétentions des maîtres au milieu d’une terre arriérée. C’est en somme le « prototype des faux châteaux chers à la vieille bourgeoisie ». Le père, Jacques Rézeau, professeur de droit qui n’exerce pas, est un être veule, soumis à sa femme. Perdu dans des études scientifiques de peu d’intérêt, il néglige son rôle d’éducateur et désire la paix familiale à tout prix. C’est là que réside le drame. Sa femme, esprit étroit et méchant, ladre et cruelle, au nom d’une fausse religion, d’une mystique dévoyée et de principes dépassés, impose une tyrannie insupportable aux siens. Jean, le cadet, le « révolté, l’évadé, la mauvaise tête » se rebiffe. Tout le récit nous livre les étapes de cette lente mais sûre rébellion d’un fils contre sa mère.

Le narrateur, enfant ou plutôt adulte qui se replace dans le monde de son enfance, avec un langage aux associations savoureuses, à l’ironie mordante qui ne respecte rien, dénigre les valeurs admises par sa famille. Sa gouaille cache mal le cancer qui a rongé sa vie. Cet enfant, difficile sans doute mais bon cœur au demeurant – sous ses réactions brusques, il adorait sa grand-mère – n’a pu trouver d’exutoire à son affection. Sa maman, il ne pourra jamais l’aimer. Au lieu d’apprendre d’elle l’amour, il sera initié à la haine.

Leur première rencontre est significative. Âgé de huit ans, Jean va retrouver ses parents dont il a été séparé depuis sa petite enfance. Alors qu’il se précipite dans les jupes de sa mère pour lui manifester son affection, il hérite d’une paire de gifles et doit porter une valise trop lourde pour lui. Folcoche montre bien sûr par là son incompréhension du monde de l’enfance. Par la suite elle édictera un règlement draconien toujours interprété en défaveur des enfants, élèvera, le soupçon au rang de dogme, multipliera les vexations : tonte des cheveux, fouilles, confiscations, sous-alimentation. Les enfants ne se plaignent pas de la dureté mais de l’injustice et perdent ainsi confiance dans le système de valeurs de l’éducation parentale. Puis c’est l’irruption dans les consciences au moyen de la confession publique. Plus tard ce sera le mensonge, la calomnie, voire le coup monté.

Au début les enfants réagiront en enfants par des rites magiques d’envoûtement, des défis muets ; puis Jean avec l’âge, par la fugue, l’impiété et même par la tentative d’assassinat. Mais l’œuvre de Folcoche est si dévastatrice que les enfants en viennent à admirer leur tortionnaire : énergie, talents de comédienne leur donnent un goût pervers pour leur bourreau. En fait les relations de la mère et du fils sont ambiguës. Jean est lucide, il sait qu’il est le portrait de sa mère, il sait aussi que l’œuvre de destruction l’a définitivement mutilé. Il ne pourra connaître l’amour : la femme, découverte au travers de sa mère est un être impur et ses premières amours rurales le conforteront dans son sentiment. Plus profondément encore il se rend compte qu’il ne pourra plus que haïr et aimer sa haine, il ne pourra plus croire aux principes, à la vertu ; il est devenu lui-même une force de négation. Le livre se termine sur des incantations blasphématoires : « Cette vipère, ma vipère dûment étranglée, mais partout renaissante (…) je la brandirai toujours (…). Cette vipère, ta vipère, je la brandis (…). Merci ma mère ! je suis celui qui marche une vipère au poing ! » Le titre du roman est alors éclairci.

Il faut simplement ajouter que cette destruction d’un individu s’accompagne de la vision de fin d’un monde fondé sur les préjugés, les privilèges et la religion. Lors de la fête du grand-oncle académicien, symbole exécré du passé, Jean le contestataire annonce la naissance du monde ouvrier. Ainsi la révolte personnelle du narrateur rejoint-elle le mouvement historique du monde contemporain.

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