Citations sur la poésie et la création poétique
On sait assez ce qu’est l’inspiration. Il n’y a pas à s’y méprendre ; c’est elle qui a pourvu aux besoins suprêmes d’expression en tout temps et en tous lieux. On dit communément qu’elle y est ou qu’elle n’y est pas et, si elle n’y est pas, rien de ce que suggèrent auprès d’elle l’habileté humaine qu’oblitèrent l’intérêt, l’intelligence discursive et le talent qui s’acquiert par le travail ne peut nous guérir de son absence. Nous la reconnaissons sans peine à cette prise de possession totale de notre esprit qui, de loin en loin, empêche que pour tout problème posé nous soyons le jouet d’une solution rationnelle plutôt que d’une autre solution rationnelle, à cette sorte de court-circuit qu’elle provoque entre une idée donnée et sa répondante (écrite par exemple). Tout comme dans le monde physique, le court-circuit se produit quand les deux « pôles » de la machine se trouvent réunis par un conducteur de résistance nulle ou trop faible. En poésie, en peinture, le surréalisme a fait l’impossible pour multiplier ces courts-circuits. Il ne tient et il ne tiendra jamais à rien tant qu’à reproduire artificiellement ce moment idéal où l’homme, en proie à une émotion particulière, est soudain empoigné par ce « plus fort que lui » qui le jette, à son corps défendant, dans l’immortel. Lucide, éveillé, c’est avec terreur qu’il sortirait de ce mauvais pas. Le tout est qu’il n’en soit pas libre, qu’il continue à parler tout le temps que dure la mystérieuse sonnerie : c’est, en effet, par où il cesse de s’appartenir qu’il nous appartient. Ces produits de l’activité psychique, aussi distraits que possible de la volonté de signifier, aussi allégés que possible des idées de responsabilité toujours prêtes à agir comme freins, aussi indépendants que possible de tout ce qui n’est pas la vie passive de l’intelligence, ces produits que sont l’écriture automatique et les récits de rêves présentent à la fois l’avantage d’être seuls à fournir des éléments d’appréciation de grand style à une critique qui, dans le domaine artistique, se montre étrangement désemparée, de permettre un reclassement général des valeurs lyriques et de proposer une clé qui, capable d’ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme, le dissuade de faire demi-tour, pour des raisons de conservation simple, quand il se heurte dans l’ombre aux portes extérieurement fermées de l’« au-delà », de la réalité, de la raison, du génie et de l’amour. Un jour viendra où l’on ne se permettra plus d’en user cavalièrement, comme on l’a fait, avec ces preuves palpables d’une existence autre que celle que nous pensons mener. On s’étonnera alors que, serrant la vérité d’aussi près que nous l’avons fait, nous ayons pris soin dans l’ensemble de nous ménager un alibi littéraire ou autre plutôt que sans savoir nager de nous jeter à l’eau, sans croire au phénix d’entrer dans le feu pour atteindre cette vérité.
André Breton, Second manifeste du surréalisme
En vérité, la littérature, telle qu’elle est, se rapproche singulièrement de quelqu’un de ces petits métiers en chambre, comme il y en a encore tant à Paris ; et elle en est un par bien des aspects. Le poète fait songer à ces industriels ingénieux qui fabriquent, en vue de la Noël ou du Jour de l’an, des jouets remarquables par l’invention, par la surprise organisée, et qui sont faits avec des matériaux de fortune. Le poète puise les siens dans le langage ordinaire. Il a beau évoquer le ciel et la terre, soulever des tempêtes, ranimer nos émotions, suggérer ce qu’il y a de plus délicieux ou de plus tragique dans la profondeur des êtres, disposer de la nature, de l’infini, de la mort, des dieux et des beautés, il n’en est pas moins, aux yeux de l’observateur de ses faits et gestes, un citoyen, un contribuable, qui s’enferme à telle heure devant un cahier blanc, et qui le noircit, parfois silencieusement, parfois donnant de la voix, et marchant de long en large entre porte et fenêtre. Vers 1840, un Victor Hugo est un auteur très rangé, qui habite bourgeoisement un appartement dans le Marais ; il paye son loyer, ses impôts ; c’est un producteur modèle. Mais que fait-il ? Que produit-il ? Et quel est le type de son industrie ? Le même observateur, froidement exact, constatera que les produits de cette petite industrie ont une valeur variable, aussi précaire que celle des produits du fabricant de jouets, de l’article de Paris, qui travaille lui aussi en chambre, à deux pas de là, dans la rue des Archives ou dans la rue Vieille-du-Temple.
Mais cette valeur, celle qui sortira des mains du poète, est complexe, elle est double, et, dans les deux cas, elle est essentiellement incertaine. Elle se compose d’une part qui est réelle, (c’est-à-dire qui s’échange quelquefois contre de l’argent), et d’une part qui est fumée, — fumée étrange en vérité, fumée qui se condensera un jour, peut-être, en quelque œuvre monumentale de marbre ou de bronze, créant autour d’elle un rayonnement puissant et durable, la gloire. Mais encore, réelle ou idéale, cette valeur est incommensurable : elle ne peut pas être mesurée par les unités de mesure dont dispose la société. Une œuvre de l’art vaut un diamant pour les uns, un caillou pour les autres. On ne peut pas l’évaluer en heures de travail ; elle ne peut donc figurer comme monnaie universellement utilisable dans l’ensemble des échanges.
Paul Valéry, Regards sur le monde actuel
C’est beau d’avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un cœur continu,
Et d’avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans son petit jardin,
D’avoir aimé la terre,
La lune et le soleil
Comme des familiers
Qui n’ont pas leurs pareils,
Et d’avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D’avoir donné visage
A ces mots : femme, enfants,
Et servir de rivage
A d’errants continents
Et d’avoir atteint l’âme
A petits coups de rame
Pour ne l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau d’avoir connu
L’ombre sous le feuillage
Et d’avoir senti l’âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l’étoile Patience
Et d’avoir tout ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D’avoir senti la vie,
Hâtive et mal aimée,
De l’avoir enfermée
Dans cette poésie.Jules Supervielle, Oublieuse mémoire, « Hommage à la vie »
Réglons notre papier et formons bien nos lettres :
Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : – on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime – exemple : chloroforme.
– Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.– Télégramme sacré – 20 mots. – Vite à mon aide…
(Sonnet – c’est un sonnet -) ô Muse d’Archimède !
– La preuve d’un sonnet est par l’addition :– Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! – Tenons Pégase raide :
"Ô lyre ! Ô délire ! Ô…" – Sonnet – Attention !Sonnet des Amours jaunes de Tristan Corbière (Avec la manière de s’en servir)