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Philosophie au lycée

Art et esthétique

Art et esthétique

Le monde de l’art est très vaste : il touche la peinture, la musique, la photographie, l’architecture, la littérature, etc.

Art :

Ou comment l’œuvre d’art est faite.

Esthétique :

Ou comment la société reçoit (juge) l’œuvre d’art.

Artisan et artiste

Nicolas Poussin, L'Enlèvement des Sabines, v. 1637-1638, Musée du Louvre. L’artisan et l’artiste utilisent tous deux une matière première et des outils. L’artisan produit quelque chose d’utile, il vise l’utile.
À l’inverse, l’artiste ne vise pas l’utile mais le beau.
Or, l’artisan peut faire quelque chose de beau (par exemple l’architecte, l’ébéniste; etc.) et d’utile.

L’artiste, quant à lui, vise-t-il toujours le beau ? Pour certains artistes, l’art n’a rien à voir avec l’esthétique. Les artistes veulent changer les hommes, les transformer, en les choquant par exemple. Généralement, le « grand » public ne souhaite pas être bouleversé.

Art, technique

L’œuvre d’art suppose une création originale, elle est quelque chose qui n’existe pas encore ; on ne peut donc apprendre à faire de l’art. Ainsi, le solfège n’est pas de la musique. L’art ne consiste pas à imiter mais à créer : on ne peut apprendre à créer. Aussi l’œuvre d’art n’existe qu’au moment où elle est produite. Cela dit, beaucoup d’artistes ont d’abord été imitateurs : après la maturité, ils deviennent artistes.

Art et nature

Présupposé : la peinture est peindre ce que l’on voit. Or, si l’on place deux peintres devant le même paysage, on obtiendra deux peintures différentes. En réalité, l’artiste ne peint donc pas ce qu’il voit, mais son travail est une représentation (sensibilité). L’art n’imite donc pas la nature ; si c’est le cas, il ne s’agit pas d’une œuvre d’art. Ce n’est pas la vue qui guide l’artiste mais sa vision : le peintre reconstruit la nature. L’artiste est toujours pris dans l’esthétique d’une époque : la sensibilité personnelle de l’artiste est certes existante, mais celle-ci est toujours encadrée.

L’idéal de la beauté : ce n’est pas la nature telle qu’elle est, mais telle que l’artiste se la représente. Le peintre ne peint pas ce qu’il voit : il peint un idéal. La beauté universelle n’existe pas.

La peinture de la Renaissance représente-t-elle la nature ? La peinture de la Renaissance a deux sources principales d’inspiration : la Bible et la mythologie gréco-romaine. Ce n’est donc pas la nature qui est représentée.

Le cas de la peinture surréaliste : les peintres surréalistes n’imitent pas la nature, mais la nature inconsciente : les rêves, les fantasmes de l’artiste. Les surréalistes visent à perturber nos habitudes. L’œuvre d’art doit dégager de la révolte. Cf. Dalí, Ernst, De Chirico, Magritte.

Cézanne et le Cubisme : Cézanne ne reproduit pas la nature mais il la reconstruit.

L’art abstrait (art non figuratif) : avec l’art abstrait, on fait abstraction de la nature visible pour exprimer quelque chose que l’œil ne voit pas immédiatement. Il y a de l’invisible dans la nature (par exemple peindre le vent, la chaleur, etc.).

Le théâtre : l’art imite les passions humaines (Aristote, Poétique). Le théâtre imite l’homme (mimésis) ; le but n’est pas la beauté, mais la purgation des passions (catharsis). Le théâtre de Bertolt Brecht ne s’adresse pas aux passions mais à la raison. S’il imite la nature, le théâtre rate sa fonction.

La musique, quant à elle, est l’art le plus éloigné de la nature. Elle ne peut imiter la nature : les évocations restent lointaines.

Ce que l’homme exprime à travers l’art n’est pas la nature, mais son esprit. Ce dernier n’est pas conceptuel : il est sensible. La nature n’est qu’un motif sur lequel l’artiste projette ses idéaux, ses théories, ses règles.

Don, talent et génie

Certains ont du talent, d’autres non. L’art est-il affaire de talent ? Parfois, on entend que c’est inné (par exemple Mozart ; en fait, son père (Léopold Mozart) l’a éduqué d’une manière assez sévère [→ lire cet article] si bien que l’on peut penser qu’il s’agit plus d’une technique musicale acquise qu’un génie inné).

Platon, Ion : L’art du poète est un don (des dieux) et non pas un don naturel. Les muses inspirent l’artiste mais ce dernier n’a aucun don.

Le génie est-il le priviliège d’une situation ou d’un état d’exception ? Le célibat, la vie de bohème, les drogues, la maladie physique ou mentale (Cf. Chopin, Nerval, Van Gogh) → artistes marginaux.

Pour Kant, le génie est celui qui donne ses propres règles à l’art : le génie est dans la capacité d’invention de nouvelles règles.

Le jugement esthétique

Toutes les œuvres d’art sont jugées : il y a le jugement de goût et le jugement de connaissance.

Le jugement de goût : « C’est beau ! », « C’est laid ! », « Ça me plaît. », etc. Ce jugement n’exprime rien sur l’œuvre d’art mais exprime l’état de celui qui reçoit l’œuvre d’art (subjectivité). Le goût est-il réellement personnel ? Quand on dit « C’est beau ! », c’est pour faire partager son goût (le goût est communicable ; cf. la mode). Les hommes discutent de leurs goûts, il n’existe pas de goût réellement personnel.

Le jugement de connaissance : c’est le jugement légitime, celui qui est objectif (par l’analyse). Par exemple, pour la musique : l’étude des thèmes, de la tonalité, de la construction harmonique, des mouvements, du contexte historique permet de juger objectivement l’œuvre d’art (malgré l’objection courante qui consiste à dire qu’analyser une œuvre, c’est détruire le plaisir). Bien souvent, l’intérêt pour une œuvre naît avec l’analyse. Cependant, l’art vise à communiquer en s’adressant à notre sensibilité (même si l’on y connaît rien en art).

Pistes de réflexion (sujets de dissertation)

  • L’art est-il le résultat du génie ?
  • Le beau est-il nécessairement la finalité de l’art ?
  • L’art s’apprend-il ?
  • Suffit-il de savoir dessiner ou de savoir peindre pour être un artiste ?
  • Peut-on enseigner l’art ?
  • L’art imite-t-il la nature ?
  • L’art a-t-il pour but de « rendre visible l’invisible » (Klee) ?
  • L’œuvre d’art est-elle l’œuvre du génie ?
  • Comment juger une œuvre d’art ?
  • Qu’est-ce qu’avoir du goût ?
    • Est-ce être à la mode ? Est-ce être dans l’air du temps ? Pour les hommes, en général, ce sont les autres qui ont mauvais goût. Le bon et le mauvais goût varient selon les catégories sociales, c’est-à-dire le goût qui a été accepté par un groupe social. Les goût changent selon l’époque, selon le groupe social, etc. Qui fait le goût ? Le créateur d’une nouvelle forme ? Ou la médiatisation de cette nouvelle forme ? En fait, « avoir du goût », c’est former son goût selon ceux qui ont déjà du goût.
  • Pour juger une œuvre, faut-il s’y connaître en art ?
  • L’art est-il dévoilement de la vérité ?
    • L’art vise le beau, pas le vrai. Pour Hegel (in Esthétique), le contenu est la vérité, et la forme est la représentation sensible de cette vérité (exemples : la mort, l’amour, la nature, la folie, la guerre, etc.). Pour Nietzsche, nous avons besoin de l’art « pour ne pas mourir de la vérité » : la vérité est supportable si elle est masquée par la beauté. Comme la vérité est tragique, l’art est une illusion nécessaire.
  • L’œuvre d’art est-elle une obligation sacrée ?
    • Sacré / profane. L’art moderne n’a plus de contenu religieux.

Quelques références :

Kant, Critique de la faculté de juger (1790) – Définition de l’art

L’art se distingue de la nature comme faire (facere) d’agir ou d’effectuer en général (agere) et le produit ou la conséquence du premier (opus) se distingue de même des effets (effectus) de la seconde.
À vrai dire, on ne devrait nommer art que le produit de la liberté, c’est-à-dire d’un vouloir qui fonde ses actes sur la raison. On se plaît à nommer œuvre d’art le travail des abeilles (les rayons de cire régulièrement construits), mais ce n’est que par analogie ; car dès que l’on songe qu’aucune réflexion particulière de la raison ne préside à leur travail, on dit aussitôt : c’est une production de leur nature (de leur instinct) et, comme œuvre d’art, on ne l’attribue qu’à leur Créateur.
Quand en fouillant un marécage on trouve, comme il est arrivé parfois, un morceau de bois taillé, on dit que c’est un produit de l’art et non de la nature : sa cause efficiente a pensé une fin à laquelle il doit sa forme. On voit un produit de l’art dans tout ce qui est ainsi constitué que la représentation en a dû dans la cause précéder la réalisation (même chez les abeilles) sans que cependant cette cause ait pu à vrai dire concevoir cet effet. Mais quand on nomme simplement une chose œuvre d’art pour la distinguer d’un effet de la nature, on entend toujours par là un ouvrage des hommes.
L’art, habileté de l’homme, se distingue aussi de la science (comme pouvoir de savoir) comme la faculté pratique de la faculté théorique, la technique de la théorie (l’arpentage, par exemple, de la géométrie). Ce que l’on peut faire, dès que l’on sait seulement ce qui doit être fait et que l’on connaît suffisamment l’effet recherché, ne s’appelle pas de l’art. Ce que l’on n’a pas l’habileté d’exécuter de suite, alors même qu’on en possède complètement la science, voilà seulement ce qui dans cette mesure est de l’art.


Première partie, livre II, § 43, traduction Jean Gibelin, Vrin, cité dans Anthologie philosophique, Hachette.

Voir aussi