Les mots « tout » et « même »
Tout
Tout peut-être un adjectif, un pronom, un adverbe ou un nom. Tout est un adjectif quand il se rapporte à un nom ou à un pronom.
Tout a la valeur d’un adjectif qualificatif quand il marque l’intégralité et précède un déterminatif du substantif. Il en est de même quand, au singulier, il a le sens de « seul » « entier » ou « véritable » :
« Un meunier ne laissa pour tous biens à trois enfants qu’il avait que son moulin, son âne et son chat » (Charles Perrault, Le Chat botté), « On ne voyait point de moyens de remplacer immédiatement la totalité des officiers, tandis que les avocats étaient tout prêts à fournir autant de juges qu’on voudrait en avoir. On entreprit aussi de faire émigrer tous les grands propriétaires terriens, et on en vint à bout assez généralement : les royalistes du dehors assistant toujours, sans s’en apercevoir, les Jacobins du dedans dans leur projet favori de désentourer le Roi de tous ceux qui voulaient le servir » (4, page 214), « Nous n’aurons pour tous bruits que la plainte de l’onde » (Zola, poème À mes amis), « La belle liqueur de flamme rose s’en allait toute dans le gosier de ces garnements » (A. Daudet, La Mule du pape), « Enfin on parvint à la tirer de là-haut ; mais ce fut toute une affaire » (A. Daudet, ibidem), « Je la mangeai toute, en effet » (A. Daudet, Les Vieux), « Il emmenait toute la famille déjeuner sur l’herbe » (chapitre 1), « Je voulus lui présenter Joseph dans toute sa gloire » (15, chapitre 10).
Tout est un adjectif indéfini quand, au singulier, il a le sens de « chaque », de « n’importe quel », et quand, au pluriel, il sert à récapituler une suite de termes sans en excepter un :
« La fermentation publique était augmentée dans Paris par une cause d’autant plus dangereuse qu’elle agite toujours le peuple en tous temps et en tous lieux. Cette cause était la cherté du pain et la disette de blé » (4, page 56), « C’était ce peu de mots qui avaient déterminé sa nomination [du baron de Breteuil au ministère] ; il aurait proposé de même toute autre personne qui se serait présentée à sa pensée » (4, page 71), « Elle était maintenant rassurée, d’autant que son cher Joseph venait tous les samedis, sur la bicyclette du boulanger » (chapitre 3), « Enfin, ils partirent tous les deux » (15, chapitre 19).
Tout [= entièrement, tout entier] est un adjectif quand il est employé en apposition :
« Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles » (A. Daudet, L’Arlésienne), « Les marmitons viennent entre deux sauces prendre un petit air de messe et apporter une odeur de réveillon dans l’église toute en fête » (A. Daudet, Les Trois Messes basses).
Tout [= chacun] est un pronom indéfini quand il remplace un nom :
« M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon » (A. Daudet, La Chèvre de M. Seguin), « Mes Révérends, dit-il en étendant sa belle main blanche où luisait l’anneau pastoral, il y a moyen de tout arranger » (A. Daudet, L’Élixir du Révérend Père Gaucher), « Elle échangeait avec son image des sourires malicieux, tous différents les uns des autres, comme si elle cherchait le meilleur » (15, chapitre 7), « Mes filles sont toutes [sans exception] heureuses ».
Tout, quand il est placé devant un adjectif qualificatif ou un adverbe, est généralement lui-même un adverbe, ayant le sens de « tout à fait ». Ainsi écrira-t-on « Mes filles sont tout heureuses d’aller au bal ».
L’adverbe tout est invariable devant un adjectif masculin, comme dans :
« Dès qu’elle les eut touchés, ils s’endormirent tous, pour ne s’éveiller qu’en même temps que leur maîtresse, afin d’être tout prêts à la servir quand elle en aurait besoin. Les broches mêmes qui étaient au feu toutes pleines de faisans et de perdrix et de faisans s’endormirent, et le feu aussi » (Charles Perrault, La Belle au bois dormant), « Elle était tout habillée et fort magnifiquement ; mais il se garda bien de lui dire qu’elle était habillée comme ma mère-grand, et qu’elle avait un collet monté » (Charles Perrault, La Belle au bois dormant), « Tous les émigrés non armés (qui cependant étaient prêts à l’être) restaient tout organisés dans l’Électorat [de Trèves] » (4, page 297), « Elle a de beaux mollets tout ronds » (15, chapitre 12).
Lorsqu’il est devant un adjectif qualificatif féminin commençant par une consonne autre qu’un h muet, il s’accorde par euphonie. On lit donc :
« Il y avait de grands espaces pleins de bruyères tout en fleurs » (8, partie 2, chapitre 9), « Charles, comme aux premiers temps de son mariage, la trouvait délicieuse et tout irrésistible » (ibidem, chapitre 12), « Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites » (A. Daudet, La Chèvre de M. Seguin), « La nuit tombe, vous frôle en passant de son aile noire tout humide » (A. Daudet, En Camargue), « Je rêvassais souvent, pendant des pages entières, à tout autre chose » (11), « L’objet de la psychologie est de nous donner une idée tout autre des choses que nous connaissons le mieux » (Paul Valéry, Analecta), « Les papillons tombaient tout cuits dans nos assiettes » (chapitre 16), « Ma mère, par instants, s’arrêtait toute pâle, le nez pincé, la main sur son cœur » (14, chapitre 27), « Elle se donnait tout entière à sa mission » (15, chapitre 3), « Quand elle sentait qu’on la regardait, elle devenait toute rouge » (15, chapitre 7), « Elle ouvrit ses yeux tout grands » (15, chapitre 10), « Ses cheveux grisonnants, coupés court, se dressaient tout raides sur sa tête » (16, chapitre 3), « La poule toute blanche a les plumes toutes hérissées » (Bled, Cours supérieur d’orthographe).
Cependant, ces règles n’existaient pas au XVIIe siècle. Ainsi lit-on :
« La Barbe-Bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds toute éplorée et toute échevelée » (Charles Perrault, La Barbe bleue), « Sa marraine, qui la vit toute en pleurs, lui demanda ce qu’elle avait » (Charles Perrault, Cendrillon), « La princesse demeura toute interdite, et ne répondit rien » (Charles Perrault, Riquet à la houppe) ; ou encore :
« J’oubliais à dire en passant
Qu’en cette grande Métairie
D’un Roi magnifique et puissant
Se faisait la Ménagerie,
Que là, Poules de Barbarie,
Râles, Pintades, Cormorans,
Oisons musqués, Canes Petières,
Et mille autres oiseaux de bizarres manières,
Entre eux presque tous différents,
Remplissaient à l’envi dix cours toutes entières. »
(Charles Perrault, Peau d’Âne)« Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus toute entière à sa proie attachée. »
(Racine, Phèdre, acte I, scène 3)
Tout peut-être un nom, comme dans :
« Mais, en passant de son administration à ses institutions, le tableau change de couleurs. Là, tout est lumière, tout est bonheur, tout est franchise, ici tout est incertitude, tout est mesquin, tout est hypocrisie » (Stendhal, Vie de Napoléon, chapitre 23), « L’idée de souffler du mucus dans cette étoffe délicate, et de renfermer le tout dans ma poche, me paraissait absurde et dégoûtante » (chapitre 10).
Même
Même peut être un adjectif, un pronom ou un adverbe.
Même est un adjectif indéfini quand, devant le nom, il marque l’identité ou la ressemblance, ou quand, immédiatement après un nom ou un pronom, il signale plus expressément la personne ou la chose dont on parle. Ainsi en est-il dans :
« On ne le voit presque jamais ; il est seul, triste, abattu au fond de son palais ! Ses amis mêmes n’osent l’aborder, de peur de lui devenir suspects » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 3), « Idoménée comprit bien qu’il avait eu tort de laisser les habitants de sa nouvelle ville amollir et corrompre leurs mœurs, en violant toutes les lois de Minos sur la sobriété ; mais le sage Mentor lui fit remarquer que les lois mêmes, quoique renouvelées, seraient inutiles, si l’exemple du roi ne leur donnait une autorité qui ne pouvait venir d’ailleurs » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 10), « Ce système consistait à pousser leurs adversaires à adopter des mesures extravagantes dans l’espoir qu’elles seraient inexécutables et qu’elles amèneraient cette anarchie et cette confusion générale, que bien des gens avaient la folie de considérer comme devant conduire au rétablissement de l’autorité absolue, et à celui de ces mêmes droits et de ces mêmes privilèges dont ils venaient de provoquer eux-mêmes l’abolition » (4, page 83), « Tout se passa comme aux précédentes années : mêmes jeux avec ma bande fidèle, mêmes expéditions dans les vignes et les montagnes, mêmes rêveries de moyen âge dans les ruines de Castelnau » (9, chapitre 79), « Mais aujourd’hui la beauté démodée de cette musique semblait défraîchie. Privée depuis quelques années de l’estime des connaisseurs, elle avait perdu son honneur et son charme et ceux mêmes dont le goût est mauvais n’y trouvaient plus qu’un plaisir inavoué et médiocre » (Proust, Du côté de chez Swann), « En effet, ceux-là mêmes qu’elle avait, les yeux étincelants de rage, souhaité déshonorer, tuer, faire condamner, fût-ce sur faux témoignages, si seulement elle les savait tristes, humiliés, elle ne leur voulait plus aucun mal, elle était prête à les combler de bienfaits » (Proust, Albertine disparue), « Et il pensa encore aux années précédentes, à ces mêmes clairs jours d’avril, et quelle joie alors en lui, et quelle peur alors de ne point épuiser ce chaud plaisir de vie ! » (Ramuz, Aimé Pache, peintre vaudois, chapitre 14).
Même est un adverbe quand il marque une gradation, un renchérissement, ou quand il signifie « exactement, précisément ». Ainsi en est-il dans :
« Ses meilleurs amis même ne savaient que ce qu’il croyait utile de leur découvrir pour en tirer de sages conseils, et il n’y avait que le seul Mentor pour lequel il n’avait aucune réserve » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 13), « J’enlèverais ma femme à ce temple, à vos bras ; / Aux dieux méme, à nos dieux, / S’ils ne m’exauçaient pas » (Voltaire, Olympie, acte I, scène 3), « L’âge ne m’a pas guéri de ce défaut, il ne l’a pas diminué même ; et maintenant que j’écris ceci, me voilà comme un vieux radoteur engoué d’une autre étude inutile où je n’entends rien, et que ceux même qui s’y sont livrés dans leur jeunesse sont forcés d’abandonner à l’âge où je la veux commencer » (Rousseau, Confessions), « Je m’accoutumai peu à peu à me séparer de tout ce qui s’y faisait, de ceux même qui l’habitaient » (ibidem), « Il résultait de cette illusion qu’on ne soupçonnait même pas que la chute du Gouvernement constitutionnel pourrait amener l’établissement de la République, à la possibilité de laquelle il était même interdit de croire parmi les personnes qui pensaient bien » (4, page 227), « Il n’est pas supposable, et les partis même ne peuvent supposer qu’il y ait des troubles à craindre pour l’ordre matériel » (Adolphe Thiers, harangue du 24 mai 1873 à la Chambre des députés), « Vous n’êtes qu’un gouvernement provisoire, je n’ai pas à me gêner avec vous, vous êtes provisoire, vous ne serez plus dans quinze jours, vous ne serez plus dans six mois ! et ceux-là même qui nous ont demandé le provisoire nous en font un crime lorsqu’ils sont hors d’ici ! Est-ce que vous croyez qu’avec tout cela l’on peut gouverner? » (Adolphe Thiers, harangue du 24 mai 1873 à la Chambre des députés), « Les chaises même, les chaises rangées autour de la salle, commençaient à m’inquiéter » (9, chapitre 2), « Bien des actes nous apparaissent répréhensibles, odieux même, simplement parce que nous n’en pénétrons pas suffisamment les motifs » (Gide, Les Faux-Monnayeurs), « Vous ne savez pas ce que c’est que tout ce monde de jeunes filles, ce qu’elles se cachent les unes des autres, comme elles craignent l’opinion des autres. J’en ai vu d’une sévérité terrible avec des jeunes gens, simplement parce qu’ils connaissaient leurs amies et qu’elles craignaient que certaines choses ne fussent répétées, et celles-là même, le hasard me les a montrées tout autres, bien contre leur gré » (Proust, Albertine disparue).
Après un substantif, il faut distinguer. Quand même ne peut pas être déplacé et mis avant le substantif, alors il est un adjectif et il s’accorde ; mais quand même peut se déplacer et être mis devant le substantif, alors il peut être traité comme un adverbe et demeurer invariable. En fait, dans cette situation, il peut être difficile de savoir si même est un adjectif ou un adverbe, et il semble être plus souvent un adjectif.
Même est un pronom, quand il est précédé de l’article et quand il remplace un nom : « Nos travaux, nos amusements, nos goûts étaient les mêmes : nous étions seuls, nous étions de même âge, chacun des deux avait besoin d’un camarade ; nous séparer était, en quelque sorte, nous anéantir » (2, page 42), « Notre genre de vie fut le même que les années précédentes » (4, page 134).
Quand même adjectif est placé après plusieurs noms coordonnés par « et, ou » juxtaposés, il s’accorde avec l’ensemble des noms s’il porte sur chacun d’eux. Parfois, cependant, même est accordé avec le dernier nom seulement. Ainsi trouve-t-on :
« Il faut établir des écoles publiques, où l’on enseigne la crainte des dieux, l’amour de la patrie, le respect des lois, la préférence de l’honneur aux plaisirs et à la vie même » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 10), « Si jamais les dieux me rendent mon père et qu’ils me permettent de choisir une femme, Antiope sera mon épouse. Ce qui me touche en elle, c’est son silence, sa modestie, sa retraite, son travail assidu, son industrie pour les ouvrages de laine et de broderie, son application à conduire toute la maison de son père, depuis que sa mère est morte, son mépris des vaines parures, l’oubli et l’ignorance même qui paraît en elle de sa beauté » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 17), « Avec tant de regrets et de deuil, elle était la bizarrerie et la bonne humeur mêmes » (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, troisième partie, chapitre 3).
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Conseils de lecture
Voir aussi
- Le mot tout
- Dans le forum : Le mot tout