Le passé composé
Le passé composé s’appelait jadis le « prétérit indéfini ». Sa dénomination actuelle paraît particulièrement mal choisie car elle ne rend nullement compte de la fonction du passé composé, et il existe plusieurs temps composés du passé de l’indicatif. Le passé composé est souvent un temps du discours.
Le passé composé exprime des évènements complètement achevés à un moment déterminé ou indéterminé du passé, en relation avec le présent ou dont les conséquences sont encore sensibles dans le présent. Pour reprendre les termes d’une grammaire moderne, il maintient les actions narrées dans l’actualité du sujet, alors qu’avec le passé simple le sujet se dissocie de ce qu’il raconte. Avec le passé composé, la primauté est donnée à l’effet que l’action a eu dans le présent :
« Si nous avons été victorieux en combattant dans la Sicile pour Aceste, Troyen et ennemi de la Grèce, ne serons-nous pas encore plus ardents et plus favorisés des dieux quand nous combattrons pour un des héros grecs qui ont renversé la ville de Priam ? » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 8), « Je suis né dans la ville d’Aubagne » (chapitre 1), « J’ai retrouvé, dans les archives de la mairie, des Lespagnol, puis des Spagnol » (chapitre 1), « J’en ai connu beaucoup de ces maîtres d’autrefois » (chapitre 2), « Tu n’as donc jamais eu d’ambition ? — Oh mais si ! dit-il, j’en ai eu ! Et je crois que j’ai bien réussi ! Pense qu’en vingt ans, mon prédécesseur a vu guillotiner six de ses élèves. Moi, en quarante ans, je n’en ai eu que deux. Ça valait la peine de rester là » (chapitre 2), « Je n’ai jamais su comment ils s’étaient connus » (chapitre 3), « Le monsieur prit le tramway avec nous : il paya même nos places, malgré les très vives protestations de ma tante qui en était, à mon grand étonnement, toute rougissante. J’ai compris, beaucoup plus tard, qu’elle s’était considérée comme une véritable courtisane, parce qu’un monsieur encore inconnu avait payé trois sous pour nous » (chapitre 7), « Vous êtes tombé dans ce coup-là » (chapitre 11).
Le passé composé pouvant indiquer des évènements passés à un moment déterminé prend fréquemment la place du passé simple, qu’il tend à évincer de la langue littéraire écrite. Il peut, comme le passé simple, marquer la succession des faits : « Voilà, dit-il, l’endroit où nous avons quitté le tramway » (chapitre 13), « J’ai été moins étonné, dix ans plus tard, lorsque je visitai le phare de Planier » (chapitre 16).
Bien que le passé composé puisse souvent se substituer au passé simple, ces deux temps n’ont pas toujours la même valeur et ne peuvent pas être employés indifféremment l’un pour l’autre : « Je te promets que j’ai tout compris » (chapitre 9), « J’ai donc loué une villa dans la colline » (chapitre 10).
Accessoirement, le passé composé peut marquer l’antériorité relativement à un événement du futur proche : « J’ai fini dans cinq minutes », « Si dans une heure la fièvre a monté, rappelez-moi ».
Voici un discours au passé composé :
Le cri de la vérité est parvenu jusqu’aux oreilles du roi ; son œil s’est fixé sur ce tableau déchirant ; son cœur honnête et pur s’est senti ému ; il s’est rendu aux vœux de son peuple, il a rappelé un ministre [Necker] que ce peuple demandait.
La justice a repris son cours.
Le trésor public s’est rempli, le crédit a reparu comme dans les temps les plus prospères ; le nom infâme de banqueroute n’a plus même été prononcé.
Les prisons se sont ouvertes, et ont rendu à la société les victimes qu’elles renfermaient.
Les révoltes qui avaient été semées dans plusieurs provinces, et dont on avait lieu de craindre le développement le plus terrible, se sont bornées à des troubles toujours affligeants sans doute, mais passagers, et bientôt apaisés par la sagesse et par l’indulgence.
Les états généraux ont été annoncés de nouveau : personne n’en a plus douté quand on a vu un roi vertueux confier l’exécution de ses promesses à un vertueux ministre. Le nom du roi a été couvert de bénédictions.
Le temps de la famine est arrivé. Des travaux immenses, les mers couvertes de vaisseaux, toutes les puissances de l’Europe sollicitées, les deux mondes mis à contribution pour notre subsistance, plus de quatorze cent mille quintaux de farine et de grains importés parmi nous, plus de vingt-cinq millions sortis du trésor royal, une sollicitude active, efficace, perpétuelle, appliquée à tous les jours, à tous les instants, à tous les lieux, ont encore écarté ce fléau ; et les inquiétudes paternelles, les sacrifices généreux du roi, publiés par son ministre, ont excité dans tous les cœurs de ses sujets de nouveaux sentiments d’amour et de reconnaissance.
Enfin, malgré des obstacles sans nombre, les états généraux ont été ouverts. Les états généraux ont été ouverts ! – Que de choses, messieurs, sont renfermées dans ce peu de mots ! Que de bienfaits y sont retracés !Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, partie 1, chapitre 23