Alternance indicatif-subjonctif
Les deux discussions suivantes m’ont été bien utiles pour rédiger ce paragraphe :
- Indicatif ou subjonctif après les verbes admettre, comprendre, expliquer et supposer ?
- Nuances entre le subjonctif et l’indicatif dans une question
Il suffit, dans un grand nombre de propositions subordonnées, de remplacer le verbe à l’indicatif par le même verbe au subjonctif pour obtenir une nouvelle proposition, d’un sens différent. Le subjonctif rend problématique la réalisation de la subordonnée.
C’est ce qu’expliquent, en termes lumineux, Jean-Pierre Colignon et Pierre-Valentin Berthier dans leur ouvrage La Pratique du style. Je reproduis ici leurs propos :
Même l’emploi du subjonctif ne saurait être régi par un système immuable. En certains cas, il est obligatoire : par exemple, il faut dire et écrire “Je veux que tu viennes” (et non : “que tu viens”), “Il est nécessaire que tu apprennes tes leçons” (et non : “que tu apprends”). Une construction négative ou dubitative entraîne le plus souvent l’emploi du subjonctif dans des phrases telles que : “Je ne crois pas qu’il vienne” (alors que le régime affirmatif l’exclut : “Je crois qu’il vient”, ou “qu’il viendra”).
Mais fréquemment s’offre un choix qui répond à des nuances. Ainsi, on dira et l’on écrira : “Il semble que sa résolution fléchisse”, ou : “…que sa résolution fléchit”, selon le degré de probabilité qu’on attache à cette apparence. Avec le subjonctif, on émet une opinion dont non n’est pas vraiment sûr, on exprime plutôt une impression ; avec l’indicatif présent, on s’engage plus avant dans l’affirmation. Le futur aussi entre en compétition pour traduire des nuances de pensée ; par exemple, on dit : “Je crois qu’il réussira”, et l’on doit en principe dire : “Je ne crois pas qu’il réussisse”, mais “je ne crois pas qu’il réussira” ne peut être condamné, car le futur, s’il n’inclut pas le même doute explicite que le subjonctif, n’en comporte pas moins une part latente d’incertitude qui autorise son emploi avec “ne pas croire que”.
[…] Voici un autre cas où la concordance est fonction du coefficient de probabilité dont on entend affecter la phrase : “L’Europe des affaires est la seule qui réussit”, ou “qui réussisse”. Dans la première forme, on constate un succès ; dans la seconde, on le reconnaît aussi, mais avec moins d’assurance pour l’avenir.
Vérifions que l’alternance de mode est possible, selon la signification qu’on veut donner à la phrase, derrière quelques verbes « recteurs » fréquemment utilisés, dont un certain nombre de verbes exprimant une manière de dire ou de penser.
Après douter
Commençons par le cas du verbe douter. Après douter, employé à la forme affirmative, on met un subjonctif (sauf après l’ancienne tournure « douter si » !) ; Hanse et Blampain, dans leur Nouveau dictionnaire des difficultés du français, déconseillent l’usage du conditionnel. Bizarrement, quand ce verbe est employé à la forme interrogative ou négative, on met souvent un subjonctif dans la subordonnée. Le verbe « se douter » (= soupçonner) est usuellement suivi de l’indicatif-conditionnel à la forme affirmative.
Ainsi trouve-t-on :
« Vous douterez peut-être si l’autorité d’un seul docteur bon et savant rend une opinion probable » (Pascal, Les Provinciales, lettre 5), « Je doute même que le sieur Pissot poussât l’impudence jusqu’à réclamer quelques droits sur les écrits que j’ai eu la bêtise de lui laisser imprimer » (Rousseau, lettre à M. Guérin, du 21 décembre 1760), « Je doute que vous ayez jamais rien lu de plus plat, de plus ennuyeux et de plus grossier » (Melchior Grimm, Correspondance littéraire), « Mais je doute qu’on eût deviné, si l’observation ne l’avait appris, que les ruminants auraient tous le pied fourchu, et qu’ils seraient les seuls qui l’auraient ; je doute qu’on eût deviné qu’il n’y aurait de cornes au front que dans cette seule classe » (Cuvier, Discours sur les révolutions de la surface du globe), « Mme de Genlis n’en avait pas l’idée [de la manière dont se formèrent les monarchies], et je doute qu’il eût été possible de lui en donner une exacte » (4, page 21), « Il [Dumouriez] sonda les dispositions de ses officiers généraux ; tous lui recommandèrent de se retirer derrière la Marne, et parurent même douter qu’il pût encore y devancer l’ennemi » (5, page 153), « Je connaissais trop bien l’état des choses et des partis, pour pouvoir douter que cette mesure [de bannissement de la famille d’Orléans] ne fût prise dans un esprit d’hostilité contre mon père et contre notre famille (5, page 305).
« Je ne doutais pas que nous ne manquassions notre coup [de hasarder un soulèvement populaire] si nous l’entreprenions ; mais je doutais encore moins que, quand même nous y réussirions, nous serions perdus, et parce que nous n’en pourrions pas soutenir les suites, et parce que nous nous ferions convaincre nous-mêmes de trois crimes capitaux et très odieux ». (Retz, Mémoires, page 321), « Il ne faut point douter qu’il fera ce qu’il peut » (Molière, L’Étourdi, acte II, scène 8), « Oui, je ne doute point que l’hymen ne vous plaise » (Molière, L’École des femmes, acte II, scène 5), « Peut-être doutez-vous, Messieurs, qu’étant éloigné du public il fût encore égal à lui-même ? » (Fléchier, Oraison funèbre du Président de Lamoignon, 1677), « Ma maîtresse était si aimable que je ne doutai point qu’elle ne pût lui plaire, si je trouvais le moyen de lui faire connaître sa sagesse et son mérite » (1, page 45), « Si je croyais, m’a-t-il dit, qu’il fût d’humeur à bien vivre avec moi, je serais le premier à lui offrir mes services et mes civilités. Je l’ai assuré que, du caractère dont je vous connaissais, je ne doutais point que vous n’y répondissiez honnêtement » (1, page 143), « La jeune fille est venue, je l’ai trouvée jolie, et comme je ne doutais point que mon absence ne vous causât de la peine, c’était sincèrement que je souhaitais qu’elle pût servir à vous désennuyer, car la fidélité que je souhaite de vous est celle du cœur » (1, page 144), « Il n’y a point à douter que si j’avais pu me dérober à mon bonheur avec bienséance, je ne l’eusse fait de tout mon cœur » (Rousseau, Confessions, partie 1, livre 5), « Je ne doute point que mes visites fréquentes vers ce puits n’aient été remarquées » (3, page 76), « Je [Louis XVI] ne mets pas en doute que vous ne vous occupiez d’affermir le pouvoir exécutif, sans lequel il ne peut y avoir aucune sûreté au dedans et au dehors, et que vous ne perdrez pas de vue que la confusion des pouvoirs dégénère bientôt dans la plus dangereuse des tyrannies » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 2), « Ils [les ministres] ne doutaient pas qu’à l’exemple de ce qui s’était passé sous les règnes précédents, le parlement, aigri par ces agressions, ne s’abandonnât à quelque mesure indiscrète, peut-être à l’oubli de ses devoirs, et qu’alors on ne pût l’anéantir en faisant envisager ce coup d’autorité comme la peine légitime d’une rébellion inexcusable » (Sallier, Annales françaises, livre 6, page 136), « Nous ne doutions pas que les pertes personnelles que la Révolution nous faisait faire, ne fussent un avantage réel pour l’humanité » (4, page 24), « Je ne doute pas qu’ils n’eussent été délivrés si M. de Bouillé avait été averti à temps » (4, page 160), « Je ne doute pas que si les membres du côté droit fussent restés dans l’Assemblée, ils n’eussent obtenu beaucoup plus que ce qui fut gagné dans la révision [de la Constitution] » (4, page 178), « Il ne pouvait plus y avoir de doute que cette obéissance de l’armée à l’Assemblée, et que cette autorité de l’Assemblée sur l’armée ne devinssent infiniment plus complètes et plus inébranlables, après que les anciens officiers auraient été remplacés par d’autres » (4, page 201), « Je ne pouvais pas douter qu’il ne se passerait rien d’important sur les frontières » (4, page 251), « On cherchait comment les Princes [émigrés] trouvaient les moyens de solder des dépenses aussi considérables, et il n’est pas douteux qu’une partie leur fût procurée par les dettes très considérables qu’ils contractaient » (4, page 292), « Personne ne doutait que le maréchal [Luckner] ne s’empressât d’agir vigoureusement » (5, page 61), « En lui écrivant [au duc d’Orléans] pour lui envoyer une copie de ma lettre au président de la Convention [de soumission à une décision de bannissement], je ne mettais pas en doute qu’il ne dût partir avec nous » (5, page 311), « Il n’y a pas le moindre doute que nous ne pouvons plus vivre ensemble » (Musset, La Confession d’un enfant du siècle, partie 5, chapitre 6), « Il avait été l’élève de Socrate et il n’est pas douteux que son unique pensée fut celle-ci : imiter Socrate, en l’exagérant » (Émile Faguet, Initiation philosophique), « Je me rappelai l’homme qui avait été atteint et qui avait pris la fuite dans les bois lors de la grande attaque, et ne doutai pas qu’il s’agissait de lui » (Stevenson, L’Île au trésor, chapitre 28), « Et je ne doute pas qu’il n’y aurait beaucoup à apprendre sur le fonctionnement des rouages de l’administration en particulier ; mais pour le bien comprendre, il faudrait connaître déjà le pays » (Gide, Voyage au Congo), « Mais il n’y a pas à douter que tous sauront retrouver, quand il s’agira de défendre les intérêts vitaux de la France, la même admirable unanimité qu’ils apportèrent à les défendre contre l’oppression et les armes de l’envahisseur » (De Gaulle, Discours du 9 novembre 1944), « Il ne doutait pas qu’il serait accepté à l’hôpital » (Montherlant, Les Célibataires), « Douterais-tu que cette main que tu peux toucher a tué Cragnasse ? » (C. Silvestre, Manoir), « Il ne faisait pas de doute qu’il m’avait percé à jour » (Giono, Le Moulin de Pologne).
« Je m’en doutais, seigneur, que ma couronne Vous charmait bien du moins autant que ma personne » (Corneille, Nicomède, acte I, scène 2), « Je me doutai que la mort de cette mère de Mme de Dreux vous frapperait l’imagination » (Mme de Sévigné, lettre à Mme de Grignan, du 16 mai 1680), « Vous voilà, chère amie ! Je me doutais que vous ne tarderiez pas à venir, et je vous attendais. Écoutez-moi. Que j’avais d’impatience que vous vinssiez ! Ma défaillance a été si forte et si longue, que j’ai cru que j’y resterais, et que je ne vous reverrais plus » (3, page 133), « Je [le vicomte de Valmont] me doutai que ses regards [ceux de Mme de Tourvel] devaient être sévères, et pour la punir, je ne les cherchai pas » (Laclos, Les Liaisons dangereuses, lettre 25), « Je me doutais bien que nous ne rentrerions plus au Temple ; mais comme on n’avait pas révoqué notre permission d’y entrer, nous y retournâmes, Pauline et moi, comme à l’ordinaire, quoique plusieurs personnes, par intérêt pour nous, voulussent nous en détourner, nous avertissant qu’elles avaient entendu dire que c’était bien ma faute si j’avais été arrêtée, que je ne pouvais m’en prendre qu’à l’indiscrétion de ma conduite avec Madame [fille de Louis XVI] » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 24), « Aussitôt que le Roi d’Angleterre [George III] leur eut parlé à tous les trois, Monsieur [le futur Charles X] vint à moi, et me dit : “Je ne vous ai pas proposé de vous joindre à nous pour venir ici, parce que je me doutais bien que vous seriez encore dans votre frac, et que je voulais vous éviter le disparate de votre costume avec les nôtres” » (5, page 451).
« M. de Choiseul arriva aussi à Varennes, sensiblement affligé de la situation du Roi. Mais les sentiments de son cœur lui faisaient illusion sur les terribles inconvénients du parti qu’il avait pris [de ne plus attendre la voiture du Roi à Pont-de-Sommevel]. Il venait seulement remplir les devoirs de tout bon Français et mourir aux pieds de son Roi, si les circonstances l’exigeaient, ne se doutant pas qu’il eût rien à réparer, et croyant qu’à sa place tout autre se serait conduit comme lui » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 12), « Chaque fois qu’il [le jeune fils de Louis XVI] s’approchait de moi, il ne manquait pas de me faire une question sur les personnes qui intéressaient la famille royale. Il me chargea de vous embrasser de sa part, ainsi que mademoiselle Pauline, n’oublia personne de ceux qu’il aimait, et jouait si bien son rôle qu’on ne pouvait se douter qu’il m’eût parlé » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 24), « Vous ne vous doutiez pas alors, lui dis-je en l’interrompant, qu’on vous camperait plus tard le nom d’Égalité » (5, page 240), « Je ne me doutais pas qu’un des soldats du temple, […] / Amollissait son âme à de folles amours » (Lamartine, Jocelyn, V), « Le petit ne se doutait pas que son père était là » (Hugo, Les Misérables, livre 3, chapitre 5), « Qui sait par quelles épreuves, par quels affreux moments de douleur il ne va pas falloir que je passe ! Je ne me doutais pas qu’il en pût être ainsi » (Musset, La Confession d’un enfant du siècle).
Après nier, contester, démentir, disconvenir, dissimuler
Le verbe nier (ainsi que d’autres verbes comme contester, démentir, disconvenir, dissimuler), utilisé dans une proposition affirmative, est le plus souvent suivi d’un subjonctif ; à la forme négative, interrogative ou conditionnelle, nier est souvent suivi d’un subjonctif. Ainsi trouve-t-on :
« L’évêque [de Reims, Aegidius] nia [en 590 après J.C.] que ces lettres [entre lui-même et le roi Chilpéric] eussent été envoyées en son nom et reçues. Mais on fit comparaître un des serviteurs de confiance qui avait tenu note de ces écrits dans le recueil des chartes de l’évêque. Il ne put donc exister aucun doute dans l’esprit des juges au sujet de cette correspondance. Alors on produisit des pactes faits au nom des rois Childebert et Chilpéric, et dans lesquels il était convenu qu’après avoir chassé le roi Gontran, ils partageraient entre eux son royaume. Le roi nia que la chose eût été faite de son consentement » (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, livre 10, traduction de Guizot), « Eh quoi ! mon Père, lui repartis-je, est-ce là l’hérésie des Jansénistes, de nier qu’à chaque fois qu’on fait un péché, il vient un remords troubler la conscience, malgré lequel on ne laisse pas de franchir le saut et de passer outre, comme dit le Père Bauny? » (Pascal, Les Provinciales, lettre 4), « Et il est aussi peu raisonnable de prétendre que l’on a toujours un plein pouvoir, qu’il le serait de nier que ces vertus, destituées d’amour de Dieu, lesquelles ces bons Pères confondent avec les vertus chrétiennes, ne sont pas en notre puissance » (ibidem, lettre 5), « Si la mère eût su où elles étaient, les lettres étaient livrées ; mais heureusement la fille seule le savait, et nia que j’en eusse conservé aucune » (Rousseau, Les Confessions, partie 2, livre 9), « Je niai que le Roi eût jamais eu l’idée de quitter le royaume, et je leur demandai s’ils croyaient qu’on dût être fidèle à ses serments » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 23), « On a nié que le général Savary eût reçu cette mission [d’attirer le futur Ferdinand VII à Bayonne] et que Napoléon l’eût donnée » (Thiers, Histoire de l’Empire, livre 12).
« Mais quand je n’aurais pu prouver, par des témoins que vous avez reçu de l’argent, auriez-vous pu nier, nieriez-vous aujourd’hui, qu’après avoir congédié votre conseil, après avoir éloigné des hommes du premier rang, qui avaient été du conseil de Sacerdos, et qui étaient ordinairement du vôtre, vous avez jugé une affaire déjà jugée ; nierez-vous que le même homme que C. Sacerdos avait absous, dans son conseil après l’avoir entendu, vous, sans votre conseil, vous l’avez condamné sans l’entendre ? Quand vous aurez avoué ces faits, qui se sont passés en plein forum, publiquement, à Syracuse, à la face et sous les yeux de toute la province, niez alors, si vous le voulez, que vous ayez pris de l’argent » (Cicéron, Seconde action contre Verrès, septième discours, traduction de Désiré Nisard), « L’évêque [Aegidius] répondit : “Je ne puis nier que j’ai été l’ami du roi Chilpéric ; mais cette amitié n’a rien engendré contre les intérêts du roi Childebert. J’ai obtenu les villas dont tu parles par des chartes de ce roi.” Les chartes furent produites publiquement, et le roi [Childebert II] nia qu’il les eût accordées » (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, livre 10), « Si quelqu’un nie que le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec son âme et sa divinité, et par conséquent Jésus-Christ tout entier, soit contenu véritablement, réellement et substantiellement dans le sacrement de la très sainte eucharistie, […] qu’il soit anathème » (premier canon du concile de Trente), « Je ne puis pas nier qu’il n’y ait eu des Pères de l’Église qui ont condamné la comédie, mais on ne peut pas me nier aussi qu’il n’y en ait eu quelques-uns qui l’ont traitée un peu plus doucement » (Molière, Tartuffe, préface), « Et ainsi vous ne sauriez nier que ce jésuite ne fût tuable en sûreté de conscience, et que l’offensé ne pût en cette rencontre pratiquer envers lui la doctrine de Lessius. Et peut-être, mes pères, qu’il l’eût fait, s’il eût été instruit dans votre école » (Pascal, Les Provinciales, lettre 13), « Je ne vous nierai point, seigneur, que ses soupirs / M’ont daigné quelquefois expliquer ses désirs » (Racine, Britannicus, acte II, scène 3), « Cinquièmement, je ne puis douter que Dieu n’ait accordé des sensations, de la mémoire, et par conséquent des idées, à la matière organisée dans les animaux. Pourquoi donc nierai-je qu’il puisse faire le même présent à d’autres animaux ? » (Voltaire, Le Philosophe ignorant, chapitre 29), « Nierai-je que les juges ont eu l’infamie de se laisser corrompre ? » (Marmontel, Principes d’éloquence), « Ce vœu [du parlement concernant l’enregistrement d’emprunts] ne pouvait être connu ni même exister que par le rappel des voix, la supputation des suffrages et la formation d’un avis reconnu prépondérant. Cela n’ayant pas été fait, on ne pouvait nier que la délibération n’eût été incomplète, et conséquemment, que l’enregistrement n’eût eu lieu sans la participation du parlement » (Sallier, Annales françaises, page 132), « C’est un fait que personne ne saurait nier, que Napoléon est venu librement et de bonne foi à bord du Bellérophon » (Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, chapitre 1), « Enfin, les opérations de l’Assemblée nationale, relativement aux apanages, furent le coup le plus terrible que la fortune de mon père pût recevoir ; et parmi toutes les injustices dont les Assemblées françaises n’ont cependant pas été très économes, il est impossible de nier que celle-là n’ait été une des plus révoltantes » (4, page 61), « On a cherché à ridiculiser cette dénomination [de Société des amis de la Constitution] en disant que la Constitution n’était pas finie, mais ses bases étaient posées et on ne peut nier qu’elles ne fussent bien connues » (4, page 131), « Ils ne parlent que trop souvent de la beauté de leur pays : on ne peut pas nier qu’ils n’en fassent grand cas ; mais c’est parce qu’elle attire quelques étrangers dont l’argent enrichit les aubergistes, ce qui, par le mécanisme de l’octroi, rapporte du revenu à la ville » (6, livre 1, chapitre 2), « On ne peut nier ici qu’en effet, si la raison nous était donnée directement par un Être qui serait la vérité même, elle s’imposerait à nous avec une autorité bien plus grande que lorsque nous la considérons comme une habitude ». (Jean-Baptiste Prudence Boissière, Anthropodicée du pouvoir de l’habitude), « Je partis, je revins ici, parce que ma mère était malade. Ce ne fut pas un prétexte, non ; cependant, je ne nierai pas que je n’aurais pas saisi même un motif aussi sacré avec tant d’empressement, si je ne m’étais aperçue que j’étais quelquefois de trop au château, que ma présence y était une gêne » (Le Mystère de Rebecca, dans la Revue britannique de janvier 1844 ) [Les rébeccaïtes étaient des émeutiers au pays de Galles, qui détruisaient les barrières d’octroi], « On ne saurait nier qu’il ne se mêlât à tout cela une certaine antipathie contre le talent et quelque chose de la routine de scolastiques gênés dans leurs vieilles thèses par d’importuns novateurs » (Renan, Souvenirs de jeunesse), « Malgré la douleur que ces souvenirs me causaient, aurais-je pu nier que c’était le programme de la matinée du Trocadéro qui avait réveillé mon besoin d’Albertine ? » (Proust, La Prisonnière), « J’ai voulu te recevoir une dernière fois et ne nierai pas que cela me fasse de la peine » (Proust, Le Temps retrouvé).
Avec croire et penser
Examinons ce qui se passe quand l’un des verbes croire et penser se trouve dans la proposition principale. Quand cette proposition principale est affirmative, la subordonnée complétive est souvent à l’indicatif-conditionnel ; elle peut être au subjonctif, si la réalisation de la subordonnée paraît très incertaine. Quand la proposition principale est négative, interrogative par inversion, ou conditionnelle, la complétive est usuellement au subjonctif. Ainsi, on écrira :
« Mes deux sœurs établies, je crus qu’on penserait à moi, et que je ne tarderais pas à sortir du couvent » (3, page 41), « J’aime à croire que les Français reconnaîtront un jour l’avantage de la suppression d’ordres et d’états, tant qu’il sera question de travailler en commun au bien public » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 2), « Aussitôt après la réunion des états généraux, le Roi aurait dû charger ses ministres de concerter avec les députés des trois Ordres un projet d’acte constitutionnel […]. Je crois que ce travail aurait été facile à faire, et que le succès en eût été complet, si le Roi et sa Cour l’eussent voulu » (4, page 67), « Ces lectures pompeuses duraient aussi longtemps que la patience de l’Assemblée le permettait : on ne manquait jamais d’orateurs. Il est vrai que la patience de l’Assemblée n’était pas grande ; et je ne crois pas qu’aucune discussion de ce genre ait duré plus de quatre séances. Je crois même qu’aucune discussion n’a duré aussi longtemps après que l’Assemblée fut établie dans la salle du Manège. Les questions étaient emportées comme une ville prise d’assaut : ce mot était consacré. Quand l’Assemblée croyait avoir entendu assez d’orateurs pour qu’on ne pût plus lui reprocher d’avoir décidé légèrement (car je crois que ce reproche était un de ceux qu’elle craignait le plus, parce que souvent elle le méritait) elle fermait la discussion, et c’est alors que commençait l’autre sorte de débats qui étaient bien plus réels que les premiers » (4, page 87), « J’aurais cru pourtant qu’après ça elle ne pouvait pas être la femme d’un autre » (A. Daudet, L’Arlésienne), « J’aurais cru volontiers que ce fussent les filles du directeur » (A. France, Vol domestique), « Je crois que le printemps de cette année-là fut le plus radieux, le plus grisant des printemps de mon enfance » (9, chapitre 61), « Votre jeune neveu s’était déjà commis dans une aventure où je veux croire que sa bonne foi, son innocence aient été surprises » (Gide, Les Faux-Monnayeurs).
« Crois-tu que je n’aie pas bien prévu tout ce que tu vois maintenant, que je ne susse pas à fond tous les sentiments de mon père, et que le refus qu’il a fait porter à celui qui m’a demandée par un ami n’ait pas étouffé dans mon âme toute sorte d’espoir ? » (Molière, L’Amour médecin, acte I, scène 4), « L’affaire fut résolue par les suffrages d’une compagnie de trois cents hommes. Qui croirait que le secret eût été gardé, et qu’on n’ait jamais rien su de la délibération que quatre ans après, quand la guerre fut achevée ? » (Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, partie 3, chapitre 6), « Crois-tu, si je l’épouse, / Qu’Andromaque, en son cœur, n’en sera pas jalouse ? » (Racine, Andromaque, acte II, scène 5), « Et croyez-vous qu’alors il acceptera des hommages si forcés et si honteux à sa gloire, lui qui ne veut que des sacrifices volontaires, lui qui n’a pas besoin de l’homme, et qui lui fait grâce lors même qu’il accepte ses vœux les plus purs et ses hommages les plus sincères ? » (Massillon, Sermon sur le délai de la conversion), « J’attendais, répondit Pharsamon, que vous vinssiez m’aider à descendre [de cheval] ; on doit tout faire dans l’ordre, et ces sortes de devoir ne devraient point assurément vous échapper. Ah ! parbleu, je n’y pensais pas, répliqua l’écuyer ; je vous demande excuse, et je ne croyais pas que vous vous ressouvinssiez de la cérémonie dans un temps où nous sommes si plaisamment harnachés » (Marivaux, Le Don Quichotte moderne, partie 5), « Je ne crois pas que vous me jugeassiez sans m’entendre, et que vous me jugeassiez si sévèrement » (Rousseau, lettre à Mme la maréchale de Luxembourg, du 15 janvier 1780), « Concitoyen lecteur ! Cette Jeannette Rousseau, cet ange, sans le savoir a décidé de mon sort. Ne croyez pas que j’eusse étudié, que j’eusse surmonté toutes les difficultés parce que j’avais l’âme forte et du courage. Non, jamais je n’eus qu’une âme pusillanime, mais j’ai senti le véritable amour ; il m’a élevé au-dessus de moi-même » (Restif de la Bretonne, Monsieur Nicolas), « Je crois qu’elle [la disette] ne provenait que d’une mauvaise administration, de combinaisons illicites, de monopoles même, comme cela est arrivé en 1774, et en d’autres occasions, et je ne crois pas du tout qu’elle ait été produite par des causes politiques, c’est-à-dire qu’un des deux partis l’ait faite pour perdre l’autre » (4, page 56), « Croyez-vous que je veuille les tuer, les empoisonner ? » (7, partie 2, chapitre 3), « Je ne crois pas qu’on puisse assigner à ce monument une date plus éloignée que la fin du treizième siècle » (Mérimée, Notes sur l’abbaye de Vézelay), « Regardez vous-même si vous croyez que je plaisante » (A. Daudet, Le Curé de Cucugnan), « Crois-tu que je pourrais vivre entre vous deux ? » (Maupassant, Pierre et Jean, chapitre 7), « Monsieur, lui dit Mme de Villeparisis en riant, il y a des gens bien ridicules. Croyez-vous que j’ai eu aujourd’hui la visite d’un monsieur qui a voulu me faire croire qu’il avait plus de plaisir à embrasser ma main que celle d’une jeune femme ? » (12), « Crois-tu qu’il se fâcherait vraiment ? » (chapitre 8).
« Le ministre [Maurepas] du jeune roi pensa qu’il ne devait pas lutter contre le vœu public qui réclamait le retour de l’ancienne magistrature » (Sallier, Annales françaises, page 5), « Il [Calonne] pensait que les opérations neuves et hardies, les conceptions du génie, l’ordre en grand devaient suffire à tout » (ibidem, livre 2, page 27), « Je pense qu’il eût été d’une bonne politique de le prêter avec empressement [le serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi] » (4, page 194), « Messieurs, leur dit-il en entrant, je [Louis XVI] suis venu ici pour empêcher un grand crime, et je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu’au milieu de vous » (5, page 107), « Mon frère pensait en outre qu’il valait mieux nous diviser, et ne pas être réunis sur les mêmes points » (5, page 319), « Ils pensaient que ces malheureux verraient bientôt des rats grimper aux murs, ou qu’ils rencontreraient des girafes sur le cours Mirabeau » (chapitre 2), « Pensant qu’il dût être fâché et qu’il le serait davantage quand le bœuf aurait tout dit, les petites n’en menaient pas large » (M. Aymé, Les Bœufs).
« Et parce qu’il était dans son caractère de se faire comme un jeu de l’art de gouverner et de s’occuper en riant des affaires les plus sérieuses, on aurait tort de penser qu’il [Maurepas] n’ait pas su les traiter » (Sallier, Annales françaises, page 23), « Ils ne devaient pas craindre d’inquiéter le gouvernement ; […] la publicité de leurs projets ne leur permettait pas de penser qu’il n’en eût une connaissance parfaite, et […] son silence était un signe sensible et non équivoque de son approbation tacite » (Sallier, Annales françaises, page 289), « Mais enfin supposez que mon maître [Napoléon] ne fût pas raisonnable (du moins comme vous l’entendez), supposez qu’il ne voulût pas de vos conditions, quelque acceptables qu’elles vous paraissent, eh bien, comment comprenez-vous en ce cas le rôle de médiateur ?… Pensez-vous qu’il devrait employer contre nous cette force que nous sommes convenus de porter de trente mille hommes à cent cinquante mille ? » (Thiers, Histoire de l’Empire, livre 30), « Je n’avais encore jamais pensé que cela fût possible » (9, chapitre 13), « Oh ! pensez-vous que ma mère n’a rien prévu et qu’elle vous aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage entre nous ? » (Maupassant, Pierre et Jean, chapitre 6), « Mais si on fait venir des Sénégalais et des Malgaches, je ne pense pas qu’ils mettront grand cœur à défendre la France, et c’est bien naturel » (12).
Statistiquement, les formes interrogatives par périphrases ou mélodiques contenant les verbes croire et penser dans la proposition principale sont rarement suivies d’un subjonctif dans la complétive :
« Vous ne croyez pas que Jésus-Christ est Dieu ? disait-il [Napoléon] un autre jour à un de ses vieux compagnons d’armes [le général Bertrand] ; eh bien ! j’ai eu tort de vous faire général » (L’abbé Glaire, Encyclopédie catholique, tome 7), « Vous croyez peut-être, monsieur, qu’après son retour d’Espagne, la belle s’est tenue tranquille ? » (A. Daudet, La Diligence de Beaucaire), « Et moi, dit-il d’une bonne voix franche et gaie, est-ce que vous croyez que je suis riche, mademoiselle Madeleine ?… Autrefois, peut-être un peu, oui… […] Mais à présent… » (Pierre Loti, Matelot, chapitre 35).
La raison en est que ces formes interrogatives appartiennent, presque toujours, au langage courant, alors que le subjonctif ressortit au langage soutenu.
Cependant, on trouve :
« Vous croyez qu’un amant vienne vous insulter ? » (Racine, Andromaque, acte II, scène 1), « Vous [Hermione] pensez que des yeux toujours ouverts aux larmes [celles d’Andromaque] / Se plaisent à troubler le pouvoir de vos charmes, / Et qu’un cœur accablé de tant de déplaisirs / De son persécuteur ait brigué les soupirs ? » (ibidem), « Est-ce que vous croyez qu’on puisse faire l’amour sans penser et sans proférer quelque parole ? » (Voltaire, Micromégas, chapitre 6), « Monsieur le Président, est-ce que vous pensez, sérieusement, que dans dix ans ou vingt ans le Kosovo puisse être de nouveau une province administrée par les fonctionnaires serbes, défendu par l’armée serbe, protégé de l’intérieur par la police serbe, ou est-ce que vous pensez comme tout le monde que dans dix ans ou dans vingt ans le Kosovo sera indépendant ? » (question posée par un journaliste au président de la Croatie, Stjepan Mesić, le 2 juin 2001).
Avec estimer, juger, admettre, comprendre, supposer, etc.
Illustrons par des exemples ce qui se passe avec des verbes concernant une manière de dire ou de penser, comme estimer, juger, admettre, comprendre, supposer, etc. Quand la proposition principale contenant l’un de ces verbes est négative, interrogative ou conditionnelle, on trouve souvent un subjonctif dans la complétive. Quand la proposition principale est affirmative, tout dépend du sens exact du verbe considéré et de la probabilité de réalisation que l’on attribue à la complétive.
Quand le verbe « estimer » est employé dans une proposition affirmative, la subordonnée complétive est souvent à l’indicatif-conditionnel.
« Quant à l’objection suivante, qu’elle devait pleurer enfermée chez elle, au lieu d’aller demander justice, nous ne l’approuvons pas, et estimons que le poète eût manqué, s’il lui eût fait verser des larmes inutiles dans sa chambre, étant même si proche du logis du roi, où elle pouvait obtenir la vengeance de la mort de son père » (Jean Chapelain, Sentiments de l’Académie sur le Cid), « C’est ce qu’en peu de mots j’ose dire ; et j’estime / Que ce peu que j’ai dit est l’avis de Maxime » (Corneille, Cinna, acte II, scène 1), « J’estime que l’on ne saurait prendre, en cette matière [celle du retour de Mazarin], d’avis trop décisifs » (Retz, Mémoires, page 523), « En sortant de cette cour si chrétienne, si sainte, si religieuse, vous avez cru qu’aucune maison n’était digne de vous recevoir que celles qui sont dédiées à votre Dieu ; et vous venez professer ici solennellement qu’une reine si puissante et si magnifique [Anne d’Autriche], après vous avoir honorée de son affection et comblée si abondamment de ses grâces, n’a pu néanmoins vous rendre heureuse. Et tant s’en faut que vous estimiez qu’elle ait pu faire votre bonheur par toutes ses largesses, qu’au contraire, mieux éclairée par les lumières de la foi, vous mettez votre bonheur à quitter généreusement tout ce qu’elle a pu faire pour vous, tout ce qu’une libéralité royale a voulu accumuler de biens sur votre tête » (Bossuet, Sermon pour la Profession de Mlle de Beauvais, 1666), « Je parle d’après ma conviction intime, mais toujours avec une extrême appréhension de me tromper, car j’estime qu’il n’y a rien de plus condamnable, lorsqu’on s’est donné spontanément la mission de dire aux hommes la vérité sur les grands événements de l’histoire, que de la déguiser par faiblesse, de l’altérer par passion, de la supposer par paresse, et de mentir, sciemment ou non, à son siècle et aux siècles à venir » (Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, Avertissement), « J’estime que la connaissance de la biographie des poètes est une connaissance inutile, si ce n’est nuisible à l’usage que l’on doit faire de leurs ouvrages » (Paul Valéry, Variété 1, Villon et Verlaine), « J’estime de l’essence de la poésie qu’elle soit, selon les diverses natures des esprits, ou de valeur nulle ou d’importance infinie ce qui l’assimile à Dieu même » (Paul Valéry, Variété 3), « Mais peut-être estimez-vous qu’il puisse être parfois utile, et presque toujours intéressant, pour des hommes savants en quelque matière, à laquelle ils ont consacré leur existence, dont ils voient les puissances, les possibilités, les limites actuelles, les espoirs, de faire comparaître une personne de bonne foi, qui ne connaît de leur affaire que ce qu’en imagine le monde, et de l’interroger quelle idée elle se fait de leur science et de leur art, et de ceux qui les pratiquent? (Paul Valéry, Variété 5), « Il estimait à juste titre que sa sécurité dépendait pour une grande part du secret de son domicile » (Roger Vailland, Drôle de jeu).
« Toutefois je n’estimais pas encore que je dusse embrasser la foi catholique, par cette raison seule qu’elle pouvait avoir parmi ses sectateurs des hommes capables de la défendre, et de répondre avec éloquence et d’une manière convaincante aux objections de ses ennemis ; ni qu’il fût raisonnable de rejeter à l’instant même la croyance [le manichéisme] que j’avais suivie jusqu’alors, par la seule raison que cette autre religion pouvait soutenir le parallèle » (Saint Augustin, Confessions, chapitre 14, traduction de M. de Saint-Victor), « Le lendemain le médecin me déclara sans détour qu’il n’estimait pas qu’elle eût trois jours à vivre » (Rousseau, La Nouvelle Héloïse, partie 6, lettre 11), « Elle [la mère de Thérèse Levasseur] n’estima pas qu’on pût jamais avoir tort de la part d’une fermière générale et d’un baron » (Rousseau, Les Confessions, partie 2, livre 9), « Je [Charlotte Corday] n’estimais pas que sa vie [celle du conventionnel Louis Legendre] ou sa mort importât au salut de la République » (Michelet, Histoire de la Révolution française), « Il y en avait donc parmi eux, héritiers de grands noms, possesseurs de grandes fortunes, qui n’estimèrent pas que l’oisiveté de leur jeunesse suffisait à l’honneur de leur nom et aux mouvements de leur cœur » (Félix Dupanloup, Oraison funèbre des soldats de l’armée pontificale, 9 octobre 1860), « Peut-être pensez-vous qu’aucun livre n’a jamais été écrit ainsi ? Mais de nouveau je vous demande : croyez-vous tant soit peu à l’honnêteté, ou estimez-vous qu’il n’y ait jamais aucune honnêteté ni bonté dans un homme sage? » (John Ruskin, Sésame et les Lys, traduction de Marcel Proust), « Le Directoire voulut-il frapper un coup de terreur ? Estima-t-il que les circonstances le mettaient en demeure d’exécuter la loi qu’il avait faite ? qu’il fallait évacuer les prisons pour livrer place à d’autres détenus ? qu’après avoir arraché le Pape de Rome, c’était peu de chose que de déporter de pauvres prêtres ? » (Victor Stanislas Pierre, La Terreur sous le Directoire, 1887), « Manqua-t-il de hardiesse, ou bien la sagesse un peu sceptique du Roi estima-t-elle que cette bravade sentimentale ne valait pas les mécontentements qu’elle éveillerait et les risques qu’elle pouvait faire courir ? » (Paul Marie Pierre Thureau-Dangin, Histoire de la monarchie de Juillet, 1911), « Estimez-vous qu’un dominicain a beaucoup à nous apprendre sur eux [les surréalistes] ? Est-ce que je vous fais la leçon, moi, sur saint Thomas ? » (Mauriac, Bloc-notes), « En mai 1988, que pensiez-vous de ce qui allait advenir ? — Nous n’estimions pas qu’il y aurait un écroulement si rapide [du communisme en Hongrie] » (Georges Mink, Jean-Charles Szurek, Fin de règne : trois conservateurs parlent de 89).
Le verbe « juger », à la forme affirmative, régit usuellement un indicatif-conditionnel dans la complétive.
« Carpentier convenait de la possibilité et même de la facilité de ce premier pas [vers une évasion de prison], qui était d’autant plus aisé, que les deux gardes qui le devaient relever, lui et son camarade, avaient toujours eu l’honnêteté de ne point entrer dans ma chambre et de demeurer à la porte jusqu’à ce qu’ils pussent juger que je fusse éveillé » (Retz, Mémoires, page 774) — « juger » a ici le sens de «comprendre », « penser » ou « imaginer » —, « On jugera facilement que, si vous eussiez trouvé ce que vous demandiez au lieu même où Lessius traite cette matière, vous ne l’eussiez pas été chercher ailleurs ; et que vous n’y avez eu recours que parce que vous n’y voyiez rien qui fût favorable à votre dessein » (Pascal, Les Provinciales, lettre 13), « Ceux qui la voyaient attentive à peser toutes ses paroles jugeaient bien qu’elle était sans cesse sous les yeux de Dieu » (Bossuet, Oraison d’Henriette de France, 16 novembre 1669) — ici, « juger » a le sens de « être d’opinion » ou « estimer » —, « Vous jugez bien que je ne voudrais pas que la perte du fils suivît celle du père et que la malheureuse Pénélope pût reprocher à Mentor qu’il a sacrifié son fils à l’ambition du nouveau roi de Salente » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 9), « Il s’avance, et monte sur une colline, d’où il observe la disposition des ennemis ; puis tout à coup il juge qu’il faut se hâter de les surprendre dans le désordre où ils se sont mis en brûlant le camp des alliés » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 13) — ici, « juger » a le sens de « décider » ou « estimer » —, « Je jugeai que des curés chez qui l’on dînait si bien valaient tout au moins nos ministres [du culte protestant] » (2, page 80), « Ce malheureux prit un cheval, suivit la voiture du Roi jusqu’à Clermont, et ayant entendu dire qu’il allait à Varennes, il jugea qu’il serait facile de le faire arrêter en prenant les devants, et en avertissant les autorités et les habitants sur lesquels il pouvait compter, du passage de Sa Majesté » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 12), « On juge bien que la proposition [de suspension du Roi] fut convertie sur-le-champ en décret » (Mme de Tourzel, Mémoires, chapitre 23), « Le parlement jugeait que tout serait perdu, si on n’avait pas de bases certaines sur un point aussi important [que la composition des états généraux] » (Sallier, Annales françaises, page 209).
« Il n’y eut personne qui n’eût jugé que le traité allait être rompu. Ce ne fut plus cela un moment après » (Retz, Mémoires, page 206), « Personne du monde ne peut juger de ce qui fût arrivé, si il y avait eu une épée tirée. Quand il n’y en a point de tirée dans ces rencontres, tout le monde juge qu’il n’y pourrait rien avoir ; et si il n’y eût point eu de barricades à la prise de M. Broussel, l’on se serait moqué de ceux qui auraient cru qu’elles eussent été seulement possibles » (Retz, Mémoires, page 768), « Mais, mon Père, jugez-vous qu’un homme soit digne de recevoir l’absolution, quand il ne veut rien faire de pénible pour expier ses offenses ? » (Pascal, Les Provinciales, lettre 10), « Et s’ils ne jugent qu’il est temps de s’élever contre de tels désordres, leur aveuglement sera aussi à plaindre que le vôtre, mes Pères, puisque et vous et eux avez un pareil sujet de craindre cette parole de saint Augustin sur celle de Jésus-Christ dans l’Evangile : Malheur aux aveugles qui conduisent ! malheur aux aveugles qui sont conduits ! » (ibidem, lettre 11), « Hippolyte. Dieux, qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous / Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ? Phèdre. Et sur quoi jugez-vous que j’en perds la mémoire, / Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ? ». (Racine, Phèdre, acte II, scène 5), « Baléazar avait mandé à Narbal : “Si vous jugez que je puisse vous aller trouver, envoyez-moi un anneau d’or, et je comprendrai aussitôt qu’il sera temps de vous aller joindre” » (Fénelon, Les Aventures de Télémaque, livre 7), « Cela étant, lui répliquai-je, vous avez la mémoire bien ornée. Mais, pour revenir à notre projet, dans quel royaume d’Espagne jugez-vous à propos que nous allions établir notre résidence philosophique ? » (Le Sage, Gil Blas, livre 9, chapitre 9), « Mais à quoi jugez-vous que la Comtesse ne le hait pas ? » (Marivaux, Le Legs, scène 1), « Dans l’établissement de la loi salique à Madrid, il ne s’agit pas de l’hérédité des Bourbons, il s’agit du salut de la France. Jugez-vous que le temps de cette loi est passé ? Alors dépêchez-vous ! que la France et l’Espagne deviennent immédiatement républiques, ou préparez-vous à conquérir l’Espagne et à la réunir à la France » (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe), « Comment un historien juge-t-il qu’un fait est notable ou non ? » (A. France, Le Jardin d’Épicure), « À quel moment les “modérés” du Bureau politique jugèrent-ils que le mouvement ne s’arrêterait pas et ne respecterait pas le rôle dirigeant du Parti ? Le Kremlin a-t-il donné le choix au général Jaruzelski : ou bien les Polonais se chargeraient eux-mêmes de la sale besogne, ou bien eux-mêmes s’en chargeraient ? » (Journal l’Express, 1981).
« Néanmoins, il faut admettre que le juste milieu se situait exactement dans l’axe des réalités sociales et politiques de l’époque » (4, Préface) — ici, « admettre » signifie « tenir pour vrai » —, « En Italie il admettait que l’Autriche eût, outre l’Illyrie, c’est-à-dire Laybach et Trieste, une portion de territoire au-delà de l’Isonzo, mais à condition que la France s’avancerait dans le Piémont autant que l’Autriche dans le Frioul » (Thiers, Histoire de l’Empire, livre 33) — ici « admettre » a le sens de « tenir pour possible, pour plausible » —, « J’admets qu’il serait injuste de venir sur la propriété de chacun et de mettre la main sur l’augmentation de rente qui pourrait avoir eu lieu, parce qu’il n’y aurait aucun moyen de distinguer dans les cas particuliers l’accroissement qui résulte uniquement des progrès de la société de celui qui est le fruit de l’intelligence et des améliorations faites par le propriétaire » (John Stuart Mill, Principes d’économie politique, traduction de MM. Courcelle-Seneuil et Dussard), « Nous venons de vous faire une concession hypothétique ; à votre tour de nous en faire une aussi : admettez que depuis cinquante ans nos idées aient prévalu ; admettez qu’au lieu d’élever des arcs à la guerre, qu’au lieu de la glorifier, on ait élevé sur les places publiques des statues aux hommes utiles, on ait glorifié la science ; admettez qu’au lieu de multiplier les casernes, d’où le mariage est forcément banni sans que la nature cependant y perde aucun de ses droits, on ait construit des palais d’expositions permanentes des produits de l’industrie et des œuvres d’art ; admettez qu’au lieu d’attribuer aux hommes d’épée, aux hommes de guerre, presque exclusivement tous les honneurs, toutes les faveurs, toutes les distinctions, toutes les récompenses, toutes les dotations, ces encouragements aient été donnés aux hommes d’étude, aux hommes de paix ; est-ce que, sans que l’Europe en fût plus petite, l’humanité n’en serait pas plus grande, plus heureuse et plus glorieuse ? » (Émile de Girardin, Le Succès), « Les lois restèrent longtemps une chose sacrée. Même à l’époque où l’on admit que la volonté d’un homme ou les suffrages d’un peuple pouvaient faire une loi, encore fallait-il que la religion fût consultée et qu’elle fût au moins consentante » (Fustel de Coulanges, La Cité antique, livre 3, chapitre 11), « On admettait à cette époque qu’une fonction continue ne peut changer de signe sans s’annuler ; on le démontre aujourd’hui. On admettait que les règles ordinaires du calcul sont applicables aux nombres incommensurables, on le démontre aujourd’hui. On admettait bien d’autres choses qui quelquefois étaient fausses » (Henri Poincaré, Science et méthode), « J’admets, disait-il, que les enfants aient besoin d’un si long repos » (chapitre 8), « J’admets que vous ayez raison dans ce que vous pensez » (Camus, Les Justes).
« Dans ses idées toutes monarchiques, Charles X n’admettait pas que des Princes pussent être exclus ou forclos de leurs places, ou de leur rangs dans l’ordre de succession à la couronne, par les suffrages des émigrés » (5, page 447), « Admettez-vous que la civilisation avance sans cesse ? Admettez-vous qu’une idée qui a de l’avenir doit l’emporter sur une idée qui n’en a plus, c’est-à-dire dont toute la puissance est usée ? » (Victor Cousin, Cours d’histoire de la philosophie), « Admettez-vous que, s’interdisant la guerre d’Espagne, s’interdisant la guerre de Russie, et négociant la paix, l’empereur Napoléon serait mort sur le trône, laissant l’héritage de sa couronne et de sa gloire à ses descendants? » (Louis-Désiré Véron, Mémoires d’un bourgeois de Paris), « L’abbé n’admettait pas que Paule pût rêver une existence plus enchantée que celle qu’ils menaient ensemble ; il n’admettait pas davantage qu’elle dût jamais changer de façon d’être. Telle qu’elle était, il la tenait pour charmante et parfaite » (Jules Sandeau, La Maison de Penarvan, chapitre 7), « Ce qui est fondé sur un édit peut être détruit par un autre, et si vous admettez que Henri IV aurait pu refuser l’édit de Nantes, vous admettez que Louis XIV a pu le révoquer » (Laurent Louis Félix Bungener, Voltaire et son temps), « D’ailleurs, elle ne soupçonna pas le vrai coupable, elle finissait par croire à une armée de complices, ne pouvant admettre qu’un seul homme eût trouvé l’audace et la force d’une telle besogne » (Zola, Germinal, partie 7, chapitre 4), « Admets-tu cependant qu’il y a une différence dans l’acte, si cette femme s’est donnée pour de l’argent ou par amour ? Et une différence encore si cet amour a été simplement sensuel ou généreux, élevé, enthousiaste ?… Oui, n’est-ce pas? » (Paul Bourget, Le Divorce).
« Je ne savais pas pourquoi vous aviez pris tant de soin d’établir qu’un seul docteur, s’il est grave, peut rendre une opinion probable […] : d’où je comprends qu’un seul casuiste peut à son gré faire de nouvelles règles de morale » (Pascal, Les Provinciales, lettre 6) — ici « comprendre » a le sens de « retenir » ou « saisir » —, « Je compris que, m’étant déclaré si ouvertement, on ne me permettrait pas aisément de sortir de ma chambre » (1, page 52), « Je m’y attendais [à être mis par vous, Dumouriez, sous les ordres du général Miranda], et je comprends que vous ne pouvez pas faire autrement ; mais vous comprenez aussi que cela ne me soit pas agréable » (5, page 328), , « Je comprends bien que tu aies honte » (10, chapitre 7) — ici « comprendre » a le sens de « s’expliquer » —, « Je comprends maintenant que tu veuilles te trouver à son arrivée » (Gide, Les Faux-Monnayeurs), « Elle comprit qu’elle était sauvée, garantie contre tout désespoir, qu’elle tenait là de quoi aimer à ne plus savoir faire autre chose » (10, chapitre 8), « Elle était venue tremblante d’appréhension, et elle comprenait maintenant que l’appréhension est un dernier refuge de l’espérance » (Jules Romains, Les Humbles).
« Ne comprenez- vous pas que le juge doit la justice, et qu’ainsi il ne la peut pas vendre ; mais qu’il ne doit pas l’injustice, et qu’ainsi il peut en recevoir de l’argent ? » (Pascal, Les Provinciales, lettre 8), « Pour démontrer que cette argumentation était irréfragable [« Qu’on ne peut récuser ni contredire. » (Dictionnaire de l’Académie)], je citais les articles VI et VIII de la Constitution de 1791, et je disais que je ne comprenais pas comment, soit en droit, soit en équité, Louis XVI, qui était actuellement déchu du trône, pourrait avoir à subir une autre peine que celle qu’il subissait déjà par le fait de sa déchéance » (5, page 293), « Tandis qu’il [Necker] ne songeait qu’à des questions financières, il ne comprenait pas que l’Assemblée ne songeât qu’à des questions politiques » (Thiers, Histoire de la Révolution française, livre 2), « Et même alors il ne comprit pas que l’on offensât l’honneur de Mme Deval, sa mère, parce qu’il était lui-même inexactement aligné » (A. France, Le Mannequin d’osier).
« Voulez-vous le faire mourir [Cosme de Médicis] ? Jamais vous ne le pourrez par les voies légales. Il serait infailliblement sauvé par ses grandes richesses et votre profonde corruption. Mais je [Niccolò d’Uzano] suppose encore que vous le fassiez mourir, ou que vous parveniez à empêcher son retour, je ne vois pas alors ce qu’y aura gagné la république. Délivrée de Médicis, elle sera asservie à Rinaldo [degli Albizzi] » (Machiavel, Histoire de Florence, livre 4, traduction de Guiraudet) — ici, « supposer » signifie « poser comme possible » —, « Le premier président ne répondit que par une invective assez aigre qu’il fit contre ceux qui avaient supposé que la Reine eût une aussi mauvaise intention [que celle de quitter subrepticement Paris] » (Retz, Mémoires, page 446), « Je suppose qu’un moine est toujours charitable » (La Fontaine, Le Rat qui s’est retiré du monde) — ici, « supposer » signifie « admettre comme vrai » —, « Vous supposez premièrement que celui qui écrit les Lettres est de Port-Royal. Vous dites ensuite que le Port-Royal est déclaré hérétique ; d’où vous concluez que celui qui écrit les Lettres est déclaré hérétique. Ce n’est donc pas sur moi, mon Père, que tombe le fort de cette accusation, mais sur le Port-Royal ; et vous ne m’en chargez que parce que vous supposez que j’en suis » (Pascal, Les Provinciales, lettre 17), « Supposons que les dix ans soient écoulés, et que nul des changements que j’espérais ne soit arrivé dans ma famille. Quel parti prendrais-je ? » (1, page 67), « Supposons qu’il expliquât après cela son système et proposât son moyen prétendu » (Rousseau, Lettre à M. de Beaumont), « Il n’était pas douteux que l’exil du duc d’Orléans n’eût pour cause sa protestation. Quant à l’enlèvement de l’abbé Sabathier et de Fréteau, le public se persuada qu’ils s’étaient attiré cette rigueur par la manière dont ils avaient opiné à la séance du Roi, où l’on supposait qu’ils avaient porté l’oubli des convenances jusqu’à l’indécence et l’insulte » (Sallier, Annales françaises, page 134), « Ils voulaient [des magistrats du parlement de Besançon], disait-on, que le peuple mourût de faim. On supposait qu’ils avaient dit qu’il était fait pour manger de l’herbe » (ibidem, livre 11, page 297), « Ce qui était plus bizarre, c’est que ma sœur Henriette et Paméla avaient aussi leurs jardins, auxquels on supposait qu’elles travaillaient » (4, page 27), « M. de Narbonne, ne voulant pas permettre à son adversaire de lui échapper, dit encore à M. de Metternich : Mais supposez que mon maître pensât autrement que vous, qu’il mît sa gloire à ne pas céder des territoires constitutionnellement réunis à l’Empire, à ne pas renoncer à un titre qu’on ne lui dispute que pour l’humilier, et qu’il voulût conserver à la France tout ce qu’il avait conquis pour elle, alors qu’adviendrait-il ? » (Thiers, Histoire de l’Empire, livre 30), « Je portais toujours un poignard sur moi quand je supposais que je pourrais rencontrer un Bourbon, mais constamment avec la résolution de commencer par le duc de Berri, parce c’était la souche. […] Je ne suivais pas seulement les Bourbons aux chasses, depuis trois ans ; presque tous les soirs je rôdais autour du spectacle auquel je supposais que le Prince pourrait aller » (Biographie universelle, déclaration de Louvel), « Supposons que j’aie accepté de défendre quelque citoyen attendrissant, meurtrier par jalousie. Considérez, dirais-je, messieurs les jurés, ce qu’il y a de véniel à se fâcher, lorsqu’on voit sa bonté naturelle mise à l’épreuve par la malignité du sexe » (Camus, La Chute).
« Si leur vocation [celle des prêtres catholiques], comme dit du Moulin, “ne peut être contestée, puisqu’ils étaient pasteurs des anciennes églises”, pourquoi supposer qu’elle est nulle en réordonnant tous ceux qui l’ont reçue ? » (Fénelon, Traité du ministère des pasteurs, chapitre 1), « Il était clair qu’il n’y avait rien d’absolument criminel dans mon affaire, et supposant même que le dessein de notre vol fût prouvé par la déposition de Marcel, je savais fort bien qu’on ne punit point les simples volontés » (1, page 153), « Ces messieurs ne connaissaient rien à mon mal ; donc je n’étais pas malade : car comment supposer que des docteurs ne sussent pas tout ? » (2, livre 6), « Il fallut me soumettre à tout risque, et me résoudre à braver le qu’en-dira-t-on ; sauf à délibérer dans la suite si je me résoudrais à montrer mon ouvrage [La Nouvelle Héloïse] ou non car je ne supposais pas encore que j’en vinsse à le publier » (2, livre 9), « En supposant que les premiers actes de l’Assemblée nationale fussent considérés comme factieux, il est certain que le Roi devait dissoudre l’Assemblée, même par la force s’il était nécessaire d’y avoir recours » (4, page 67), « Comment pouvais-je supposer qu’un jour je pourrais regretter tout particulièrement cette argenterie ? » (Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs), « Pourquoi supposez-vous que nous avons fait la guerre ? » (Vercors, Le Silence de la mer).
« Le Mémoire réussit, et m’attira des compliments, qui me surprirent autant qu’ils me flattèrent, imaginant à peine que devant une Académie quiconque n’en était pas pût avoir le sens commun » (Rousseau, Les Confessions, partie 2, livre 7), « Ce serait une grande erreur d’imaginer, comme les ministres cherchèrent à le faire croire, que le parlement ne voulut accorder au Roi, faisant vérifier les lois en sa présence, qu’un droit de suffrage comme à un simple magistrat » (Sallier, Annales françaises, page 131) — ici, « imaginer » a le sens de « croire » ou « juger vrai » —, « On imaginait que tous ces provinciaux et tous ces vieux soldats seraient un peu démocratisés pendant leur séjour à Paris [au moment de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790] ; mais ils furent plutôt royalisés » (4, page 136), « Si c’était une mesure générale [de proscription], j’imagine qu’on me le manderait » (5, page 409), « Chacun imagine, avec raison, que l’appartement de Max était digne de ce charmant garçon » (7, partie 2, chapitre 6) — ici « imaginer » a le sens de « deviner » —, « Bien entendu, la presse est libre, mademoiselle Corrençon, et d’ailleurs il n’est pas dans mon caractère d’interdire […], mais imaginez que vous écriviez cet article […], imaginez que vous sortiez ce papier » (Daniel Pennac, La Petite Marchande de prose) — ici, « imaginer » a le sens de « envisager » ou « supposer ».
« Pourquoi M. de Richelieu imagine-t-il que je lui envoyais un exemplaire rapetassé ? » (Voltaire, lettre au comte d’Argental, du 31 juillet 1755), « Comment peut-on imaginer que j’aie persécuté Jean-Jacques [Rousseau] ? voilà une étrange idée ; cela est absurde » (Voltaire, lettre à d’Alembert du 25 septembre 1762), « Qui pouvait imaginer que, pour une fille comme il y en a tant, tu tomberais dans l’état où je te vois ? » (Diderot, Le Père de famille, acte III, scène 5), « Mais les rois et les peuples m’ont craint, ils ont eu tort, et peuvent le payer chèrement. Je revenais un homme nouveau ; ils n’ont pu le croire ; ils n’ont pu imaginer qu’un homme eût l’âme assez forte pour changer son caractère, ou se plier à des circonstances obligées » (Las Cases, Mémorial de Ste-Hélène) — ici, « imaginer » a le sens de « envisager » ou « supposer » —, « Personne n’imaginait qu’il [le comte de Saint-Priest] aurait l’occasion de me voir à Stockholm » (5, page 464), « Mais en même temps, on voit qu’Aristote ne parle que de vers, et qu’il n’imagine pas que l’épopée puisse employer la prose » (Barthélémy Saint-Hilaire, note dans traduction de la Poétique d’Aristote).
Quand la proposition principale contenant « s’imaginer » est à la forme affirmative, on trouve souvent l’indicatif-conditionnel dans la complétive. Ainsi lit-on :
« Un baudet chargé de reliques s’imagina qu’on l’adorait » (La Fontaine, L’Âne chargé de reliques) — ici, « s’imaginer » a le sens de « croire à tort » —, « Non, plus j’y pense encore, et moins je m’imagine / Que mon fils des Romains ait tramé la ruine » (Voltaire, Brutus, acte V, scène 6) — ici, « s’imaginer » a le sens de « concevoir » —, « Mon fils vous devra toute son éducation : je m’imagine pourtant qu’il ne serait pas mal qu’il sût un peu d’histoire » (Voltaire, Jeannot et Colin), « Mais il y avait, dans le fond, une folle imprudence à s’imaginer que, quand il eût réussi le plus heureusement du monde, nous eussions jamais pu nous mettre à couvert des suites » (1, page 132), « Si on le refusait, il [Necker] menaçait encore de sa retraite, s’imaginant qu’on n’oserait jamais se passer de ses services » (Sallier, Annales françaises, page 22), « Mais Denise avait levé les yeux et elle se troubla davantage, quand elle reconnut le jeune homme qu’elle prenait pour un chef de rayon. Elle s’imagina qu’il la regardait avec sévérité » (Zola, Au bonheur des dames, chapitre 2), « C’est ainsi qu’après la mort de mon père, si grand garçon que je fusse déjà, n’allai-je pas m’imaginer qu’il n’était pas mort pour de vrai ! ou du moins – comment exprimer cette sorte d’appréhension ? – qu’il n’était mort qu’à notre vie ouverte et diurne, mais que, de nuit, secrètement, alors que je dormais, il venait retrouver ma mère » (Gide, Si le grain ne meurt, partie 1, chapitre 1).
« Que vous servait-il de ne pas écrire tout cela ? Vous imaginiez-vous qu’on vous jugerait sur vos seuls registres? » (Cicéron, Seconde action contre Verrés, traduction de Désiré Nisard), « Ce serait se flatter, que de s’imaginer que les dispositions puissent changer » (lettre de l’abbé Bossuet à son oncle, du 16 décembre 1698), « Ne t’imagine pas, lui dis-je en me tournant vers lui, que tu puisses me prendre encore une fois pour dupe et me tromper par des fables » (1, page 79), « Si Henri s’imagina que les projets de la Maison d’Entragues, n’étant plus soutenus de cette pièce, tomberaient d’eux-mêmes, il se trompa » (Louis-Pierre Anquetil, L’Intrigue du cabinet sous Henri IV et Louis XIII), « S’imaginait-il donc que les églises se bâtissent toutes seules, et qu’il ne faut qu’un peu de foi pour que, des profondeurs du sol, elles montent dans le soleil, vibrantes du chant des orgues ? » (Octave Mirbeau, L’Abbé Jules), « S’imagine-t-il donc que régner est facile ? Lui roi ! je n’en ferais pas même un courtisan » (Hugo, Cromwell, acte IV, scène 4), « Qui se serait imaginé qu’il y avait fait attention et qu’il était capable de le retenir ? » (Loti, Pêcheur d’Islande, partie 4, chapitre 2), « Elle s’était mise à examiner tous mes gestes à la lumière du matérialisme historique ; il y avait beaucoup de mendiants dans les rues au début de ce froid printemps, et si je leur donnais un peu d’argent, elle ricanait : “Si tu t’imagines qu’en faisant l’aumône à ce pauvre déchet tu changeras la face du monde !” » (Simone de Beauvoir, Les Mandarins).
« Notre bon abbé [de Coulanges] m’a fait peur ; son rhume était grand : je me figurais que si tout cela eût augmenté, c’eût été une fièvre continue, avec une fluxion sur la poitrine » (Mme de Sévigné, lettre à Mme de Grignan, du 20 octobre 1677), « Je me figurais qu’à force de réflexions et de considérations je pourrais, dès cette vie, démêler cet embarras [que les justes puissent vivre dans l’affliction et les pécheurs dans la prospérité] et sonder les impénétrables conseils de votre sagesse ; mais je me trompais bien et je me suis aperçu que je m’arrêtais à d’inutiles recherches » (Bourdaloue, Sermon Sur les afflictions des justes…), « Certes plus je médite et moins je me figure / Que vous m’osiez compter pour votre créature » (Racine, Britannicus, acte I, scène 2), « Je me figurai qu’étant un peu en désordre, elle voulait se cacher aux yeux des étrangers qui avaient frappé » (1, page 48), « De plus, il sait par cœur une infinité de bons contes qu’il a récités tant de fois comme de son cru qu’il est parvenu à se figurer qu’ils en sont effectivement » (Lesage, Gil Blas, livre 3, chapitre 11), « Le même jour, sans qu’elle [Cécile Volanges] s’en doutât, je [Mme de Merteuil] lui ai ménagé un tête-à-tête avec son Danceny. Mais figurez-vous qu’il est si sot encore, qu’il n’en a seulement pas obtenu un baiser ». (Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, lettre 38), « Figurez-vous qu’au lieu d’un ou deux milliards d’assignats de 1000, de 300, de deux cents livres et au-dessous, vous missiez en circulation des pièces d’or de même valeur et en même nombre » (Mirabeau, discours du 27 septembre 1790), « On peut se figurer quelles calamités résulteraient de cette réunion du genre humain sur un seul point de la terre » (Chateaubriand, Le Génie du christianisme, livre 5, chapitre 14), « Figurez-vous qu’un soir, pendant l’office, il arriva à l’église dans une agitation extraordinaire » (A. Daudet, L’Élixir du Révérend Père Gaucher).
« Ces considérations, quoique sages et même profondes, ne me convainquirent point, parce que la conduite, que M. de Bouillon en inférait, me paraissait impraticable : je concevais bien qu’il amuserait les envoyés de l’archiduc [gouverneur des Pays-Bas], qui avaient plus de confiance en lui qu’en tout ce que nous étions ; mais je ne me figurais pas comme il amuserait le Parlement, qui traitait actuellement avec la cour, qui avait déjà ses députés à Rueil, et qui, de toutes ses saillies, retombait toujours, même avec précipitation, à la paix » (Retz, Mémoires, page 221), « Mais ne t’abuse pas jusqu’à te figurer / Qu’à des plaintes sans fruit j’en veuille demeurer » (Molière, Sganarelle ou le Cocu imaginaire, scène 16), « Hé ! monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d’aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ? » (Molière, Les Fourberies de Scapin, acte II, scène 11), « N’allez donc pas vous figurer, monseigneur, que ce soit ici un pur jeu d’esprit » (Boileau, lettre du 4 juin 1675 au duc de Vivonne), « Je ne puis me figurer qu’une pièce si généralement et si longtemps applaudie n’ait pas de très grandes beautés » (Voltaire, lettre à Marmontel du 25 mars 1765), « Pourquoi vous figurez-vous que je suis dans votre chambre ? ajoutai-je avec une nouvelle amertume. C’est que j’ai découvert malgré vous votre intrigue » (Prévost, Histoire d’une Grecque moderne, livre 2), « Si vous vous figurez qu’il [César] conservera toujours les mêmes dispositions, et qu’il sera toujours prêt à traiter ses ennemis avec la même indulgence, vous courez risque de vous tromper » (Prévost, Histoire de la vie de Cicéron, livre 7).
« Quant aux raisons d’État qui vous font concevoir / Que nous craignons en vous l’union du pouvoir, / Si vous en consultiez des têtes bien sensées, / Elles vous déferaient de ces belles pensées » (Corneille, Nicomède, acte II, scène 3) — ici « concevoir » a le sens de « croire » ou « penser » —, « Il est vrai que je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m’en accommoderais assez, moi, s’il n’y avait pas de mal » (Molière, Dom Juan, acte I, scène 2), « Je conçus que je m’exposerais à renverser mes desseins si je lui marquais trop d’empressement pour ma liberté » (1, page 94), « Supposons, monseigneur, que quelqu’un vînt tenir ce discours aux hommes : […] “Je vais premièrement vous prouver que ce sont vos gouvernements mêmes qui font les maux auxquels vous prétendez remédier par eux […].” Vous concevrez, monseigneur, ou d’autres concevront pour vous, qu’il n’y aurait pas assez de bûchers et de roues pour punir l’infortuné d’avoir eu raison » (Rousseau, Lettre à M. de Beaumont), « À quelques mots qu’elle dit, je conçus que sa robe et son linge en avaient été tachés [de sang], et que cela lui déplaisait » (3, page 52), « Cependant, après quelques mots et quelques répliques, dans un intervalle lucide, je conçus que je ne les convertirais pas, et que je courrais quelque danger à prolonger la querelle » (L’abbé Morellet, Mémoires sur la Révolution, chapitre 4), « Mais si l’ambition et de grandes erreurs politiques pouvaient aveugler Necker sur les écarts de sa conduite, il est plus difficile de concevoir que, de tous les ministres qui composaient le conseil de Louis XVI, il s’en soit trouvé à peine un seul qui ait voulu ou osé contredire le ministre en crédit, pour tenter de sauver son pays et son Roi » (Sallier, Annales françaises, page 314) — ici « concevoir » a le sens de « comprendre » ou « s’expliquer » —, « D’après cela, il est facile de concevoir que dans un moment aussi critique, où à chaque minute il se passait des événements de la plus grande importance, le Palais-Royal fût devenu un véritable club public » (4, page 55), « Je conçois qu’il y ait eu différentes manières de les envisager [les différents serments exigés des officiers de l’armée] » (4, page 190), « Il est facile de concevoir que si les dispositions des officiers excitaient des inquiétudes avant la fuite du Roi le 21 juin 1791, elles en excitèrent de bien plus fortes après cet événement » (4, page 194), « Je conçois à merveille qu’une date heureusement rétablie, une circonstance d’un fait important retrouvée, une histoire obscure éclaircie, aient plus de valeur que des volumes entiers » (Renan, L’Avenir de la science, chapitre 13).
« Il est vrai, je n’ai pu concevoir sans effroi / Que Bajazet pût vivre et n’être plus à moi » (Racine, Bajazet, acte II, scène 5), « Il ne concevait pas comment vous aviez résisté à toutes les peines que vous aviez souffertes » (3, page 194), « Je conçois qu’il [La Fayette] ait été séduit par la perspective de sauver la France de l’anarchie populaire, et de défendre la monarchie constitutionnelle contre les attaques du peuple, après avoir défendu les droits de la nation contre les attaques de la Cour ; mais je ne conçois pas qu’il n’ait pas vu plus tôt qu’il était joué » (5, page 58), « Je [Philippe-égalité] ne conçois plus comment j’ai pu être entraîné à ce que j’ai fait ! [c’est-à-dire à condamner Louis XVI] » (5, page 321), « Je ne conçois pas comment la proscription de la famille [d’Orléans] ci-devant et toujours Royale, n’a pas été comprise par vous au nombre des ces mesures [de rigueur] » (5, page 404), « Je me bornai à lui répondre [au futur Charles X] que je ne concevais pas ce que nous ferions à Wolfenbüttel [auprès du duc de Brunswick] » (5, page 446).
Avec le verbe « espérer »
Le verbe « espérer » vient du latin « sperare », qui signifie « attendre quelque chose comme devant se réaliser ». C’est pourquoi, quand une proposition principale affirmative exprime un espoir, la subordonnée complétive est usuellement à l’indicatif-conditionnel. Cependant, cette attente peut être celle d’un résultat qui paraît avoir peu de chances de réalisation, et dans ce cas, on trouve le subjonctif ; on trouve aussi le subjonctif quand, par un glissement sémantique, « espérer » a simplement pris le sens de « souhaiter ». Quand la proposition principale est interrogative, conditionnelle ou négative, le mode normal dans la complétive est le subjonctif ; l’indicatif est possible pour insister sur la réalité ou pour exprimer un futur que le subjonctif ne permet pas.
« Il fit donc espérer à don Carlos qu’il serait bientôt son gendre, et don Carlos m’en fit paraître une joie si extraordinaire qu’elle m’eût pu persuader qu’il m’aimait plus que sa vie, quand je n’en aurais pas été aussi assurée que je l’étais » (Scarron, le Roman comique), « En vain, vous espérez qu’un dieu vous le renvoie » (Racine, Phèdre, acte II, scène 5) – l’espoir n’est ici qu’illusoire –, « Voici ce qu’en mourant lui souhaite sa mère. / Que dis-je, souhaiter ? Je me flatte, j’espère / Qu’indocile à ton joug, fatigué de ta loi, / Fidèle au sang d’Achab, qu’il a reçu de moi, / Conforme à son aïeul, à son père semblable, / On verra de David l’héritier détestable / Abolir tes honneurs, profaner ton autel, / Et venger Athalie, Achab et Jézabel » (Racine, Athalie, acte V, scène 6), « J’avais espéré que vous consentiriez au projet que j’avais fait pour rétablir un peu notre fortune » (1, page 83), « Il avait espéré que je fusse devenu plus sage, après avoir pris deux ou trois mois de leçons à Saint-Lazare » (1, page 154) « J’espère que le terme en sera bientôt la Grève, et que vous aurez, effectivement, la gloire d’y être exposé à l’admiration de tout le monde » (1, page 155), « Je suis persuadé aussi que Mme de Genlis qui connaissait bien mon père, et qui savait le mener à son but, lui avait fait espérer qu’elle nous élèverait précisément comme il le désirerait, et qu’elle nous rendrait ce qu’il souhaitait que nous devinssions » (4, page 10), « La grande difficulté était donc d’abord de présenter à la nation un système de gouvernement assez rapproché des diverses nuances d’opinions, pour qu’on pût espérer qu’elles s’y rattachassent » (5, page 385), « J’espère que tu n’hésiteras pas, dans les circonstances graves où je me trouve, à me rendre service » (7, partie 3, chapitre 1), « J’espère que vous avez fait un bon et charmant voyage » (lettre de Victor Hugo à sa femme, du 27 août 1839), « Hanté du souvenir de sa forme charmante, / L’Époux désespéré se lamente et tourmente / La pourpre sans sommeil du lit d’ivoire et d’or. / Il tarde. Il ne vient pas. Et l’âme de l’Amante, / Anxieuse, espérant qu’il vienne, vole encor / Autour du sceptre noir que lève Rhadamanthe » (Heredia, Les Trophées, « Annia Regilla ») – cet espoir est irréalisable car les amants ont été séparés par la mort –, « Le pharmacien sembla ne pas comprendre tout de suite, mais, après avoir songé, il espéra que le docteur héritait par moitié » (Maupassant, Pierre et Jean, chapitre 2), « Le docteur répondit qu’il fallait seulement espérer que sa femme guérît » (Camus, La Peste, livre 2, chapitre 2), « Espérons que l’épidémie ne durera pas » (Camus, La Peste, livre 2, chapitre 2).
« N’espérez-vous pas à présent que vos enfants seront rois » (Shakespeare, Macbeth, traduit par Guizot, acte I, scène 3), « N’espérez pas, Seigneur, que mon sort déplorable / Me puisse à votre amour rendre plus favorable » (Corneille, Théodore, acte III, scène 3), « Elle ne pouvait espérer que G…M… la laissât, toute la nuit, comme une vestale » (1, page 144), « Pauvre Jean-Jacques, dans ce cruel moment tu n’espérais guère qu’un jour, devant le roi de France et toute sa cour, tes sons exciteraient des murmures de surprise et d’applaudissement, et que, dans toutes les loges autour de toi, les plus aimables femmes se diraient à demi-voix : quels sons charmants ! quelle musique enchanteresse ! tous ces chants-là vont au cœur ! » (2, page 200), « Et comment peut-on espérer que le parlement émette son vœu en faveur d’un pareil acte [un emprunt d’État], tandis que si un fils de famille en faisant de semblables, il n’y a pas un tribunal qui hésitât à les annuler ? » (Sallier, Annales françaises, page 118), « Cette faveur qui vous a porté au ministère, espérez-vous qu’elle puisse vous [le contrôleur général] y maintenir aussi longtemps [que cinq années] ? » (ibidem, page 121), « Il [Dumouriez] n’espérait pas qu’elle [la place de Verdun] pût résister à un siège régulier » (5, page 152), « Avait-elle l’espoir qu’on ignorât qu’elle était la fille de Swann ? » (Proust, Albertine disparue), « Il n’espère pas qu’il entendra de nouveau l’ordre mystérieux » (Bernanos, Sous le soleil de Satan, partie 2, chapitre 7).
Avec se flatter
Se flatter se comporte comme « espérer ». Quand la proposition principale est affirmative, la complétive est, usuellement, à l’indicatif-conditionnel. Quand la proposition principale est interrogative, conditionnelle ou négative, la complétive est usuellement au subjonctif.
« Il [Voltaire, l’auteur] se flatte que les lecteurs judicieux ne feront pas plus de cas de ces imputations continuelles que des critiques passionnées dont il entend dire qu’on remplit les ouvrages périodiques » (Voltaire, Oreste, Avis au lecteur) — ici, « se flatter » a le sens de « s’entretenir dans une espérance » —, « Je fis un commentaire amoureux sur le quatrième livre de l’Énéide ; je le destine à voir le jour et je me flatte que le public en sera satisfait » (1, page 55), « Mais la Cour se flattait bien que cette concession [la convocation des états généraux] ne serait que momentanée et qu’après avoir tiré des états généraux les moyens pécuniaires dont on avait besoin, on les renverrait chez eux sans leur permettre se s’immiscer dans le Gouvernement, et que le Roi et ses troupes les mettraient à la raison s’ils s’en avisaient » (4, page 51). « On a prétendu […] que j’avais dit ce jour-là dans cette tribune qu’il fallait mettre tous les aristocrates à la lanterne. Ni mon frère ni moi, nous n’avons jamais tenu ce propos, ni là, ni ailleurs, et quoique je me flatte que la dénégation en soit superflue, cependant je déclare formellement que c’est une fausseté » (4, page 96) — ici « se flatter » a le sens de « se plaire à supposer » —, « Il se flatte qu’il n’y ait rien que sa constance ne pourra vaincre » (Gide, La Porte étroite, chapitre 5), « La maison se flattait qu’aucun hôtel en Europe ne fût mieux réglé ni mieux organisé pour offrir le plus grand confort aux Anglais, dont elle avait le souci constant de respecter les habitudes et les traditions » (Léon-Paul Fargue, Le Piéton de Paris).
« Au reste j’ai tâché d’y garder toutes les règles de la modération : mais je n’oserais me flatter qu’il ne me soit rien échappé de contraire, et que je n’aie trahi en cela mes intentions les plus pures et les plus droites » (Mabillon, Réflexions sur la réponse de M. l’abbé de la Trappe, Récapitulation et conclusion de cet ouvrage), « Puis-je me flatter, repris-je doucement, que deux mois de prison que j’ai déjà essuyés, lui paraîtront une expiation suffisante ? » (1, page 90), « Je ne me flatte pas qu’elle [Mme de Pompadour] ait contribué aux adoucissements qu’on mit quelque temps après à la captivité du pauvre Diderot » (2, livre 7), « Le chagrin de Cortez, sans doute, était juste ; mais après tout, s’était-il flatté, en versant par torrents le sang américain, qu’il ne coulerait jamais dans les combats une goutte de sang espagnol ? » (La Harpe, Abrégé de l’histoire générale des voyages).