Évolution progressive du subjonctif
Ainsi qu’on le constatera en lisant les auteurs contemporains, l’imparfait du subjonctif et le plus-que-parfait du subjonctif ne sont pas morts, mais les règles d’avant la Restauration française ne sont plus respectées, ce qui introduit un grand désordre dans le langage. Ces temps sont surtout utilisés à la troisième personne du singulier. Ainsi, on n’écrira plus : « Il était rare que les auteurs classiques utilisassent un subjonctif présent ou un subjonctif passé composé dans une subordonnée dépendant d’une proposition rectrice au plus-que-parfait ou au passé antérieur ».
Toutefois, on ne peut remplacer inconsidérément les subjonctifs imparfaits par des subjonctifs présents. Pour s’en rendre compte, il suffit de considérer la phrase « Quoiqu’elle m’aimât tendrement, et que je fusse le seul, comme elle en convenait volontiers, qui pût lui faire goûter parfaitement les douceurs de l’amour, j’étais presque certain que sa tendresse ne tiendrait point contre de certaines craintes » (1, page 73), ou celle-ci « Mais quoique les Jacobins désirassent que le Roi cessât d’être le chef de l’État, il ne s’ensuit pas qu’ils voulussent placer mon père sur le trône » (4, page 169), que Louis-Philippe écrivit longtemps après que son père eut été guillotiné. On voit donc qu’on a mutilé la langue française en abandonnant le subjonctif imparfait et le subjonctif plus-que-parfait, au moins à l’oral, pour les remplacer par le subjonctif présent et le subjonctif passé composé. Certains s’en réjouissent, apparemment plus par sottise et détestation d’une certaine forme de culture que pour d’autres raisons, et, selon eux, le subjonctif imparfait serait « le clown de la langue française ».
Voici quelques exemples des substitutions sus mentionnées, tirés de bons ouvrages :
« J’avais peur que la Cornette s’ennuie » (Marcel Aymé, Les Vaches), « J’ai remarqué qu’il ne soufflait pas un mot de la disparition des vaches, quoiqu’il en ait été informé la veille par les petites » (ibidem), « Il disait qu’elles devaient être bien raisonnables, pour que des parents leur aient confié une commission aussi importante que l’achat d’une fraise de veau » (Aymé, Le Chien), « Il a fallu que le canard et moi, nous nous partagions votre travail » (Aymé, Le Problème), « Un souvenir d’enfance m’est soudain revenu, une conversation entre mes parents, juste avant qu’on parte du HLM dans lequel j’ai vécu jusqu’à l’âge de six ans » (Mikael Ollivier, Star-crossed lovers, éditions Thierry Magnier, page 12), « Ah oui ! Je t’avais pas reconnue… à cause de la capuche… — Je lui ai souri et ses joues déjà rouges sont devenues presque violettes. J’ai regretté qu’il m’ait tutoyée » (ibidem, page 35), « C’était sans doute la première fois que j’étais en retard depuis le début de ma scolarité, moi, l’éternel premier de la classe, mais cela justifiait-il que l’on me dévisage ainsi ? » (ibidem, page 39), « Aussitôt, je m’obligeai à regarder Clara dans les yeux pour qu’elle ne puisse me surprendre à regarder son décolleté » (ibidem, page 60), « Il avait suffi d’un baiser pour que je n’en puisse plus de mener cette vie qui n’était pas la mienne, mais bien celle de mes parents » (ibidem, page 90), « Je redoutais que la maison déplaise à Clara tant elle était différente de la sienne » (ibidem, page 128), « Ensuite, il a fallu que nous fassions semblant de regarder le journal de 20 heures à la télé. Il était juste un peu plus de 11 heures du matin, mais la journaliste avait amené une cassette. Il y a eu un petit problème technique et nous avons dû attendre en compagnie de la journaliste que le preneur de son ait réparé le micro » (ibidem, page 141).