Après avoir calmé ses premières craintes, comme je n'étais pas venu là pour causer, j'ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son Couvent à combien de périls divers est exposée la timide innocence, et tout ce qu'elle a à garder pour n'être pas surprise : car, portant toute son attention, toutes ses forces à se défendre d'un baiser, qui n'était qu'une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense ; le moyen de n'en pas profiter !. J'ai donc changé ma marche, et sur-le champ j'ai pris poste. Ici nous avons pensé être perdus tous deux : la petite fille, tout effarouchée, a voulu crier de bonne foi ; heureusement sa voix s'est éteinte dans les pleurs. Elle s'était jetée aussi au cordon de sa sonnette, mais mon adresse a retenu son bras à temps.
"Que voulez-vous faire (lui ai-je dit alors), vous perdre pour toujours ? Qu'on vienne, et que m'importe ? à qui persuaderez-vous que je ne sois pas ici de votre aveu ? Quel autre que vous m'aura fourni le moyen de m'y introduire ? et cette clef que je tiens de vous, que je n'ai pu avoir que par vous, vous chargerez-vous d'en indiquer l'usage ?"Cette courte harangue n'a calmé ni la douleur, ni la colère, mais elle a amené la soumission. Je ne sais si j'avais le don de l'éloquence ; au moins est-il vrai que je n'en avais pas le geste. Une main occupée pour la force, l'autre pour l'amour, quel Orateur pourrait prétendre à la grâce en pareille situation ? Si vous vous la peignez bien, vous conviendrez qu'au moins elle était favorable à l'attaque : mais moi, je n'entends rien à rien, et comme vous dites, la femme la plus simple, une pensionnaire, me mène comme un enfant.
Celle-ci, tout en se désolant, sentait qu'il fallait prendre un parti, et entrer en composition. Les prières me trouvant inexorable, il a fallu passer aux offres. Vous croyez que j'ai vendu bien cher ce poste important : non, j'ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que, le baiser pris, je n'ai pas tenu ma promesse : mais j'avais de bonnes raisons. (avions-nous convenus qu'il serait pris ou donné ? A force de marchander, nous sommes tombés d'accord pour un second ; et celui-là, il était dit qu'il serait reçu. Alors ayant guidé ses bras timides autour de mon corps, et la pressant de l'un des miens plus amoureusement, le doux baiser a été reçu en effet ; mais bien, mais parfaitement reçu : tellement enfin que l'Amour n'aurait pas pu mieux faire.
Tant de bonne foi méritait récompense, aussi ai-je aussitôt accordé la demande. La main s'est retirée ; mais je ne sais par quel hasard je me suis trouvé moi-même à sa place. vous me supposez là bien empressé, bien actif, n'est-il pas vrai ? point du tout.
J'ai pris goût aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sûr d'arriver, pourquoi tant presser le voyage ?Sérieusement, j'étais bien aise d'observer une fois la puissance de l'occasion, et je la trouvais ici dénuée de tout secours étranger. Elle avait pourtant à combattre l'amour, et l'amour soutenu par la pudeur ou la honte, et fortifié surtout par l'humeur que j'avais donnée, et dont on avait beaucoup pris.
L'occasion était seule ; mais elle était là, toujours offerte, toujours présente, et l'Amour était absent.
Pour assurer mes observations, j'avais la malice de n'employer de force que ce qu'on en pouvait combattre. Seulement si ma charmante ennemie, abusant de ma facilité, se trouvait prête à m'échapper, je la contenais par cette même crainte, dont j'avais déjà éprouvé les heureux effets. Hé bien ! sans autre soin, la tendre amoureuse, oubliant ses serments, a cédé d'abord et fini par consentir : non pas qu'après ce premier moment les reproches et les larmes ne soient revenus de concert ; j'ignore s'ils étaient vrais ou feints : mais, comme il arrive toujours, ils ont cessé, dès que je me suis occupé à y donner lieu de nouveau. Enfin, de faiblesse en reproche, et de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes séparés que satisfaits l'un de l'autre, et également d'accord pour le rendez-vous de ce soir.