II- le désordre comme création d’ordre
La négation de l’ordre comme privation d’ordre et comme absence d’ordre s’exprime tout bonnement par son opposé le désordre. Cette négation insiste ainsi sur la séparation entre deux choses et se pense donc dans son opposition à l’affirmation. Dans le terme « d’ordre » et de « désordre ”,les deux propositions sont en rapport étroit car selon Aristote dans De l’interprétation « toute affirmation répond à une négation opposée , et à toute négation une affirmation » .En effet, la négation n’est pas pensable en soi, se constituant vis à vis d’autre chose ;elle est une opposition réelle à la position de quelque chose ;c’est pourquoi Kant la distingue, dans son Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative ,en tant qu’elle est « privation » , du simple « manque ». La négation est donc quelque chose de constitutif. Cet élément constitutif est en cela l’union, l’unité entre deux termes supposés contraires. C’est cette jointure de deux éléments qui forme un tout, une création. Comment le désordre à t-il une fonction d’une part bénéfique pour remettre de l’ordre ,et d’autre part une fonction afin d’ être dépassé ?
Le terme de création du latin « creatura » paraît devoir le sens de « personne qui doit sa situation à la faveur d’une autre ».En effet, doit-on placer le désordre comme déterminisme de l’ordre ?Le désordre comme une source de création d’ordre est-elle possible et envisageable ?Dans le domaine biologique, on introduit la notion d’émergence comme possibilité de la vie. On suppose ainsi que des molécules apparaissent « ex-nihilo » et forment quelque chose qui n’existait pas auparavant. ;Elles introduiraient alors de nouvelles propriétés .C’est ce Jacques Monod dans son ouvrage, Le hasard et la nécessité, nous dit : « l’accroissement local d’ordre que représente l’assemblage de molécules initialement désordonnées en un réseau cristallin parfaitement défini ».On voit bien ainsi que le désordre s’est ordonnés par un assemblage spécifique et a formé une unité stable .Mais, selon ce dernier ,Le hasard serait alors à la racine de l’ordre. L’homme serait le fruit d’une suite d’erreurs de réplications qui auraient été :Il y a eu donc transmission de l’erreur jusqu’à la création de l’homme . De ce fait, l’évolution « n’est nullement une propriété des êtres vivants puisqu’elle a sa racine dans les imperfections même du mécanisme conservateur ,qui ,lui constitue bien lui unique privilège ».Le désordre serait alors un embrouillamini capable de s’ordonner de manière structurée et organisée. En effet, l’entropie que nous définissons grossièrement comme l’altération ou la dégradation dans un système est ce qui permet la création de la vie. Ainsi, sans l’existence de bactéries qui constituent l’altération du vivant, l’homme ne pourrait exister. Lucrèce dans De rerum natura insiste sur le fait que « nul ,parmi les corps dont la nature est visible, n’est formé d’une seule espèce d’atomes, tous ils sont composés de semences diverses ;et plus ils possèdent de vertus et de propriétés ,plus ils témoignent d’une grande variété des espèces et des formes atomiques ».Chaque création dérive donc d’un mélange d’opposés qui par son union va former une unité formée d’une architectonicité. Si nous passons dans le domaine de la physique, prenons l’exemple d’aimants opposés qui s’attirent ou bien du courant électrique le pôle positif et le pôle négatif donne l’énergie circulaire au courant ou encore de la thermodynamique qui montre que la chaleur n’est autre chose que la puissance motrice ou plutôt le mouvement, qui a changé de forme. Ainsi toutes altérations, toutes fluctuations, toutes modifications est susceptibles d’entraîner la naissance de quelque chose de nouveau. En cela, d’un désordre préalable est né un nouvel équilibre
Si l’on place maintenant non plus dans le domaine scientifique mais économique, et historique. Dans le domaine économique, la notion de « destruction créatrice »introduite par Joseph Schumpeter .Le processus de destruction créatrice est la disparition de secteurs d’activité conjointement à la création de nouvelles activités économiques. Au XIX ème siècle , la révolte des prolétaire contre le système capitaliste bourgeois a permis l’essor de plus de droits avec la naissance par exemple des syndicats .Cette violence très forte que l’on voit dans les ouvrages de Zola tente de montrer une marche en avant ,un processus de délivrance d’une masse qui passe par la « révolution ».Cette « lutte des classes » comme l’appelait Marx devait permettre une plus grande égalité des salaires, des droits etc…Certes, tous ses mouvements sont un bouleversement de l’ordre établit ,de l’ordre existant ;cependant, il faut avant tout regarder le but de la réalisation de tels mouvements. Dans l’ouvrage de Georges Sorel, Réflexions sur la Violence, il dit que « Non seulement la violence prolétarienne peut assurer la révolution future, mais encore elle semble être le seul moyen dont disposent les nations européennes, abruties par l'humanitarisme, pour retrouver leur ancienne énergie. Cette violence force le capitalisme à se préoccuper uniquement de son rôle matériel et tend à lui rendre les qualités belliqueuses qu'il possédait autrefois. Une classe ouvrière grandissante et solidement organisée peut forcer la classe capitaliste à demeurer ardente dans la lutte industrielle ; en face d'une bourgeoisie affamée de conquêtes et riche, si un prolétariat uni et révolutionnaire se dresse, la société capitaliste atteindra sa perfection historique ».Dès lors,
A chaque révolte, a chaque « chienlit » que demande la population ?Une plus grande Liberté. De ce fait, le désordre crée de l’ordre dans la mesure ou il tente de passer de ce qui existait précédemment vers quelque chose d’autre, vers quelque chose de toujours plus libre .C’est au prix de révoltes émancipatrice que le monde s’est dirigé vers l’expression d’une plus grande liberté. « Les guerres de la Révolution et de l'Empire ne firent que stimuler encore ce sentiment, non seulement parce qu'elles furent glorieuses, mais aussi parce qu'elles firent entrer beaucoup d'argent dans le pays et contribuèrent ainsi à développer la production » dit Georges Sorel . La violence a donc une valeur créatrice car « exercée comme une manifestation pure et simple du sentiment(, elle)apparaît ainsi comme une chose très belle et très héroïque ; elle est au service des intérêts primordiaux de la civilisation »D’ailleurs, Si l’on observe la tragique 2nd guerre mondiale :Qu’y voit-on ?Certains diront, et auront raison de dire, qu’elle fut tragique, horrible, immonde. Mais si l’on observe l’après guerre qu’y voit-on ?Nous y voyons l’essor d’organismes internationaux tels l’ONU ,L’UNICEF.LA CEE etc… qui s’inscrivent dans la volonté de promouvoir un équilibre et une paix durable. L’histoire est donc un processus dialectique comme le disait Hegel dans La raison dans l’Histoire : « Il est essentiel de noter que la marche de l’Esprit est un progrès :c’est une idée bien connue, mais qui a été , comme nous l’avons dit , fréquemment combattue. La raison en est qu’elle semble s’opposer à l’état d’esprit qui convient à un ordre tranquille, à la constitution et à la législation existantes(…) il s’ensuit que l’ordre établi n’est pas considéré comme quelque chose de suprême ;c’est au contraire le changement qui reçoit cet attribut ».Dès lors, nous voyons que la dialectique historique est une évolution « non pas au sens formel du terme , mais la production d’une fin d’un contenu déterminé . Cette fin, c’est l’esprit tel qu’il est dans son essence, le concept de liberté ».Ainsi , le désordre comme entrave au socle existant est susceptible de dépasser les réalités existantes. Dépasser, c’est développer un progrès dans de nouvelles idées , connaissances , pensées. Cela permet donc de donner une dynamique à l’homme qui passe dans un processus de « déshumanisation- ré humanisation » permanente et constante comme disait Marx dans ses Manuscrits. En cela, le désordre comme création s’inscrit dans un principe évolutionniste. Mais, sans ordre pas de désordre et inversement ;alors ne peut-on pas penser ses deux mots dans un rapport de subordination perpétuel ?