Bonjour tout le monde,
J'ai eu il n'y a pas si longtemps un sujet d'invention qui demandait:" Votre professeur de Français vous a proposé de lire un pièce de théâtre; au nom de vos camarades, vous vous exprimez pour lui expliquer qu'un pièce de théâtre doit être vu et non lu".
Ce à quoi j'ai répondu par ceci, pouvez vous me dire si l'ensemble est correct et s'il y a des points que j'oublie selon vous, d'évoquer?
Merci d'avance,
Mardi 6 mars 2007
Vincent
1ère S. Rouge Travail d’invention
Note : Appréciation :
Un jour, à la fin d’un cours de français tout ce qu’il y a de plus banal pour une classe de première scientifique, le professeur proposa à ses élèves de travailler sur une pièce de théâtre que ceux-ci devraient lire dans les deux semaines qui suivaient. Le lendemain, après avoir savamment discuté avec ses camarades et écouté leurs divers avis sur la question, un des adolescents se désigna pour expliquer au nom de ses camarades et de lui-même la pensée commune : le théâtre est fait pour être vu et non lu.
« Madame, mes camarades et moi-même tenons à vous exposer notre point de vue concernant cette pièce de théâtre que vous voulez nous faire lire. En effet, nous pensons qu’il est inapproprié de faire lire une pièce de théâtre alors que la mise en scène joue un rôle primordial. Les premières pièces n’étaient-elles pas jouer et non écrite pour le grand public ? N’étaient-elles pas des « scripts » au vrai spectacle ? C’est un fait, les pièces sont jouées depuis l’antiquité, seul le modernisme de notre époque nous apporte ce théâtre de salon, tel On ne Badine pas Avec l’Amour, qu’a inventé Alfred De Musset. Il nous faut voir cette pièce pour pouvoir l’apprécier dans son ensemble.
De plus, le texte n’est pas suffisant pour représenter une pièce dans son ensemble. Il manque le décor, indispensable pour situer le lieu dans l’espace et dans le temps. Ainsi, l’antique temple à la romaine dans la scène finale de Dom Juan lui confère une dimension de châtiment divin, chose qu’on ne peut remarquer au premier abord à la lecture de la pièce mais qui marque tout de suite l’esprit du spectateur dès l’acte III lors de la représentation. Il en va de même pour les costumes, qui annoncent avant même que le personnage n’ouvre la bouche son caractère et ses ambitions. Ainsi le célèbre Arlequin de la Commedia Dell’arte, habillé très souvent de façon colorée et excentrique, ayant le phrasé rapide et instinctif, comique, parfois décalé, est le personnage type que l’on reconnaît à sa première apparition sur scène et que l’on peut tout de suite cerné.
Puisque nous en parlons, si le théâtre n’était pas fait pour être joué, comment pourriez vous nous expliquez, cher professeur d’où vient le succès de la Commedia Dell’arte, qui a duré jusqu’au dix huitième siècle ? Ce théâtre, basé sur un jeu d’improvisation, de mouvements, de corps, de gestes, de grimaces, et très peu sur un canevas, qui était aussi court que simpliste ne montre-il pas l’engouement des spectateurs pour le spectacle et non pour la réflexion ?
L’auteur lui-même prend soin, alors qu’il rédige ses pièces, de mettre des indices, des didascalies ou des descriptions du personnage, mais celles-ci sont faites pour l’adaptation au théâtre de l’œuvre. En effet, les effets spéciaux, durant le dénouement de Dom Juan, prennent toute leur ampleur avec les jeux de lumières ; le jeu des dialogues, dans le malade imaginaire par exemple, ou les personnages se coupent la parole, parlent en même temps. Cette cacophonie, à l’image des éclairs ou des mouvements des personnages, est difficile à visualiser par le lecteur, et nécessite une mise en scène pour faciliter la compréhension du passage.
Il en va de même pour les signes non verbaux qui trahissent le caractère du personnage. Ainsi, la lâcheté de Sganarelle dans Dom Juan s’exprime la plupart du temps par un comique de gestes et autres mimiques qui échappent aux lecteurs mais qui amusent le spectateur. D’une manière similaire, les Fourberies de Scapin n’est-elle pas une comédie à mettre en œuvre de part l’utilisation du comique de mots, soutenu par le phrasé et le ton donné par l’acteur, par le comique de situation et de gestes, lorsque Scapin bat son maître en se faisant passer pour un autre, et que celui-ci sort la tête du sac et que Scapin se fait surprendre ; ne sont-ce pas là des éléments qui sont ravivés et exaltés par le jeu et l’exagération des gestes des acteurs ?
Par ailleurs, nous venons de voir que la comédie doit être mise en scène, mais il en va de même pour les autres genres théâtraux, comme par exemple, la tragédie. En effet, ces antiques tragédies, comme Antigone de Sophocle, par leur vocation première, c'est-à-dire la catharsis, la purgation des âmes, n’étaient pas faites pour être lues, mais pour être vues, pour que les sentiments qu’exacerbaient les acteurs se transmettent aux spectateurs et que ceux-ci s’oublient dans cet art qu’est le théâtre. Et ceux-ci s’oubliaient tellement que certains montaient sur scène, croyant sauver Antigone de son tragique destin, destin qu’elle avait choisi d’endurer, et se retrouvaient éconduits et honteux en se rendant compte de leur emportement. Ces émotions, l’amour, la haine, le désespoir, l’espoir, la lassitude, peuvent bien sûr se retrouver dans une œuvre écrite, mais leur impact est fortement diminué, tandis qu’ils prennent tout leur sens, toute leur symbolique à travers l’intonation de la voix et du jeu de scène des acteurs. On pourrait noter par exemple, l’échange des costumes dans l’Ile Des Esclaves, de Marivaux, qui prend toutes sa signification lors de la représentation qui permet au personnage de réellement visualiser l’échange de rôle, faisant ainsi passer le message, à travers un échange aussi facile et rapide des costumes, que les privilèges ne sont pas dus aux compétences mais à la naissance et à la société d’époque, et qu’ils peuvent s’envoler en un instant.
Encore au-delà de ces jeux de mises en scènes qui permettent au théâtre de s’accomplir véritablement, la mise en scène d’une œuvre théâtrale en constitue, en soi une interprétation qu’il est toujours intéressant d’étudier.
Ainsi, même si le dramaturge prend soin de parsemer son œuvre d’indices concernant la mise en scène, à travers la description des décors ou des personnages et les didascalies ; elles restent brèves, et permettent au metteur en scène de modifier l’interprétation de la pièce ou d’insister sur un aspect plus que sur un autre. On pourra ainsi noter dans une adaptation de Tartuffe, un Tartuffe habillé sobrement, ce qui aura pour impact d’insister sur côté manipulateur et froid du personnage, et donc accentuera cette aspect de la dénonciation des faux dévots. A l’inverse, un personnage haut en couleur, tant bien dans son accoutrement que dans son phrasé, ferra rire le spectateur et passer pour des « bouffons » les faux dévots. De même, l’habit fait parfois le moine, et dans le cas des Précieuses Ridicules, de Molière, le ridicule peut justement être accentué, au soin du metteur en scène, par une intonation quelque peu niaise des personnages, mais surtout par de nombreux ajouts, qui tous ensemble, rendent le protagoniste plus ridicule que précieux, plus superficiel, à l’image de son caractère. De la même manière, Monsieur Bluwal a préféré dans sa version filmée de Dom Juan, de représenter un personnage déshumanisé qui mérite amplement son châtiment, tandis que celui-ci paraissait plus humain dans la version d’origine.
Encore par delà ces interprétations possibles et toutes différentes que nous offre chaque représentation, le metteur en scène peut, par ses propres choix de mises en scène, actualiser une pièce et la moderniser. Ainsi, on pourrait voir dans Phèdre, de Racine une héroïne janséniste, damnée en raison de la prédestination ou comme une héroïne moderne tiraillée par ses pulsions et détruite par ses infractions aux règles.
L’émotion transmise peut elle-même être transformée par le jeu de l’acteur. Ainsi, dans Dom Juan encore une foi, l’éloge paradoxale pourra être vu comme ridicule si Sganarelle exagère à outrance les hyperboles et exagère le ton, tandis qu’elle suscitera chez le spectateur, une sorte d’aversion pour Sganarelle si celui-ci modère ses propos, lui donnant l’air d’un personnage médiocre qui cherche désespérément à se mettre en valeur par rapport aux autres.
La conclusion est à venir.