Sganarelle lui-même a une part de tragique : du fait de son manque d'éducation, il ne parvient pas à s'exprimer et à faire valoir la justesse de sa foi (le "bon sens populaire" que Molière met souvent en évidence par contraste avec la figure de "l'honnête homme" incarné ici par Dom Juan, paradoxalement complètement perverti). Sganarelle se perd dans ses explications : on sent qu'il y aurait matière pour un vrai débat métaphysique, mais le petit valet ne peut rien face à Dom Juan qui maîtrise le logos et se fait maître du sophisme.
Aucune des scènes a priori comiques n'est dépourvue d'un fond tragique : on rigole de voir Charlotte et Mathurine se battre, mais toutes deux font figures de jeunes filles candides, vertueuses (elles ne se donnent pas avant le mariage), bref, de pauvres bougresses qui certes sont un peu ridicules mais ne méritent pas de se voir déshonorées et rendues malheureuses par l'égoïsme de Dom Juan.
La dernière réplique ("mes gages !") est très ambiguë. Sganarelle, même s'il n'aimait pas son maître, ne désespérait pas de le convertir. Est-ce que Molière a voulu finir la pièce sur une note légère et un peu triviale pour faire oublier aux spectateurs nobles qu'il venait de mettre en scène le châtiment divin qui les attend pour leur conduite libertine ? Il y a de quoi rire jaune dans cette "comédie". Occulter l'aspect polémique, c'est ne pas comprendre l'intention réelle de Molière. Le comique n'est là que pour prendre un peu de distance vis-à-vis d'un sujet très sérieux et éminemment polémique à l'époque.