Méthode commentaire Méthode dissertation

Aide à la lecture des œuvres

Bonjour à la communauté "Etudes littéraires".

Je suis très heureux d'avoir enfin franchi le pas pour vous rejoindre.

Dégagé de certaines obligations professionnelles et familiales, je suis désormais libre de consacrer du temps à rattraper celui qui est perdu, et tenter de combler certaines lacunes. Celle qui me fait le plus honte est le profond handicap à l'appréciation des oeuvres littéraires.

Sans craindre la moquerie, j'éprouve une profonde admiration pour ceux qui parviennent à ressentir, à s'émouvoir de la beauté d'un texte. Je me sens pour ma part totalement désarmé, aveugle et sourd à la qualité de la prose, du style, étranger à ce qui fait la grandeur.

J'aimerais croire que cette insensibilité est guérissable, et pas seulement par un feint enthousiasme de ma part, mais par la compréhension de ce que je lis. J'ai toujours la désagréable impression de survoler le sens, de lire tel un butor, privilégiant le sens premier sans y voir la complexité.

À titre d'exemple, "Les Suppliantes" d'Eschyle. Je retiens de sa lecture un récit, une construction, certainement une "morale" mais je n'éprouve pas la qualité de cette pièce. Je ne suis pas touché par ce qui est une grande oeuvre littéraire, tout simplement parce que je ne parviens pas à traduire des mots, des vers en émotions, en tumulte intérieur (en espèrant ne pas trop être pompeux...!).

Aussi, je me permets de demander à la communauté, non pas de solution miracle, mais des pistes, des indications pour faire naître le goût à la "beauté littéraire". Dans le meilleur des cas, une méthode, même si je doute que les "littéraires" aiment systématiser leur approche.

Que faut-il dès lors explorer ?

La grammaire ? La musicalité ? La place d'un vers, d'une phrase dans l'oeuvre ? La psychologie des personnages ? Le texte doit-il être scruté dans ses détails? Dans sa globalité ?

Convaincu de laisser échapper une part considérable d'une "vie riche", je serais ravi de partager avec vous de ces questions.

Je vous remercie par avance, Alexandre.

«1

Réponses

  • Bonjour Alexandre,

    Vous posez un vaste problème auquel je n'ai pas de réponses toutes faites. Toutefois, je salue votre intervention, à laquelle d'autres sauront vous donner quelques pistes.

  • Jean-LucJean-Luc Modérateur

    @Alex15

    Bienvenue parmi nous !

    Voilà une tentative proustienne d'aller à la "recherche du temps perdu".

    Pour moi, deux clés principales, il faut d'abord goûter l'œuvre, se laisser séduire. Lire par obligation ou selon l'argument de notoriété est souvent une impasse. Lire doit d'abord être un plaisir.

    Il faut aborder les œuvres selon son âge et sa culture. Pour être appréciées, les œuvres ont d'abord besoin d'être comprises. Faire lire les Essais de Montaigne à l'adolescent que je fus a été une erreur. Je n'ai pu alors m'approprier le fatras culturel, les gasconnades, la langue et surtout les expériences de vie de Montaigne. Aujourd'hui, en n'hésitant pas à survoler les passages rebutants, j'arrive à sourire d'un art de vivre et d'une sagesse que je ne partage pas toujours.

  • Alex15Alex15 Membre

    Bonjour Fandixhuit,

    Je vous remercie de votre réponse.

    Evidemment, je conçois la difficulté de la gageure, ma demande se résumant au final à apprendre à lire...

    Je reste optimiste...

  • Alex15Alex15 Membre

    Jean-Luc,

    Tout d'abord, merci de votre accueil. Je sens intuitivement que le site, et son forum, vont être une source utile de découverte et d'exploration.

    Si je peux me permettre de résumer votre pensée, envisagez-vous un texte comme une nourriture ? Après y avoir goûté, place au plaisir du palais et de l'ingestion...

    Dès lors, pardonnez mon insistance mais paut-on éduquer son goût, son analyse...?


    Merci, Alex

  • duduledudule Membre

    Bonjour Alexandre,

    Je suis perplexe. Vous semblez vouloir dire que vous n'arrivez pas à repérer la "beauté littéraire", alors même que vous écrivez un texte absolument parfait ! Je ne suis pas psychanalyste, mais j'ai quand même l'impression que votre subconscient a fort bien fonctionné depuis un certain nombre d'années et au travers d'un certain nombre de lectures ;-)

    Ceci dit, c'est à vous de définir le style littéraire qui vous convient ou que vous préférez : roman, poésie, théatre, voire même musique (opéra). En français, évidemment. Et éventuellement définir la période qui vous inspire.

    J'ai écrit "en français" : méfiez-vous des traductions ! Il est a priori difficile d'apprécier les qualités littéraire d'une oeuvre qui a été traduite. Virgile et Lucrèce sont admirables en latin, Eschyle l'est sans doute tout aussi en grec. Pour le théâtre ou l'opéra, n'hésitez pas à écouter, qu'importe que vous parliez la langue ou pas : normalement, c'est tellement bien fait que même sans comprendre le texte on en comprend la puissance. Quand on déclame le "St Crispin's Day Speech " en anglais (Henry V), qu'un ténor chante en italien le Nessun Dorma (Turandot), qu'une soprano chante du Mozart en allemand... même si on n'y comprend rien parce qu'on ne connaît pas la langue (heu... et parfois, même en la connaissant, c'est compliqué ;-)), on se rend bien compte qu'il se passe quelque chose émotionnellement. On pourrait multiplier les exemples à l'envi.

    Finalement, opéra et/ou théâtre pourraient être de bons points de départ.

  • HippocampeHippocampe Membre
    24 janv. modifié

    Bonjour,

    Le problème, si problème il y a, n'est peut-être pas dans la lecture mais... dans je ne sais quel ailleurs.

    Ressens-tu quelque chose quand tu regardes un tableau ou une sculpture ? Que ressens-tu lorsque tu écoutes de la musique ? Quand tu humes le parfum d'une fleur ? Quand tu manges des tripes à la mode de Caen ? Quand tu regardes ton épouse s'il y a une épouse ?

    Quand ressens-tu des émotions ?

    T'a-t-on obligé à lire Sartre quand tu avais cinq ans ? Bon, je plaisante un peu.

    Ton éventuelle insensibilité aux textes a-t-elle eu des conséquences scolaires ?

    Cette éventuelle insensibilité est apparue à quel âge ? Et les histoires de Jeannot-Lapin te font-elles ou te faisaient-elles quelque chose ?

  • Alex15Alex15 Membre

    Bonjour Dudule,

    Merci pour votre réponse. Je me permets également de vous remercier du compliment (et de vous le retourner) en mentionnant le fait que le site est littéraire, et en ce sens, oblige à des efforts d'écriture. Par ailleurs, j'ai toujours été particulièrement sensibilisé à l'orthographe, à deux ou trois petites astuces d'écriture et j'ai le temps pour moi, derrière mon écran, de soigner mes tournures, de profiter des outils sur internet pour trouver le mot le plus juste...

    D'autre part, j'ai lu. Pas autant que je le voudrais, mais j'ai lu. Peut-être en ai-je retenu quelques tournures. Mais de ces lectures, je serais bien incapable d'en exposer le style, notion qui m'est d'ailleurs bien obscure, la richesse esthétique, voire souvent d'en énoncer les personnages et leurs traits... Défaut cognitif ? Manque de culture ? De méthode ?...C'est en tout cas ce qui me chagrine.

    J'apprécie en revanche votre point de vue, ayant un peu l'oreille musicale et la plus grande facilité qu'offrent des textes en langue maternelle. En outre, j'apprécie le théâtre et tâcherai donc d'y déceler le rythme...

    Alex

  • Alex15Alex15 Membre

    Hippocampe,

    Je me demande à quel point vous ne touchez pas quelque chose de profond. Je ne suis assurément pas un contemplatif même si j'apprécie le cinéma d'un Terrence Malick... Cette insensibilité ne m'a pas, me semble-t-il, contraint dans mon parcours scolaire, ayant eu un parcours universitaire relativement honorable et ne m'interdit pas de sentiments envers mon épouse, mes enfants, mes amis. Pourtant, je ressens certainement le manque d'une vie passée sans véritable transcendance, passion, se devant d'être nécessairement en perpétuel mouvement, sans pause pour apprécier le moment.

    Merci à vous, Alex

  • @Alex15

    Vous avez eu de nombreuses réponses, toutes fort pertinentes.

    En lisant votre dernier post, je retiens ce "mouvement perpétuel". Lire, c'est s'arrêter de vivre (en un sens) notre petite vie personnelle. C'est entrer dans l'intimité d'un autre être humain. C'est accepter ce fameux "pacte avec le lecteur". C'est vivre une aventure, celle d'un auteur qui cherche ceci ou cela. C'est le suivre. C'est accepter les divergences.

    Tout cela est banal, bien sûr, mais il me semble qu'en lisant X,Y ou Z, on s'ouvre au monde.

    Cela dit, pour nous contrarier, Victor Hugo affirme dans Les Contemplations : "Je lisais. Que lisais-je ? Oh le vieux livre austère, le poème éternel ! - La Bible ? - Non, la terre."

  • Alex15Alex15 Membre

    Oui FANDIXHUIT,


    J'ai eu la chance d'obtenir de nombreuses réponses, et j'en remercie chaleureusement les auteurs. J'ai désormais du "matériau" pour tenter de combler des lacunes, même s'il m'apparaît que l'apprentissage du goût des choses de la vie est incontournable.

    Merci encore, Alex

  • Je ne vois qu'une seule piste pour répondre à la question posée : lire, lire et encore lire.

    Variez les époques : l'Antiquité n'est peut-être pas un bon point d'entrée. Pourquoi ne pas lire des œuvres du XIXe ou XXe siècles pour commencer ? Elles « parlent » plus facilement au lecteur contemporain.

    Variez les genres : lisez des nouvelles, car ce sont des œuvres courtes et plus accessibles, puis essayez des romans, et pourquoi pas des essais ou de l'histoire avant de s'attaquer au théâtre, voire à la poésie.

    Variez les auteurs : en s'essayant à différents écrivains, on finit toujours par en trouver dont la sensibilité est proche de la nôtre ou, au contraire, si éloignée que l'on cherche à les comprendre. Ne pas hésiter à choisir des écrivains de sensibilités politiques différentes, de styles littéraires très différents - il n'en manque pas.

    Commencez, me semble-t-il, par la littérature française : les traductions, si bonnes soient-elles, constituent un prisme à travers lequel nous découvrons les auteurs étrangers. Le français écrit par un auteur français ne connaît pas ce filtre. Essayez Aymé, Balzac, Camus, Céline, Dumas, Gracq, Giono, Green, Hugo, Maupassant, Mauriac, Montherlant, Renard, Saint-Exupéry, Verne, Yourcenar, Zola, Bernanos, Cohen, Colette, Daudet, Flaubert, Gide, Malraux, Martin du Gard, Stendhal… Empruntez l'un de leurs titres phares dans une médiathèque : ce serait bien le diable si vous ne trouvez pas votre bonheur parmi ceux-ci.

  • Alex15Alex15 Membre

    Merci Freddy pour votre réponse. Si vous me permettez, je tiens à préciser que j’ai lu. Juriste, passionné d’histoire, j’ai lu nombre d’essais, des romans, des polars…malgré une carrière dans un service « actif ».

    Il s’agit davantage de déplorer une lecture à posteriori essentiellement technique, mécanique, utilitaire, de regretter n’être jamais parvenu à m’émerveiller du mot, de la phrase, du style…

    Il m’apparaît que cette carence est un handicap.

    Alex

  • Bonsoir @Alex15

    C'est encore moi. Votre "handicap" m'interpelle.

    Avez-vous essayé de lire de la poésie ? A voix haute, afin de sentir le rythme, le balancement, etc. ? Vous êtes sensible à la musique, ai- je lu. Donc, sans doute à la musicalité de certains vers ?

  • Alex15Alex15 Membre

    Fandixhuit,

    C’est vrai que je n’y avais pas pensé !!

    L’idée est d’autant plus intéressante que mon âge s’accompagne malheureusement de troubles inopinés de la mémoire. Lire, et apprendre de la poésie, est peut-être la bonne manière d’envisager mon « handicap ».

    Je me mets en quête du poème qui retiendra mon intérêt…

    Merci beaucoup.

  • Comme @fandixhuit je pense que la poésie contribuerait grandement à vous sensibiliser à l'esthétique littéraire, à vous éveiller à une approche plus sensible des textes, car c'est cela que vous déplorez, du moins l'ai-je entendu ainsi.

    La "poésie" ne se rencontre pas seulement parmi les vers et les strophes, c'est pourquoi je préfère parler d'écriture poétique. Certaines pages de roman ou répliques de théâtre sont poétiques. La poésie est un regard, non un procédé stylistique, ou pire, simplement formel.

    Chacun connaît, et cultive soigneusement, le cahier des charges de ses propres émois littéraires. Certains frissonnent à l'intrigue, d'autres ne s'éveillent qu'au contact d'un style original ; je suis de ces derniers. Il faut toutefois que l'originalité de la langue serve un propos profond — "philosophique" diront les foules — et un regard sur l'expérience de l'humaine condition. Je ne conçois pas d'acte littéraire sans un travail de la langue, ou sur la langue, de la même façon qu'une pièce de bois sauvage ne peut donner une œuvre sans les mains du sculpteur (sauf caprice de la nature), ou qu'un corps inanimé ne peut produire une danse sans le souffle d'une conscience qui l'anime. Sans quoi, je serais déjà en pâmoison devant le mode d'emploi de ma machine à laver.

  • 26 janv. modifié

    On sous-estime beaucoup les qualités littéraires du mode d'emploi d'une machine à laver. 😁

    J'ai commencé - comme beaucoup, je suppose - par m'intéresser aux intrigues des romans, et au fil du temps je me suis Lucid_Lynxé, en attachant de plus en plus d'importance au style - je ne développerai pas les auteurs ici car ça nous entraînerait un peu loin.

    La littérature de fiction est - à de rares exemples près - à différencier de la littérature historique ou des essais, ou encore de la philosophie, genres dans lesquels nous cherchons surtout un sens, une connaissance ou des explications. Bien entendu il y a des exceptions, avec des ouvrages historiques à connotation un peu littéraire (De Gaulle ou Churchill me viennent à l'esprit) et des œuvres de fiction qui « font réfléchir » - je n'aime pas trop l'expression (on pense aux romans de Camus, à certains courants du théâtre...).

    Il faut essayer, comme l'on goûte ou l'on déguste pour se faire une idée : non seulement c'est la seule façon de savoir si l'on aime ou l'on n'aime pas - au final c'est quand même important, mais encore il faut tenter parfois d'y revenir, car selon le contexte on peut avoir une première impression et en changer totalement en d'autres circonstances - c'est ce qui m'est arrivé pour la plupart des auteurs que j'apprécie dans la durée.

  • je ne développerai pas les auteurs ici car ça nous entraînerait un peu loin.

    Je me suis mordu plusieurs fois pour ne pas céder à la tentation.

  • fandixhuitfandixhuit Membre
    27 janv. modifié

    Nous devrions, tous ensemble, concocter un ouvrage avec nos meilleures interventions, lui donner un titre percutant et trouver un éditeur prêt à le publier ! 😀

    Je me sens également assez souvent frustrée.

    Nous aurions des grammairiens, des linguistes, des spécialistes du style, etc.

    Quelle belle aventure ! Un beau rêve...

  • duduledudule Membre

    Oh... nos plus belles... ou les pires gaffes/bourdes ;-)

  • Mais grâce à nos bêtises, nous sommes devenus bien meilleurs ! On apprend tant de choses ainsi, et pas uniquement les élèves.

Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.