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Rousseau et le mythe du bon sauvage

Bonjour,
J'aimerais parler de Rousseau (siècle des lumières) et le mythe du "bon sauvage". Ce dernier est dans la continuité de la thèse énoncée par Montaigne (un humaniste). Pouvez-vous m'indiquer quel a été son apport concret à ce mythe ? Je dois être concise car j'ai déjà abordé en détail Montaigne et ce mythe.

D'après ma lecture d'un document du ministère de l'éducation nationale, je vois que Rousseau est dans la continuité des propos de Montaigne :
Montaigne joue sur la polysémie des adjectifs « sauvage » et « barbare »*, tantôt connotés de manière dépréciative, tantôt colorés d’une teinte méliorative. Selon lui, les peuples qualifiés de « barbares » ne le sont que dans la mesure où leurs usages, leur façon de vivre diffèrent de celles des Européens. Ce ne sont pas des hommes cruels, féroces mais plutôt des hommes en adéquation avec la nature, contrairement aux Européens que la civilisation a pervertis.
*barbare : du grec barbaros, ce qui est étranger, qui a d’autres usages, un autre mode de vie.

Dans ce texte de Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) , Rousseau présente l’état de nature comme un état idyllique, un âge d’or. Selon lui, le progrès, la civilisation, corrompent cet état primitif et ne créent que du désagrément pour l’homme. Il rejoint ainsi la thèse énoncée par Montaigne.

Merci d'avance !

Réponses

  • Jean-LucJean-Luc Modérateur
    Bonjour,

    Le mythe est né bien avant Rousseau.
    Ce philosophe se contente de théoriser sur l'homme primitif dans "l'état de nature". Sa position s'oppose frontalement au christianisme qui affirme le péché originel.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Bon_sauvage
  • En gros, l'homme primitif serait le bon sauvage, n'est-ce pas ?
    " L'homme de nature, tout droit sorti d'un primitif paradis perdu, l'homme d'avant la Chute, ignorant du péché originel, de la propriété, de l'inégalité et de la guerre, être en paix avec lui-même et avec le monde, exact opposé de l'homme civilisé occidental du XVIIIe siècle."
    Sinon, quel est le contexte de l'époque (ex: l'esclavage) ?

    Voilà ce que j'ai trouvé le concernant :
    Rousseau est reconnu pour celui qui a le plus participé à ce mythe par la défense des idées suivantes qui traversent l’essentiel de son oeuvre:

    « La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. »

    Dans ses essais philosophiques [...]
    Philosophie
    En 1750 son "Discours sur les sciences et les arts » porte le thème central de sa philosophie : l'homme naît naturellement bon et heureux, c'est la société qui le corrompt et le rend malheureux. Il réfute ainsi la notion de péché originel. [...] https://cafephilo93.fr/philosophelumiere/30-thomas-hobbes-1588-1679

    Qu'en pensez-vous ? Est-ce vraiment utile à mon analyse ?
  • Jean-LucJean-Luc Modérateur
    Tant que tu te contentes de "l'état de nature", c'est utile. Oublie la part contractualiste qui est hors-sujet.
    Rousseau est un théoricien.
    Il ne se comporte pas comme les découvreurs, les explorateurs. Ce n'est pas un ethnologue.
    Dans L'Émile, il crée artificiellement un laboratoire pour faire évoluer sa créature enfantine.
  • D’accord! J'oublie la partie contractualiste qui commence dans mon extrait si j'ai bien compris à partir de la phrase "L’éducation doit suivre l’exemple de la nature".

    Montaigne n'est pas aussi un ethnologue [??] mais il a beaucoup calqué du témoignage de Jean de Léry qui a voyagé au Brésil. Au fait, pour l'édition des Essais de Montaigne, j'ai des doutes car il y en a eu trois. Mais j'opte plus pour celle-ci qui semble plus adéquate vu l'écriture ? :Michel De Montaigne - 01/01/1969 - Broché

    Garnier-Flammarion, Collection GF, N°210, 211, 212. Chronologie et Intro. par Alexandre MICHA.

    Voici les éditions courantes à votre disposition :

    1° cas : Garnier-Flammarion Essais (n° 210 livre I et n° 212 livre III)

    Livre de poche Essais ( n° 289 livre I et n° 291 livre III)

    Folio Essais (n° 1393 livre I et n° 1397 livre III)

    2° cas : classiques Hachette Essais, extraits

    3° cas : Livre de Poche, collection Classiques d'Aujourd'hui : Essais, Des Cannibales, Des Coches.

    Ellipses : Essais, Des Cannibales, Des Coches (texte ; à ne pas confondre avec l'étude sur ces textes éditée dans la collection Résonances du même éditeur).


    Sinon, Rousseau est en contradiction par rapport à son siècle :
    Rousseau développera plus tard la même thèse en 1750 dans son célèbre Discours sur les sciences et les arts à l’académie de Dijon. Il y affirme notamment que « les mœurs ont dégénéré chez tous les peuples du monde à mesure que le goût de l’étude et des lettres s’est étendu parmi eux. » Pour Rousseau, la civilisation a corrompu les peuples européens et fait leur malheur plutôt que leur bonheur. Une déclaration qui tranche alors radicalement avec la foi optimiste des Lumières en l'intellect et l'éducation, héritée des humanistes.

    À titre facultatif, quelle est la conception brièvement de Lévy-Strauss à ce sujet ?
  • Toutefois, il ne faut pas négliger que pour Rousseau, le sauvage n’est ni bon ni mauvais.
  • Le sauvage n'est donc pas l'homme parfait mais un modèle à suivre.
  • Jean-Luc a écrit:
    Ce philosophe se contente de théoriser sur l'homme primitif dans "l'état de nature". Sa position s'oppose frontalement au christianisme qui affirme le péché originel.
    Mais Rousseau a-t-il bien compris le péché originel ?
  • @quaero Est-ce que vous faites référence à sa vie personnelle ?
  • Jean-LucJean-Luc Modérateur
    @Gabrielle74

    La partie contractualiste est celle qui concerne le contrat social, la vie en société.
    En effet Rousseau considère l'homme primitif comme un individu, Émile est élevé tout seul.
    Pour Rousseau, c'est la vie en société qui pervertit.
    Rappelons que Jean-Jacques souffrait d'une maladie urinaire qui lui interdisait une vraie vie sociale. Petite cause, grands effets.
    De plus tous les ethnologues s'entendent pour affirmer après Aristote que l'homme est un animal social.
    Or la vie sociale conduit immanquablement à des règles pour garantir et conserver la paix dans la groupe dont l'individu est tributaire s'il veut survivre.
    Rousseau le solitaire, le persécuté est en effet en contradiction avec son siècle.

    Quant à Lévy-Strauss, il professe des idées voisines de celles de Rousseau. Dans Tristes Tropiques, il critique la civilisation occidentale, la compare aux cultures « primitives ». Il montre que le progrès technologique et le rationalisme conduisent à des régressions sur un autre plan. Notre civilisation a perdu ses racines mythiques, la relation essentielle avec l'environnement. Le prétendu progrès utilitariste a ravagé ces cultures méprisées.

    Pour revenir au mythe du bon sauvage, il faut regarder comment Voltaire l'utilise dans Candide ou L'Ingénu, comment Diderot en fait une arme dans Le Supplément au Voyage de Bougainville.

    @quaero
    Je ne sais comment comprendre ta question.
    Il est sûr que Rousseau s'est considéré comme victime d'une éducation chrétienne rigoriste. Faut-il voir là l'origine de sa révolte contre certaines affirmations dogmatiques ? De fait il a évolué vers un déisme sentimental (voir la profession de foi du vicaire savoyard).
  • @Jean-Luc Merci pour ces précisions !
    En effet, le passage dans Candide de Voltaire où Candide discourt avec Cacambo, montre bien la dialectique entre sauvage et non-sauvage. Mais par manque de temps, je ne pense pas pouvoir en parler et Montaigne m'a intéressée d'emblée parce qu'il opère un renversement dialectique entre l'homme civilisé et le sauvage.

    On m'a recommandé le texte De l'esclavage des Nègres de Montesquieu. Ce texte est beaucoup plus subtil !
  • Jean-LucJean-Luc Modérateur
    Mais ce texte n'a pas grand chose à voir avec le mythe.
    Dans Candide, je regarderais ce qui suit :
    CHAPITRE 16
    CE QUI ADVINT AUX DEUX VOYAGEURS AVEC DEUX FILLES, DEUX SINGES ET LES SAUVAGES NOMMÉS OREILLONS

    Candide et son valet furent au-delà des barrières, et personne ne savait encore dans le camp la mort du jésuite allemand. Le vigilant Cacambo avait eu soin de remplir sa valise de pain, de chocolat, de jambon, de fruits et de quelques mesures de vin. Ils s'enfoncèrent avec leurs chevaux andalous dans un pays inconnu, où ils ne découvrirent aucune route. Enfin une belle prairie entrecoupée de ruisseaux se présenta devant eux. Nos deux voyageurs font repaître leurs montures. Cacambo propose à son maître de manger, et lui en donne l'exemple. « Comment veux-tu, disait Candide, que je mange du jambon, quand j'ai tué le fils de monsieur le baron, et que je me vois condamné à ne revoir la belle Cunégonde de ma vie ? à quoi me servira de prolonger mes misérables jours, puisque je dois les traîner loin d'elle dans les remords et dans le désespoir ? et que dira le journal de Trévoux ? »

    En parlant ainsi, il ne laissait pas de manger. Le soleil se couchait. Les deux égarés entendirent quelques petits cris qui paraissaient poussés par des femmes. Ils ne savaient si ces cris étaient de douleur ou de joie ; mais ils se levèrent précipitamment avec cette inquiétude et cette alarme que tout inspire dans un pays inconnu. Ces clameurs partaient de deux filles toutes nues qui couraient légèrement au bord de la prairie, tandis que deux singes les suivaient en leur mordant les fesses. Candide fut touché de pitié ; il avait appris à tirer chez les Bulgares, et il aurait abattu une noisette dans un buisson sans toucher aux feuilles. Il prend son fusil espagnol à deux coups, tire, et tue les deux singes. « Dieu soit loué, mon cher Cacambo ! j'ai délivré d'un grand péril ces deux pauvres créatures ; si j'ai commis un péché en tuant un inquisiteur et un jésuite, je l'ai bien réparé en sauvant la vie à deux filles. Ce sont peut-être deux demoiselles de condition, et cette aventure nous peut procurer de très grands avantages dans le pays. »

    Il allait continuer, mais sa langue devint percluse quand il vit ces deux filles embrasser tendrement les deux singes, fondre en larmes sur leurs corps et remplir l'air des cris les plus douloureux. « Je ne m'attendais pas à tant de bonté d'âme », dit-il enfin à Cacambo ; lequel lui répliqua : « Vous avez fait là un beau chef-d'oeuvre, mon maître ; vous avez tué les deux amants de ces demoiselles. -- Leurs amants ! serait-il possible ? vous vous moquez de moi, Cacambo ; le moyen de vous croire ? -- Mon cher maître, reprit Cacambo, vous êtes toujours étonné de tout ; pourquoi trouvez-vous si étrange que dans quelques pays il y ait des singes qui obtiennent les bonnes grâces des dames ? Ils sont des quarts d'hommes, comme je suis un quart d'Espagnol. -- Hélas ! reprit Candide, je me souviens d'avoir entendu dire à maître Pangloss qu'autrefois pareils accidents étaient arrivés, et que ces mélanges avaient produit des égipans, des faunes, des satyres ; que plusieurs grands personnages de l'antiquité en avaient vu ; mais je prenais cela pour des fables. -- Vous devez être convaincu à présent, dit Cacambo, que c'est une vérité, et vous voyez comment en usent les personnes qui n'ont pas reçu une certaine éducation ; tout ce que je crains, c'est que ces dames ne nous fassent quelque méchante affaire. »

    Ces réflexions solides engagèrent Candide à quitter la prairie, et à s’enfoncer dans un bois. Il y soupa avec Cacambo ; et tous deux, après avoir maudit l’inquisiteur de Portugal, le gouverneur de Buénos-Ayres, et le baron, s’endormirent sur de la mousse. À leur réveil, ils sentirent qu’ils ne pouvaient remuer ; la raison en était que pendant la nuit les Oreillons, habitants du pays, à qui les deux dames les avaient dénoncés, les avaient garrottés avec des cordes d’écorces d’arbre. Ils étaient entourés d’une cinquantaine d’Oreillons tout nus, armés de flèches, de massues, et de haches de caillou : les uns faisaient bouillir une grande chaudière ; les autres préparaient des broches, et tous criaient : « C’est un jésuite, c’est un jésuite ! nous serons vengés, et nous ferons bonne chère ; mangeons du jésuite, mangeons du jésuite[2] ! »

    « Je vous l’avais bien dit, mon cher maître, s’écria tristement Cacambo, que ces deux filles nous joueraient d’un mauvais tour. » Candide, apercevant la chaudière et les broches, s’écria : « Nous allons certainement être rôtis ou bouillis. Ah ! que dirait maître Pangloss, s’il voyait comme la pure nature est faite ? Tout est bien ; soit, mais j’avoue qu’il est bien cruel d’avoir perdu Mlle Cunégonde et d’être mis à la broche par des Oreillons. » Cacambo ne perdait jamais la tête. « Ne désespérez de rien, dit-il au désolé Candide ; j’entends un peu le jargon de ces peuples, je vais leur parler. — Ne manquez pas, dit Candide, de leur représenter quelle est l’inhumanité affreuse de faire cuire des hommes, et combien cela est peu chrétien. »

    « Messieurs, dit Cacambo, vous comptez donc manger aujourd’hui un jésuite ? c’est très-bien fait ; rien n’est plus juste que de traiter ainsi ses ennemis. En effet le droit naturel nous enseigne à tuer notre prochain, et c’est ainsi qu’on en agit dans toute la terre. Si nous n’usons pas du droit de le manger, c’est que nous avons d’ailleurs de quoi faire bonne chère ; mais vous n’avez pas les mêmes ressources que nous : certainement il vaut mieux manger ses ennemis que d’abandonner aux corbeaux et aux corneilles le fruit de sa victoire. Mais, messieurs, vous ne voudriez pas manger vos amis. Vous croyez aller mettre un jésuite en broche, et c’est votre défenseur, c’est l’ennemi de vos ennemis que vous allez rôtir. Pour moi, je suis né dans votre pays ; monsieur que vous voyez est mon maître, et bien loin d’être jésuite, il vient de tuer un jésuite, il en porte les dépouilles ; voilà le sujet de votre méprise. Pour vérifier ce que je vous dis, prenez sa robe, portez-la à la première barrière du royaume de los padres ; informez-vous si mon maître n’a pas tué un officier jésuite. Il vous faudra peu de temps ; vous pourrez toujours nous manger, si vous trouvez que je vous ai menti. Mais, si je vous ai dit la vérité, vous connaissez trop les principes du droit public, les mœurs et les lois, pour ne nous pas faire grâce. »

    Les Oreillons trouvèrent ce discours très-raisonnable ; ils députèrent deux notables pour aller en diligence s’informer de la vérité ; les deux députés s’acquittèrent de leur commission en gens d’esprit, et revinrent bientôt apporter de bonnes nouvelles. Les Oreillons délièrent leurs deux prisonniers, leur firent toutes sortes de civilités, leur offrirent des filles, leur donnèrent des rafraîchissements, et les reconduisirent jusqu’aux confins de leurs États, en criant avec allégresse : « Il n’est point jésuite, il n’est point jésuite ! »

    Candide ne se lassait point d’admirer le sujet de sa délivrance. « Quel peuple ! disait-il, quels hommes ! quelles mœurs ! si je n’avais pas eu le bonheur de donner un grand coup d’épée au travers du corps du frère de Mlle Cunégonde, j’étais mangé sans rémission. Mais, après tout, la pure nature est bonne, puisque ces gens-ci, au lieu de me manger, m’ont fait mille honnêtetés dès qu’ils ont su que je n’étais pas jésuite. »
  • D'accord! Pourtant, quelqu'un me l'avait conseillé. Mais je pense qu'il s'agit du chapitre 18 et non du chapitre 16.
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