Le conditionnel passé 2e forme

dans Langue française
Quelle est la difference entre conditionnel passé 1-ère et 2-ème formes? A quoi servent-elles?
C'est plutot 2-ème forme qui m'interesse.
Merci
Katia, Moscou
C'est plutot 2-ème forme qui m'interesse.
Merci
Katia, Moscou
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Réponses
Le conditionnel passé deuxième forme (identique au subjonctif plus-que-parfait) est une variante littéraire et soutenue de la première forme.
* Certains maris tuent l’amant de leur femme. Qu’EUSSENT-ILS donc FAIT si elle n’avait pas été consentante ? (Decoly)
→ Qu’AURAIENT-ILS donc FAIT…
* J’EUSSE AIMÉ vivre auprès d’une jeune géante. (Baudelaire) → J’aurais…
* Si on leur avait offert de les faire inviter chez ces deux grandes dames, l’ancienne concierge et la cocotte EUSSENT dédaigneusement REFUSÉ. (Proust)
* Je FUSSE TOMBÉE s’il ne m’EÛT TENUE. (Christiane Rochefort) → Je serais… m’avait…
* Pourquoi les EUSSÉ-je LOUÉS d’être grands ? (Sartre)(Accent dû à l’inversion)
* Je n’EUSSE pas SONGÉ à exiger de lui de la pitié. (Mallet-Joris)
La forme est plus fréquente à la 3e personne du singulier.
* Il EÛT ÉTÉ plus normal qu’elle soit tombée sans. (Robbe-Grillet)
On fait parfois la confusion avec l’indicatif passé antérieur, dans les deux sens.
* Je me demandais parfois si je n’EUS pas DÛ courir vers lui. (Sagan) → n’eusse pas dû…
* Car ce titre, à peine l’eussé-je lu, je sautai sur mes pieds. (Vercors) → l’eus-je lu…
Dans une phrase conditionnelle ou hypothétique, on peut panacher les formes :
* Si tu AVAIS BOUGÉ ton pied, j’AURAIS VU la mer. (Rires ?)
→ Si tu AVAIS BOUGÉ ton pied, j’EUSSE VU la mer.
→ Si tu EUSSES BOUGÉ ton pied, j’AURAIS VU la mer.
→ Si tu EUSSES BOUGÉ ton pied, j’EUSSE VU la mer.
Bonne soirée !
Edy
Je pense que c'est là que le conditionnel passé 2è forme peut le mieux exprimer l'antériorité quand il est utilisé avec le 1ère forme, en remettant à l'honneur une tournure délicieusement surannée : « Eusses-tu bougé ton pied, j'aurais vu la mer. » (tu aurais bougé ton pied avant, j'aurais vu la mer après).
Je crois que c'est comme cela qu'il faut l'utiliser. Je suis par ailleurs réservé sur la formule "si tu eusses bougé" : je pense qu'il s'agit d'une confusion pour "si tu eus bougé ...", car si se construit avec l'indicatif ; mais l'assonnace n'est pas très heureuse dans [si tu hu] et que c'est ce qui peut expliquer l'erreur.
À propos de conditionnel passé 2è forme et de confusion, il me revient les paroles de Barbara "Ma plus belle histoire d'amour" :
ça, c'est pour le conditionnel : Barbara aurait pu écrire (eût pu écrire) " Il en aurait fallu bien d'autres ".
ça, c'est pour la confusion : Barbara aurait dû écrire " je l'eusse faite à genoux " [ou bien je l'aurais faite ... et non je l'avais faite ].
1 Vous avez été bien attentif, en relevant, dans cette chanson de Barbara, une conjugaison incorrecte. J’avais cité deux autres incorrections tierces dans ma réponse. Je suis donc perplexe quand vous dites que la forme « si tu eusses bougé » est peut-être fautive ; c’est au contraire « si tu eus bougé » qui est fautif.
Il est exact que le SI conditionnel doit être suivi de l’indicatif, mais vous verrez plus loin qu’à un autre niveau, cet indicatif plus-que-parfait est concurrencé par le subjonctif plus-que-parfait (conditionnel passé deuxième forme).
Cela dit, je ne peux pas être d’accord non plus sur le reste de votre message.
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* Si tu EUSSES BOUGÉ ton pied, j'aurais vu la mer.
L’antériorité que vous voyez (avec raison) dans le premier membre de phrase ne tient pas à la conjugaison mais à la sémantique. En effet :
a- Quant à la CONJUGAISON, les deux formes ressortissent à l’aspect accompli et achevé sans plus.
Je n’ai jamais lu nulle part que le conditionnel passé 2ème forme exprime mieux l’antériorité que l’indicatif plus-que-parfait. D’après ce que je sais et ce que je sens, les énoncés suivants sont équivalents sur le plan chronologique :
* Si tu AVAIS BOUGÉ ton pied, j’aurais vu la mer.
* Si tu EUSSES BOUGÉ ton pied, j’aurais vu la mer. (Dans quel salon est-on ?)
b- C’est en réalité la COHÉRENCE SÉMANTIQUE qui détermine ici l’antériorité. Exactement comme dans :
* Si je me fiance avec elle, je l’épouse.
* Je l’épouse si je me fiance avec elle.
* J’entre et je sors.
Dans ces trois exemples, la succession des événements ne tient pas à la forme verbale (nous avons uniquement l’indicatif présent) mais à la cohérence : on se fiance avant d’épouser et on entre avant de sortir.
Surabondamment : la condition est toujours ANTÉRIEURE au résultat qu’elle annonce.
C’est pareil pour votre exemple bienvenu :
* EUSSES-tu BOUGÉ ton pied, j’aurais vu la mer.
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Je suis obligé de confirmer LE PANACHAGE auquel vous semblez ne pas croire. Extraits :
GRAMMAIRE DU FRANÇAIS (ARRIVÉ ET CONSORTS) (page 137)
* Si j’AVAIS EU six semaines de vacances, j’AURAIS TERMINÉ mon roman.
C’est dans ce type de phrase que le plus-que-parfait du subjonctif peut se substituer NON SEULEMENT au conditionnel passé de la principale, MAIS ENCORE au plus-que-parfait de l’indicatif de la subordonnée.
* Si j’EUSSE EU six semaines de vacances, j’EUSSE TERMINÉ mon roman.
Ce type de structure caractérise le style comme affecté et archaïsant.
LA GRAMMAIRE (GARDES-TAMINES)(II, page 45)
* Si la voiture AVAIT AVANCÉ, elle m’AURAIT ÉCRASÉ.
Dans la langue soutenue, surtout écrite, on peut noter dans UNE des deux propositions OU dans les DEUX, le subjonctif plus-que-parfait pour évoquer une éventualité non réalisée.
* S’il EÛT VÉCU, il EÛT CRÉÉ de grandes choses.
* S’il AVAIT VÉCU, il EÛT CRÉÉ de grandes choses.
* S’il EÛT VÉCU, il AURAIT CRÉÉ de grandes choses.
GRAMMAIRE LAROUSSE (n°524)
En proposition subordonnée, le plus-que-parfait du subjonctif […] équivaut à un conditionnel passé dans un système hypothétique avec SI :
a) On le trouve dans la subordonnée ET la principale.
* Si elle EÛT ÉTÉ une pure construction géométrique, elle n’EÛT EU ni la force ni la durée que nous voyons, elle n’EÛT pas SURVÉCU à la ruine […] (Michelet)
b) Ou bien l’on a un conditionnel passé dans la principale et un plus-que-parfait du subjonctif dans la subordonnée.
* Si des gens d’un talent incontestable […] EUSSENT OSÉ s’affranchir des règles dont on a reconnu l’absurdité depuis Racine, ils nous AURAIENT DONNÉ mieux que Tibère. (Stendhal)
c) Ou encore, un plus-que-parfait de l’indicatif dans la subordonnée et un plus-que-parfait du subjonctif dans la principale.
* Si la nature AVAIT EU beaucoup plus d’esprit, elle EÛT FAIT l’économie du peu qu’elle nous en a donné. (Valéry)
GREVISSE (page 1687)
Lorsqu’il s’agit du passé [dans une subordonnée de condition], la langue littéraire admet le plus-que-parfait du subjonctif, SOIT À LA FOIS après SI ET pour le verbe principal, SOIT pour L’UN DES DEUX seulement.
* Je FUSSE TOMBÉE s’il ne m’EÛT TENUE. (Ch. Rochefort)
* Si j’AVAIS EU son adresse, je l’EUSSE MISE à la torture. (Idem)
* S’il FÛT VENU, je l’AURAIS SU.
Jusque dans le XVIe siècle, COMME EN LATIN, on employait SURTOUT l’imparfait du subjonctif à la fois pour le verbe principal ET pour le verbe de la conditionnelle, OU pour un des deux seulement. […]
Ce n’est que peu à peu que, dans ces sortes de phrases, le conditionnel temps, de formation ROMANE, a remplacé le subjonctif POUR LE VERBE PRINCIPAL, et que s’est introduit le tour :
* Si j’avais, je DONNERAIS.
Dans la proposition CONDITIONNELLE, l’indicatif imparfait et plus-que-parfait apparaissent dès le XIIe siècle.
L’IMPARFAIT du subjonctif est un archaïsme :
* Ne savons-nous pas qu’un homme est un homme et que si tout FÛT exactement mise à nu, personne n’aurait osé regarder personne ? (Valéry)
Gare aux migraines !
Cordialement,
Edy
Il n'en reste pas moins que certains exemples me laissent plus que perplexes : je me rends à tes arguments grammairiens (notamment sur la cohérence sémantique), mais je ne me vois pas utiliser certaines formes (p. ex. S’il fût venu, je l'aurais su. s'écrit, pour moi : S’il fut venu, je l'aurais su / je l'eusse su.).
En fait je suis surtout réticent au conditionnel après si qui, pour moi, se construit indéfectiblement avec l'indicatif [*] : je n'interdit à personne de le faire (puisque les grammairiens l'autorisent), mais je n'y arrive pas ...!
J'en suis au point où, le celèbre me paraît suspect, et que j'y verrais bien un passé antérieur (oh, la honte !). En tout cas, la référence indique assez ce que cette construction a de légèrement dépassé (ce qui d'habitude n'est pas pour me déplaire).
Comme dit le film : "Nobody's perfect !" Personne n'est parfait (excusez-moi d'insérer de l'anglais dans un forum de français !).
[*] On a assez gaussé La Guerre des boutons et le "Si j'aurais su j'aurais pas v'nu" de Tigibus !
Et que dire alors du
"je ne sache pas que.."
Pourriez-vous donner les valeurs du passé antérieur ?
Dans l'extrait suivant, tiré de "Un Amour de Swann", Proust semble l'utiliser comme un conditionnel, pouvez-vous le confirmer ?
Pour les locutions, il était insatiable de renseignements, car, leur supposant parfois un sens plus précis qu'elles n'ont, il eût désiré savoir ce qu'on voulait dire exactement par celles qu'il entendait le plus souvent employer (...)
Pour illustrer la réponse d'Anne, voir ce tableau de conjugaison.
Muriel
je l'eus faite est le passé antérieur. Effectivement, il faut un conditionnel passé : je l'aurais faite ou je l'eusse faite.
En versification, les syllabes finales en -e muet (rimes féminines) ne sont pas à prendre en compte.
Donc 7-7-9, et non 8-8-9.
Elle fut longue la route (8)
Mais je l'ai faite la route (8)
Celle-là qui menait jusqu'à vous
Et je ne suis pas parjure
Si ce soir (ici, un temps de prolongation du r) je vous jure
Que pour vous je l'ai faite à genoux.
Mais si "te" en fin de vers (chanté ou pas) était vraiment à considérer comme une syllabe de vers à part entière, rien n'empêcherait dans ce cas de considérer qu'il existe une rime suffisante entre "peti-te et "rou-te", par exemple... Or, ce n'est évidemment pas le cas.
J'ai pris bien soin de préciser : décompte des syllabes en versification.
Quand Brassens chante ces deux vers de Lamartine :
? Voilà les feuilles sans sè-veu
Qui tombent sur le gazon ?
on peut certes percevoir un rythme 8-7
Cependant, tout le poème de Lamartine n'est bien composé que d'heptasyllabes.
Un élève qui dirait en l'analysant qu'il se compose d'une alternance d'octosyllabes et d'heptasyllabes... Trouveriez-vous sa réponse correcte ?
Aurait-on pu écrire :
Il traita les roses mieux qu'il ne l'aurait fait pour n'importe quelle autre fleur.
Autrement dit, peut-on employer le conditionnel passé forme 1 (aurait fait) après un passé simple (il traita).
Merci.
Bien à vous,
Junayme
Message de Pierrot : Réponse d'Edy : Je ne peux que confirmer...
Si j'ai bien compris, la deuxième forme du conditionnel passé a la même apparence que le subjonctif plus-que-parfait, et on peut utiliser soit la première soit la deuxième forme dans des phrases hypothétiques. Mais dans l'extrait suivant du "Tour de Monde" de Jules Verne je ne comprends pas pourquoi l'auteur utilise toutes les deux dans la même phrase. Est-ce qu'il y a une différence avec un cas où on écrirait "serait parti" et "eussent dû"?
"Sans cette nécessité de réparer ses chaudières, le Carnatic fût parti à la date du 5 novembre, et les voyageurs pour le Japon auraient dû attendre pendant huit jours le départ du paquebot suivant."
Le contexte dans l'histoire est que Mr. Fogg a eu de la chance parce qu'il était en retard et aurait raté le bateau.
Veuillez pardonner mes erreurs d'écriture, s'il vous plaît.
Oliver