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Litote ou euphémisme ?

Bonjour,

Dans les Animaux malades de la peste, le renard emploie le terme "croquer" pour désigner le fait que le lion ait dévoré les moutons.
Ma prof nous a dit que c'était une litote. J'ai plutôt tendance à dire que c'est un euphémisme.
J'ai consulté les fiches du site mais j'aimerai une explication sur la nature de cette figure de style.

Merci

Réponses

  • Bonsoir.
    La litote, c'est le fait d'affirmer le moins pour suggérer le plus. Au lieu de dire "Il était paniqué", je peux dire : "Il n'était pas très à l'aise".
    Ici, je suis d'accord avec vous, on a plutôt un euphémisme, c'est-à-dire un terme plus doux que celui que l'on attendrait habituellement ou logiquement.
  • Bonsoir,
    dire à quelqu'un "Tu m'as un peu manqué" (pour suggérer que cette personne m'a en fait beaucoup manqué), est-ce une litote ou un euphémisme ?

    Merci.
  • Si la litote et l'euphémisme sont régulièrement confondus, c'est parce que ces deux figures procèdent toutes deux par atténuation de l'idée que l'on veut exprimer ; ici, la marque de cet affaiblissement est le quantificateur "un peu". C'est du point de vue de l'effet qu'elles se distinguent : tandis que l'euphémisme affaiblit une idée désagréable pour la rendre plus digeste, la litote cherche au contraire à la faire jaillir dans toute sa force, en la laissant deviner à travers son déguisement. Singularité du texte oblige, cette distinction peut-être difficile à faire.

    "Ah ! Sais-tu que tu m'as un peu manqué ?"
    On se doute que cet "un peu" dissimule un "beaucoup", on est donc du côté de la litote.

    "Oui, j'avoue, j'ai pris un peu de vin"
    On peut douter de l'objectivité de ce "un peu", plus probablement là pour adoucir l'effet de l'aveu : si tel est le cas, on est du côté de l'euphémisme.
  • C'est du point de vue de l'effet qu'elles se distinguent
    Oui, mais on peut aller plus loin et dire que c'est l'auditeur ou le lecteur qui en décident, car, avant de choisir entre litote et euphémisme, le refus d'entendre ce qui est dit ou de lire ce qui est écrit est un parti pris.
  • Oui, mais on peut aller plus loin et dire que c'est l'auditeur ou le lecteur qui en décident, car, avant de choisir entre litote et euphémisme, le refus d'entendre ce qui est dit ou de lire ce qui est écrit est un parti pris.
    Oui. Je dirais que le problème est similaire à celui de l'ironie, dont on peine à s'accorder sur les marques, et qui, régulièrement, n'est pas entendue. Ces tout le problème de ce genre de taxinomies, qui sont faites d'éléments a priori invariants mais qui n'existent en fait qu'au sein de discours singuliers. Cependant, pour ce qui est de la litote, je crois que certaines intonations et mélodies sont suffisamment significatives pour ne pas poser problème, sans parler du contexte et co-texte.
  • Fort de vos dires, je me suis aventuré à mon exercice favori, inventer un statut "facebookien" visant à la réflexion et la provocation, quand elle est perçue et comprise. Cependant, je me heurte à la logique. Ainsi, peut on dire, en objectivant les contextes, que cette idée est juste?

    "Si vous n'êtes pas trop bêtes (Euphémisme) alors
    je suis incroyablement stupide... (Litote)"

    Cette phrase devrait signifier si on suit mes indications entre parenthèses:

    "Si vous êtes complètement abrutis alors je suis on ne peut plus intelligent..."

    Cette traduction est elle juste?
  • Je ne pense pas que ce soit juste : "Si vous n'êtes pas trop bêtes" penche plutôt du côté de la litote (dire le moins pour suggérer le plus i.e. : "Si vous êtes intelligents") alors que la phrase
    "je suis incroyablement stupide" est à comprendre au sens littéral, à savoir : "je suis vraiment très stupide", sans atténuation de sens...

    Bonne journée
  • Le demandeur a posé cette question il y a bien longtemps ...
  • coffee a écrit:
    Bonjour,

    Dans les Animaux malades de la peste, le renard emploie le terme "croquer" pour désigner le fait que le lion ait dévoré les moutons.
    Ma prof nous a dit que c'était une litote. J'ai plutôt tendance à dire que c'est un euphémisme.
    J'ai consulté les fiches du site mais j'aimerai une explication sur la nature de cette figure de style.

    Merci

    Bonjour.
    Je pense que tu as raison. Mais au lieu d'employer le teme "croquer", c'est mieux de dire
    " caresser avec ses croques" ou "envoyer au Ciel" ?

    Le mot croquer est d'une atrocité un peu fort ?
  • Alors que le système scolaire est obsédé par la juste dénomination (ce que prouvent la plupart des interventions), à la vérité, dès qu'on a affaire à une figure de style, l'à-peu-près l'emporte.

    Premièrement : une figure en cache souvent une autre. Par exemple, dans "Ah ! Sais-tu que tu m'as un peu manqué ?" et "Oui, j'avoue, j'ai pris un peu de vin", on a clairement affaire à des antiphrases. En effet, comme le remarque justement URSUS, dans les deux cas, « un peu » veut dire « beaucoup », c'est-à-dire exactement son contraire! (pour une démonstration imagée de cette figure, voir BDstyle.ca). On peut pousser l'ironie encore plus loin avec un bel oxymore « un peu beaucoup », tout à fait courant dans la langue familière.

    Deuxièmement : toute figure de style reposant sur une distorsion de l'énoncé courant, normal, ordinaire, l'approximation est inévitable selon le contexte. La proposition de CHARLYMG

    "Si vous n'êtes pas trop bêtes (Euphémisme) alors
    je suis incroyablement stupide... (Litote)"
    Cette phrase devrait signifier si on suit mes indications entre parenthèses:
    "Si vous êtes complètement abrutis alors je suis on ne peut plus intelligent..."

    peut s'interpréter selon les contextes suivants :

    - les deux énoncés constituent des figures de style
    - un seul des énoncés constitue une figure de style, l'autre pas;
    - aucun des énoncés ne constitue une figure de style.

    Ce dernier cas surviendrait lors de l'opération manquée d'un commando où le chef se serait fourvoyé plus que les autres. On aurait alors affaire à un parallélisme (autre figure disponible sur le site gratuit bdstyle.ca).

    Bref, les discussions théoriques sont souvent stériles si elles ne s'ancrent pas dans le contexte. Et si on en tient compte, le propre de la figure de style étant de décaler la réalité, de ce décalage découle une certaine marge d'approximation.

    Ce qui ne veut pas dire - comme on l'entend trop souvent en milieu scolaire - que, par exemple, « un poème peut s'interpréter comme on veut »! JAMAIS! Comment peut-on imaginer qu'un écrivain, qui a ciselé sang et eau son texte pour le rendre conforme à ses sentiments et ses pensées, l'ait livré pour qu'on en pense ce qu'on veut! Même pour le cas limite des textes hermétiques, il ne saurait en être question.

    Le paradoxe des formulations littéraires, c'est qu'elle évoquent des idées, des sentiments très précis alors qu'elles distordent, décalent la réalité.

    Ce n'est pas seulement la litote qui « fait jaillir (le sens) dans toute sa force », c'est le propre de toute figure de style réussie!
  • Bonjour,

    Il faut relire le texte de Jean de La Fontaine pour trancher correctement entre litote et euphémisme.

    On pourrait, comme le fait remarquer tatuyaishikawa, que le mot "croquer" est assez provocateur pour ne pas dire choquant. Au lieu d'employer ce terme pour amoindrir l'effet (euphémisme), il eut été préférable d'utiliser une formule plus douce comme "caresser de ses crocs" ou "envoyer au Ciel".
    On conclurait alors que l'objectif de l'auteur était bien de provoquer l'effroi et pas d'adoucir la scène. La figure de style serait ici une litote. La Prof aurait donc bien raison.

    Mais... voici un extrait du texte :
    " - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
    Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
    Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
    Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
    En les croquant beaucoup d'honneur. "

    On voit qu'ici le Renard prend la défense du Lion et cherche à atténuer les fautes de celui-ci.
    Loin de vouloir accentuer l'effet dramatique sur l'auditoire par un mécanisme de minimisation inattendue, il cherche au contraire à amoindrir le crime qu'il décrit, pour rendre une pseudo-justice partisane.
    Il s'agit donc d'un euphémisme. Dommage pour la Prof...
  • Croquer, c'est un euphémisme ?
    Ma foi, cela dit bien ce que cela veut dire.
    Si de plus comme je l'imagine, le lion croque à belles dents, je ne vois pas en quoi croquer est plus doux que dévorer.
  • Jean-LucJean-Luc Modérateur
    Bien d'accord avec Laoshi.
    La Fontaine ne cherche pas à atténuer l'arbitraire léonin.
    Littré a écrit:
    Croquer
    Faire un bruit sec, en parlant des choses que l'on broie en mâchant. Les macarons croquent sous la dent.
    Manger des choses croquantes. Croquer des pralines.
    Par extension, dévorer. https://www.littre.org/definition/croquer
    En utilisant ce verbe sonore (onomatopée de croc), le fabuliste entend souligner la cruauté sadique du monarque.
  • Sur le coup je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas La Fontaine qui prend la parole, mais, sous sa plume : le Renard.
    Et pour quelle raison ce dernier souhaiterait-il accentuer la cruauté du Lion ? Il prend justement sa défense...
    Quant à l'auteur, son objectif n'est pas de défendre tel animal ou de blâmer tel autre, mais de montrer les travers d'une justice qui n'en est pas une.
    Pour ce qui est de l'intensité de l'horreur, précisément : "croquer" est moins fort que "dévorer". Croquer n'est pas plus barbare que manger. Dès lors qu'il s'agit de porter une nourriture à la bouche et de la réduire en bouillie avec les dents. Il arrive quotidiennement de croquer tel ou tel aliment, fruit ou autre, il est plus rare de dévorer son repas. Cela implique une faim prononcée et/ou un comportement frénétique quasi bestial.

    Comme le fait très justement remarquer Ursus, ce qui importe c'est le contexte et le co-texte.
    Chacun y verra et ressentira ce que bon lui semble, mon objectif n'est pas de convaincre, mais personnellement je reste attaché à la notion d'euphémisme pour cet exemple de Coffee.
  • Jean-LucJean-Luc Modérateur
    Bonjour,

    C'est toujours La Fontaine qui tient la plume. Nous avons là de sa part une délicatesse antiphrastique du plus bel effet. L'auteur des Fables sait manier l'ironie.
  • mais personnellement je reste attaché à la notion d'euphémisme
    Mon objectif n'est pas non plus de convaincre.
    Loin de voir dans l'utilisation du verbe croquer un euphémisme, j'y sens toute la délectation que put ressentir le croqueur à manger sa proie.
    Comme on croque une pomme (à condition d'aimer les pommes ) ou un morceau de chocolat. Mmmmm...scrontch...
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