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Diplôme national du brevet

Brevet 2013 – Sujet de l’épreuve de français

Diplôme national du brevet 2013

Épreuve de français (série générale)

Dans le sud de l’Italie, une vieille femme évoque son enfance, au cours de laquelle sa famille a tenté de fuir le pays pour s’installer à New York. Elle s’adresse à un personnage nommé don Salvatore. L’action se déroule dans la première moitié du XXe siècle.

Don Giorgio nous a menés jusqu’au port et nous avons embarqué sur un de ces paquebots construits pour emmener les crève-la-faim d’un point à un autre du globe, dans de grands soupirs de fioul1. Nous avons pris place sur le pont au milieu de nos semblables. Miséreux d’Europe au regard affamé. Familles entières ou gamins esseulés. Comme tous les autres, nous nous sommes tenus par la main pour ne pas nous perdre dans la foule. Comme tous les autres, la première nuit, nous n’avons pu trouver le sommeil, craignant que des mains vicieuses2 ne nous dérobent la couverture que nous nous partagions. Comme tous les autres, nous avons pleuré lorsque l’immense bateau a quitté la baie de Naples. « La vie commence », a murmuré Domenico. L’Italie disparaissait à vue d’œil. Comme tous les autres, nous nous sommes tournés vers l’Amérique, attendant le jour où les côtes seraient en vue, espérant, dans des rêves étranges, que tout là-bas soit différent, les couleurs, les odeurs, les lois, les hommes. Tout. Plus grand. Plus doux. Durant la traversée, nous restions agrippés des heures au parapet3, rêvant à ce que pouvait bien être ce continent où les crasseux comme nous étaient les bienvenus. Les jours étaient longs, mais cela importait peu, car les rêves que nous faisions avaient besoin d’heures entières pour se développer dans nos esprits. Les jours étaient longs mais nous les avons laissés couler avec bonheur puisque le monde commençait.

Un jour enfin, nous sommes entrés dans la baie de New York. Le paquebot se dirigeait lentement vers la petite île d’Ellis Island. La joie de ce jour, don Salvatore, je ne l’oublierai jamais. Nous dansions et criions. Une agitation frénétique avait pris possession du pont. Tout le monde voulait voir la terre nouvelle. Nous acclamions chaque chalutier de pêcheur que nous dépassions. Tous montraient du doigt les immeubles de Manhattan. Nous dévorions des yeux chaque détail de la côte.
Lorsque enfin le bateau fut à quai, nous descendîmes dans un brouhaha de joie et d’impatience. La foule emplit le grand hall de la petite île. Le monde entier était là. Nous entendions parler des langues que nous prîmes d’abord pour du milanais ou du romain4, mais nous dûmes ensuite convenir que ce qui se passait ici était bien plus vaste. Le monde entier nous entourait. Nous aurions pu nous sentir perdus. Nous étions étrangers. Nous ne comprenions rien. Mais un sentiment étrange nous envahit, don Salvatore. Nous avions la conviction que nous étions ici à notre place.


Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorta, 2004.

Notes
1 « Fioul » : carburant, dérivé du pétrole, qu’utilisent les bateaux.
2 « Mains vicieuses » : mains de voleur.
3 « Parapet » : barrière placée sur le bord du pont pour empêcher les passagers de tomber à l’eau.
4 « Du milanais ou du romain » : dialectes italiens.

Première partie : questions, réécriture et dictée (25 points)

Toutes vos réponses devront être rédigées.

Questions (15 points)

  1. « […] ce continent où les crasseux comme nous étaient les bienvenus. »
    1. De quel continent s’agit-il ? (0,5 point)
    2. Qui est désigné par l’expression « les crasseux » ? Que pensez-vous de cette formulation ? (1 point)
  2. En vous appuyant précisément sur le texte, expliquez ce que les personnages attendent de ce nouveau pays. (2 points)
    1. Par quels sentiments successifs passent les personnages aux différentes étapes du voyage ? Illustrez votre réponse par des éléments précis du texte. (3 points)
    2. Pourquoi le « sentiment » évoqué à la ligne 29 est-il qualifié d’« étrange » ? (1,5 point)
  3. « Le paquebot se dirigeait lentement vers la petite île d’Ellis Island. La joie de ce jour, don Salvatore, je ne l’oublierai jamais. Nous dansions et criions. »
    Identifiez les deux temps utilisés et justifiez l’emploi de chacun. (2 points)
  4. « Miséreux d’Europe au regard affamé. Familles entières ou gamins esseulés. » :
    1. Quelle remarque grammaticale pouvez-vous faire sur la construction de ces deux phrases ? (1 point)
    2. Quel effet produisent-elles sur le lecteur ? (1 point)
  5. Pensez-vous que Domenico a raison en murmurant « La vie commence. » ? Développez votre réponse en quelques lignes. Vous prendrez appui sur le texte et éventuellement votre culture personnelle. (3 points)

Réécriture (4 points)

Réécrivez les phrases suivantes, en remplaçant les pronoms de la première personne du pluriel (nous) par la troisième personne du pluriel (ils).
Vous ferez toutes les modifications nécessaires.
« Comme tous les autres, nous nous sommes tenus par la main pour ne pas nous perdre dans la foule. Comme tous les autres, la première nuit, nous n’avons pu trouver le sommeil, craignant que des mains vicieuses ne nous dérobent la couverture que nous nous partagions. »

Dictée (6 points)

Tous les émigrants n’étaient pas obligés de passer par Ellis Island. Ceux qui avaient suffisamment d’argent pour voyager en première ou en deuxième classe étaient rapidement inspectés à bord par un médecin et un officier d’état civil et débarquaient sans problèmes. Le gouvernement fédéral estimait que ces émigrants auraient de quoi subvenir à leurs besoins et ne risqueraient pas d’être à la charge de l’État. Les émigrants qui devaient passer par Ellis étaient ceux qui voyageaient en troisième classe […] dans de grands dortoirs non seulement sans fenêtres mais pratiquement sans aération et sans lumière, où deux mille passagers s’entassaient sur des paillasses superposées.


Georges Perec, Ellis Island, 1980.

Deuxième partie : rédaction (15 points)

Vous traiterez au choix l’un des deux sujets de rédaction suivants. Vous écrirez une ligne sur deux. L’utilisation d’un dictionnaire de langue française est autorisée.

Sujet 1

Imaginez la suite de ce texte, dans laquelle la narratrice raconte les premiers jours des personnages à New-York.
Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).

Sujet 2

Le monde d’aujourd’hui laisse-t-il encore place, selon vous, à un ailleurs qui fasse rêver ?
Vous donnerez votre réponse dans un développement argumenté et organisé.
Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).