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Bac français 2019 (Liban) – Corrigé de la question

Bac français 2019 (Liban)

Corrigé de la question (séries S et ES)

Objet d’étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.

Corpus :

  • Texte A : Joachim Du Bellay, Les Regrets, sonnet IX, 1558.
  • Texte B : Marceline Desbordes-Valmore, Romances, « L’Exilé », 1819.
  • Texte C : Victor Hugo, Les Quatre Vents de l’esprit, « Exil », 1881.
  • Texte D : Gaël Faye et Francis Muhire (paroles), Pili Pili sur un croissant au beurre, « Petit pays », 2013.

Joachim Du Bellay, Les Regrets, sonnet IX, 1558

[Dans le recueil Les Regrets, Joachim Du Bellay, poète de la Pléiade, évoque son souvenir de la France pendant ses années passées à Rome.]

Joachim du Bellay France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores1, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres2 et les bois.

Si tu m’as pour enfant avoué3 quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle4.
Mais nul, sinon Écho5, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine,
Je sens venir l’hiver, de quoi la froide haleine
D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las6, tes autres agneaux n’ont faute de7 pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau8.

Notes

1 Ores : désormais.
2 Antres : excavations, grottes, repaires naturels.
3 Avoué : reconnu.
4 Querelle : ici, plainte.
5 Écho : nymphe des forêts et des montagnes dans la mythologie grecque, condamnée à répéter les derniers mots des phrases qu’elle entend.
6 Las : hélas.
7 N’ont faute de : ne manquent pas de.
8 Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau : je ne suis pourtant pas le pire du troupeau.

Marceline Desbordes-Valmore, Romances, « L’Exilé », 1819

[Marceline Desbordes-Valmore est une figure singulière du romantisme français. Dans ce poème, elle fait d’abord entendre la voix d’un exilé, auquel elle répond en offrant une autre vision de l’exil.]

   « Oui, je le sais, voilà des fleurs,
Des vallons, des ruisseaux, des prés et des feuillages ;
Mais une onde1 plus pure et de plus verts ombrages
Enchantent ma pensée, et me coûtent des pleurs.

   Oui, je le vois, ces frais zéphyrs2
Caressent en jouant les naïves bergères ;
Mais d’un zéphyr plus doux les haleines légères
Attirent loin de moi mon âme et mes soupirs !

   Ah ! je le sens ! c’est que mon coeur,
Las3 d’envier ces bois, ces fleurs, cette prairie,
Demande, en gémissant, des fleurs à ma patrie !
Ici rien n’est à moi, si ce n’est ma douleur. »

   Triste exilé, voilà ton sort !
La plainte de l’écho m’a révélé ta peine.
Comme un oiseau captif, tu chantes dans ta chaîne ;
Comme un oiseau blessé, j’y joins un cri de mort !

   Goûte l’espoir silencieux !
Tu reverras un jour le sol qui te rappelle ;
Mais rien ne doit changer ma douleur éternelle :
Mon exil est le monde… et mon espoir aux cieux.

Notes

1 Onde : eau.
2 Zéphyrs : vents.
3 Las : fatigué.

Victor Hugo, Les Quatre Vents de l’esprit, « Exil », 1881

[Lorsqu’il écrit ce poème, Victor Hugo est en exil sur l’île de Guernesey depuis le coup d’État de Napoléon III en 1851.]

Exil

Victor Hugo Si je pouvais voir, ô patrie,
Tes amandiers et tes lilas,
Et fouler ton herbe fleurie,
   Hélas !

Si je pouvais, – mais, ô mon père,
Ô ma mère, je ne peux pas, –
Prendre pour chevet votre pierre,
   Hélas !

Dans le froid cercueil qui vous gêne,
Si je pouvais vous parler bas,
Mon frère Abel, mon frère Eugène,
   Hélas !

Si je pouvais, ô ma colombe1,
Et toi, mère, qui t’envolas,
M’agenouiller sur votre tombe,
   Hélas !

Oh ! vers l’étoile solitaire,
Comme je lèverais les bras !
Comme je baiserais la terre,
   Hélas !

Loin de vous, ô morts que je pleure,
Des flots noirs j’écoute le glas2,
Je voudrais fuir, mais je demeure,
   Hélas !

Pourtant le sort, caché dans l’ombre,
Se trompe si, comptant mes pas,
Il croit que le vieux marcheur sombre
   Est las3.

18 juillet 1870

Notes

1 Victor Hugo fait ici allusion à sa fille Léopoldine, morte prématurément.
2 Glas : tintement des cloches d’église qui annonce une mort ou un enterrement.
3 Las : fatigué ; découragé.

Gaël Faye et Francis Muhire (paroles), Pili Pili sur un croissant au beurre, « Petit pays », 2013

[Gaël Faye est un écrivain franco-rwandais, né au Burundi. Il a quitté son pays à l’âge de treize ans pour fuir la guerre civile. Avant de connaître le succès avec son roman Petit Pays paru en 2016, il a co-écrit une chanson dans laquelle il évoque son pays natal. En voici un extrait.]

Petit Pays

Refrain : Gahugu gatoyi
Gahugu kaniniya
Warapfunywe ntiwapfuye
Waragowe ntiwagoka
Gahugu gatoyi
Gahugu kaniniya1

Une feuille et un stylo apaisent mes délires d’insomniaque
Loin dans mon exil petit pays d’Afrique des Grands Lacs
Remémorer ma vie naguère avant la guerre
Trimant pour me rappeler mes sensations sans rapatriement
Petit pays, je t’envoie cette carte postale
Ma rose mon pétale, mon cristal, ma terre natale
Ça fait longtemps les jardins de bougainvilliers2
Souvenirs renfermés dans la poussière d’un bouquin plié
Sous le soleil les toits de tôles scintillent
Les paysans défrichent la terre en mettant le feu sur des brindilles
Voyez mon existence avait bien commencé
J’aimerais recommencer depuis le début, mais tu sais comment c’est !
Et nous voilà perdus dans les rues de Saint-Denis3
Avant qu’on soit séniles4 on ira vivre à Gisenyi5
On fera trembler le sol, comme les grondements de nos volcans
Alors petit pays, loin de la guerre on s’envole quand ?

Refrain

Petit bout d’Afrique perché en altitude
Je doute de mes amours tu resteras ma certitude
Réputation recouverte d’un linceul
Petit pays, pendant trois mois tout le monde t’a laissé seul
J’avoue, j’ai plaidé coupable de vous haïr
Quand tous les projecteurs étaient tournés vers le Zaïre
Il fallait reconstruire mon pays sur des ossements
Des fosses communes et puis tous nos cauchemars incessants
Petit pays, te faire sourire sera ma rédemption6
Je t’offrirai ma vie à commencer par cette chanson
L’écriture m’a soigné quand je partais en vrille
Seulement laisse-moi pleurer quand arrivera ce maudit mois d’avril7
Tu m’as appris le pardon pour que je fasse peau neuve
Petit pays dans l’ombre le diable continue ses manoeuvres
Tu veux vivre malgré les cauchemars qui te hantent
Je suis semence d’exil d’un résidu d’étoile filante

Notes

1 Le refrain est écrit en kirundi, l’une des langues du Burundi. On peut le traduire ainsi : « Petit pays / Grand pays / Tu as été froissé mais tu n’es pas mort / Tu as souffert, mais la souffrance ne t’a pas abattu / Petit pays / Grand pays ».
2 Bougainvillier : arbuste aux fleurs de couleur vive.
3 Saint-Denis : ville de la banlieue parisienne.
4 Séniles : affaiblis par la vieillesse.
5 Gisenyi : ville du Burundi.
6 Ma rédemption : une manière de me racheter et de me sauver.
7 Ce maudit mois d’avril : c’est en avril 1994 qu’a éclaté la guerre civile au Rwanda, déclenchant une série de massacres.

Vous répondrez à la question suivante (4 points) : quels sentiments les textes du corpus associent-ils à l’expérience de l’exil ?

Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Depuis l’Antiquité et l’Odyssée, l’éloignement du pays natal, notamment l’exil, a souvent inspiré les poètes. Les textes du corpus, qui s’étalent de la Renaissance au XXIe siècle, ont exploité ce thème : le sonnet IX de Joachim Du Bellay tiré des Regrets est de 1558 ; « L’Exilé » de Marceline Desbordes-Valmore, dans Romances, a été publié en 1819 ; Victor Hugo a fait paraître « Exil » dans Les Quatre Vents de l’esprit en 1881 ; enfin Gaël Faye et Francis Muhire ont produit « Petit pays » dans Pili Pili sur un croissant au beurre en 2013.
Quels sentiments ces textes associent-ils donc à cette expérience de l’exil ?

Tous les écrivains éprouvent intimement une souffrance de se trouver loin de leur terre natale. Du Bellay éprouve une « triste querelle », Marceline fait « gémir » son exilé, Hugo profère des « Hélas » épiphoriques tandis que Gaël Faye « pleure » au souvenir du génocide rwandais.

Pourtant cette tristesse élégiaque n’a pas les mêmes causes ni les mêmes effets. Du Bellay se plaint d’être mal-aimé par sa mère, en fait il est déçu du manque de reconnaissance de son génie littéraire ce qui le conduit à jalouser ses confrères. Marceline Desbordes-Valmore ne cherche pas la consolation, et même, en véritable romantique, cultive sa « douleur éternelle » : elle se voit comme exilée du paradis originel dans un monde sans amour dont seule la mort viendra la délivrer. Hugo regrette de ne plus pouvoir se recueillir auprès des êtres chers qui ne sont plus, mais c’est pour finalement mettre en lumière son entêtement de vieux combattant que l’usurpateur Napoléon le petit n’aura pas réussi à abattre par un bannissement injuste. Quant à Gaël Faye, sa nostalgie du « Petit pays », appellation affectueuse du Rwanda, cache mal la culpabilité d’avoir fui ses responsabilités, et surtout d’avoir éprouvé sa peureuse impuissance devant l’horreur génocidaire alors qu’il avait treize ans. Comme pour Hugo, l’exil est chez lui source de courage et même d’optimisme.

Ces quatre textes offrent des variations autour de la terre-mère, source de vie créant une empreinte ineffaçable dans notre inconscient par son biotope et l’inscription dans une communauté humaine qui nous a accueillis. Mais cette terre est aussi évocatrice de la mort, le lieu des chères sépultures ou des affreux charniers. Dans tous les cas, elle invite à la méditation sur les liens qui nous unissent à elle et nous incite à l’action conséquente correctrice. Privés de son contact, l’enfant ou l’adulte peuvent devenir plus humains.

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