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Bac français 2019 – Corrigé de la dissertation

Bac de français 2019

Corrigé de la dissertation (séries S et ES)

« Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… », écrit Anna de Noailles (texte B, dernier vers). Pensez-vous que ce vers puisse définir l’attitude du poète face au monde ?

Vous vous appuierez sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe ainsi que sur vos lectures personnelles.

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Fiche méthode : la dissertation

Introduction :

La contemplation des spectacles de la nature a souvent inspiré les poètes. Dans le romantisme notamment, les auteurs y ont recherché de secrètes harmonies avec leurs états d’âme. Anna de Noailles proposait d’ailleurs, dans « La Vie profonde » issu du recueil Le Cœur innombrable, d’« Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… » pour définir son attitude de poétesse face au monde.
Ce comportement méditatif, détaché de la réalité immédiate, ce repli dans la « tour d’ivoire » peut-il être considéré comme fondamental pour la création poétique ?
Certes l’on constate généralement que le poète se situe en retrait de la réalité, mais certains écrivains, depuis la Renaissance, ont voulu s’impliquer directement dans l’actualité de leur temps. Qui plus est, dans tous les cas, cet écart ou ce rapprochement entre mondes extérieur et intérieur a produit le lyrisme si caractéristique de la poésie.

Développement :

1. Le poète en retrait

Généralement, inspiré par le modèle antique d’une nature habitée par les nymphes, le poète la considère avec le regard respectueux dû au sacré.

a) L’isolement amoureux

C’est souvent dans ce lieu préservé ou consolateur qu’il veut abriter ses amours. Il y recherche la solitude pour se consacrer à l’aimée ou se recueillir sur ses sentiments. Vigny, dans « La Maison du berger » invite Éva à venir le rejoindre dans la solitude de la montagne pour « rêver » tout à loisir à leur passion. C’est aussi la grande tradition issue de l’Art d’aimer d’Ovide où la nature est le refuge à la peine de cœur. Lamartine, dans « Le Lac », vient chercher consolation à la perte d’Elvire. De même il laisse transparaître dans « La Solitude » le regret possible de ne plus être aimé.

b) Le rêveur, le philosophe

Le poète peut suivre aussi les traces des ermites en prenant du recul par rapport à la société des hommes pour méditer ou réfléchir à sa condition mortelle.
Racan, dans les « Stances à Tirsis » développe ce thème classique de la retraite :

Agréable désert, séjour de l’innocence,
Où loin des vanités de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

Jean de Sponde contemple « le dormant de ce fleuve / Qui traîne lentement les ondes dans la mer », il y voit l’image de nos vies qui s’écoulent trop facilement et sans relief vers leur fin.

Vigny déclame sa profession de foi stoïcienne dans les bois désolés de « La Mort du Loup » :
« Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche ».

Victor Hugo, à la fin des Contemplations, suivant la tradition romantique allemande qui avait privilégié le rêve, nous livre avec « Ce que dit la bouche d’ombre » une vaticination sur la métempsychose, animant de manière épique le règne minéral, végétal et animal.
« Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
Tout parle ? Écoute bien. C’est que vents, ondes, flammes
Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! Tout est plein d’âmes. »

Le poète est alors celui qui prête sa voix inspirée à ce qui balbutie en silence.

c) Le voleur de feu, le mysticisme

Dans la continuité de ce qui précède, avec Baudelaire, le spectacle de la nature n’est plus seulement l’occasion d’une rêverie sur la condition humaine ou sur les harmonies entre le paysage et le cœur de l’homme, mais l’occasion d’inventer « une sorcellerie évocatoire » pour percer les mystères de la réalité. Dans « Correspondances », au moyen des équivalences fournies par les synesthésies, il veut entrevoir ce qui se situe au-delà des simulacres trompeurs fournis par nos sens :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

À sa suite, Rimbaud déclare que « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Grâce à cette folle démarche, le poète devient « voleur de feu » prométhéen pour ramener quelques parcelles de beauté de son voyage intrusif de l’autre côté des apparences.
Les symbolistes qui conçoivent le monde comme une réalité spirituelle ont voulu rêver moins dangereusement en trouvant de nouveaux moyens d’expression pour dépasser la simple représentation réaliste. Ils ont utilisé des images et des analogies pour créer des passerelles entre le monde et leurs états d’âme ou leurs réflexions abstraites. On retrouve ces élans mystiques chez Anna de Noailles qui veut, dans « La Vie profonde », avec cette immersion affective dans le milieu naturel minéral et végétal, « S’élever au réel et pencher au mystère ».

Enfin il faudrait signaler la tentative hermétique de Mallarmé, sorte de mysticisme paradoxalement très intellectuel, qui a essayé de substituer à l’univocité du langage positiviste un réseau de connotations conceptuelles pour « chercher, induisant de symbole en symbole, la raison de la nature et de la vie. »

Ces tentatives poétiques d’ « être au monde » selon l’expression d’Heidegger ont moins été une expérience sensible qu’une voie de connaissance.

Le poète impliqué qui veut changer le monde

Si certains poètes se sont tenus soigneusement à l’écart des contingences réalistes, un bon nombre, même parmi ceux qui « s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique », selon les propos de Baudelaire, ont souhaité s’impliquer dans l’actualité brûlante de leur époque.

a) Le mage, le guide romantique

Dans la première moitié du XIXe siècle, les romantiques ont cultivé le sentiment de la nature. Cependant quelques-uns parmi eux, tout en gardant une certaine hauteur de vue, se sont crus obligés d’éclairer la conscience de leurs contemporains. Il s’agit de Lamartine, Vigny et surtout Hugo.

Lamartine dans son exhortation « À Némésis » défend la pureté de l’inspiration au service de la vérité et de l’honnêteté, il promeut un lyrisme engagé qui repose sur la foi religieuse et l’idéal de liberté. Quand la patrie est en danger, le devoir du poète est de renoncer à la futilité de son art :
« Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle,
S’il n’a l’âme et la lyre et les yeux de Néron ».

Vigny, dans Les Poèmes antiques et modernes, glorifie « Moïse », guide inspiré du peuple hébreu et symbole du poète moderne. Hugo, dans Les Rayons et les ombres, explicite et théorise la « Fonction du poète », rôle prophétique de celui qui cherche à discerner l’avenir :
« Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs
ll est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs. »

b) De la poésie épique traditionnelle à la poésie épique progressiste

Depuis l’Antiquité, la poésie épique avait rêvé l’ordre du monde en rattachant au domaine des dieux l’histoire des peuples et de leurs dirigeants. Dans L’Énéide largement inspirée de L’Iliade, Virgile cherche à rapporter les origines du peuple romain et à fonder la légitimité d’Auguste et de la famille des Julii. On retrouve cet infléchissement du récit mythique à des fins politiques dans La Franciade de Ronsard ou L’Henriade de Voltaire. Plus intéressant serait le cas de La Chanson de Roland. Ce poème médiéval transforme une défaite infligée aux armées de Charlemagne par les Basques, après le siège de leur capitale Pampelune, en un affrontement entre chrétiens et Maures. Il se trouve que le monastère de Roncevaux se trouve sur la principale voie empruntée par les pèlerins vers Saint Jacques de Compostelle et que la route vers le tombeau du saint Matamore (tueur de Maures) est menacée par les royaumes berbères. Voilà sans doute une des raisons de réécrire l’histoire pour occuper les soirées des marcheurs, leur donner du courage et solliciter leurs dons.
Au XIXe siècle, sous la plume de Victor Hugo, se produit un infléchissement caractéristique. Si le registre épique est exploité de manière traditionnelle dans Dieu ou La Fin de Satan, le poète évacue peu à peu le surnaturel au profit d’une vision progressiste de l’histoire humaine. La Légende des siècles est cette entreprise où, en rêve, le poète contemple le mur des siècles sur lequel apparaît la longue procession des scènes de l’histoire humaine, passée, présente et future. Cette réécriture définie dans la Préface de la Première Série comme « de l’histoire écoutée aux portes de la légende » cherche à discerner les progrès de l’esprit humain accédant des ténèbres à la lumière.

c) Le dénonciateur, la satire, la polémique

Si les auteurs de la poésie épique traditionnelle ont gardé le plus souvent une certaine hauteur par rapport au sujet traité, d’autres depuis la Renaissance n’ont pas hésité à entrer dans l’arène. Leur art a cherché à rendre compte sans détour des horreurs ou des laideurs de leur époque. Ainsi, Agrippa d’Aubigné a dénoncé les atrocités des guerres de religion dans Les Tragiques. Boileau se plaint de manière triviale et grotesque des « Embarras de Paris ». Voltaire dans le « Poème sur le désastre de Lisbonne » exprime de manière pathétique son émotion devant le cataclysme qui a détruit la ville. Il distille aussi ses doutes au sujet des philosophies optimistes de Leibniz et Wolff. Hugo, dans « Melancholia » dépeint l’horreur des injustices qui affectent la société de son temps : travail des enfants, prostitution, conditions inhumaines… Dans Les Châtiments, il satirise avec mépris l’usurpateur Napoléon III. Dans une lettre adressée à l’éditeur Pierre-Jules Hetzel, datée du 7 septembre 1852 il écrit d’ailleurs : « J’ai pensé qu’il m’était impossible de publier en ce moment un volume de poésie pure. Cela ferait l’effet d’un désarmement, et je suis plus armé et plus combattant que jamais ».

Au XXe siècle, la poésie « engagée » semble s’être édulcorée et être revenue à une expression indirecte plus affective si l’on en juge à partir de « La Rose et le réséda » d’Aragon, « Liberté » d’Éluard ou « Les Fusillés de Chateaubriand » de Cadou. La violence paraît réservée à la chanson.

Dans le face à face entre monde extérieur et intérieur, le poète communique toujours son monde intérieur.

Le poète, qu’il rêve ou affronte le monde, lève toujours un coin du voile sur son univers intérieur touché par ce qu’il regarde ou contemple.

a) Le regard nouveau

Chaque poète cherche au travers de sa sensibilité, de sa culture, des modes esthétiques de son temps à nous partager ce qu’il voit, ce qu’il comprend et ressent. Depuis la Renaissance, la mythologie grecque et latine a irrigué la vision de la nature. On peut penser au « Songe de Vaux » de La Fontaine qui fait l’éloge des jardins à la française. Avec le romantisme est arrivée une autre perception : loin de la ville mensongère, le poète entre en contact avec le divin, dans ces lieux sauvages l’homme peut considérer sa destinée, son désir d’absolu insatisfait. Avec Nerval et Baudelaire s’ouvre la voie de la poésie visionnaire, mais chez le second, paradoxalement aussi, la laideur ou la beauté bizarre réintègrent l’univers poétique. La grande ville et l’environnement industriel deviennent des sujets possibles. Apollinaire ouvre l’ère de la modernité en enchantant la réalité la plus commune. Les surréalistes explorent les arcanes du monde intérieur de l’inconscient… Tous les grands poètes offrent un regard original qui est leur marque de fabrique.

b) Le lyrisme ou expression des sentiments

Ce regard nouveau est accompagné de l’expression plus ou moins appuyée de sentiments ou lyrisme. Lamartine dans « La Solitude » nous confie sa tristesse et son désenchantement, marques du lyrisme élégiaque. Anna de Noailles et Andrée Chedid nous partagent leur étonnement devant la vitalité et la richesse de la nature. Chaque fois que le poète « rêve », trois familles de sentiments peuvent apparaître principalement : joie, tristesse et peur. Mais si le poète se confronte à la réalité, nous découvrons d’autres catégories : la colère, l’indignation, l’enthousiasme.

c) La jouissance esthétique

Enfin il existe une autre espèce de réaction que peut nous livrer le poète, elle est moins sensible, elle se rattache à l’admiration. Il s’agit de la jouissance esthétique. Cultivée pour elle-même, en dehors de toute affectivité, elle a donné « l’art pour l’art ». Nous en retrouvons des traces dans tous les textes du corpus. Tous les auteurs éprouvent une délectation devant le paysage qu’ils contemplent. Lamartine, malgré sa tristesse, apprécie ces « doux tableaux », Anna de Noailles a « l’âme qui rêve », Andrée Chedid partage avec son aînée des « rêves tenaces » tandis qu’Yves Bonnefoy évoque lui aussi le « rêve » du « peintre » et l’« alchimie » des jeux de lumière. Cette jouissance a même pu conduire les auteurs romantiques à cultiver leur souffrance pour en tirer du plaisir. N’est-il pas surprenant de voir Anna de Noailles écrire « Et goûter chaudement la joie et la douleur » ? Quant à Musset, il proclamait dans « Le Pélican » :
« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux.
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots ».

Conclusion :

Les poètes ont pu chercher à se retirer du monde pour se consacrer à leur amour ou pour guérir une peine de cœur. Dans la solitude ils ont contemplé l’ordre du monde et leur condition mortelle avant que certains, à la suite de Nerval et Baudelaire, aient voulu percer les mystères de la nature. D’autres ont trouvé indigne de leur art de se réfugier dans leur « tour d’ivoire », aussi se sont-ils déclarés guide, mage ou prophète ; d’autres ont usé du registre épique pour justifier l’ordre en place ou pour le faire changer. Quelques-uns ont quitté les « provinces fleuries » pour emprunter la voie de la satire triviale ou de la dénonciation polémique. Dans ce face-à-face avec le monde, qu’il soit mis à distance ou assumé, les poètes ont levé plus ou moins un coin du voile sur leur univers intérieur. Ils ont fait preuve d’un regard original, ils nous ont communiqué leurs émotions et sentiments jusqu’à nous partager une jouissance esthétique, fondements de toute vraie poésie si elle veut nous toucher.
Aujourd’hui quand la technique nous permet d’ « Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… », de nous retirer facilement dans un univers virtuel et factice, dans une solitude stérile, attendons-nous toujours de la poésie qu’elle nous communique ce surplus d’humanité qui fait cruellement défaut à notre monde post-moderne ?

Dissertations sur la poésie »
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