Aller au contenu
Le bac de français 🏷️ Annales et corrigés 🏷️ Sujets et corrigés du bac français 2019

Le sens d’une pièce de théâtre repose-t-il uniquement sur les mots ?

Bac de français 2019

Corrigé de la dissertation (série L)

Le sens d’une pièce de théâtre et le plaisir qu’elle nous donne reposent-ils uniquement sur les mots ?

Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe ainsi que sur votre expérience de spectateur.

Fiche méthode : la dissertation
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Sous forme de plan détaillé

Introduction

Pourquoi allons-nous au théâtre si ce n’est pour espérer prendre du plaisir à la représentation ? Quelle est la source de cette jouissance attendue ? La plupart du temps, un bon sujet ; parfois simplement l’attrait d’un nom d’auteur, d’acteur ou de dramaturge. Quelles sont donc les parts respectives du texte et de la mise en scène pour savourer pleinement la bonne compréhension des intentions de l’auteur ?
Certes une bonne pièce de théâtre, c’est d’abord un bon texte, mais d’autres éléments sont nécessaires à sa compréhension et au plaisir qu’elle peut nous procurer. En dernier ressort, le sens et le plaisir passent essentiellement par une bonne diction et un jeu adapté aux intentions de l’auteur.

Développement

1 – Une bonne pièce de théâtre, c’est d’abord un bon texte.

a. Le texte est indispensable à la compréhension du sujet.
  • Seuls les mots donnent les informations précises,

Molière introduit la scène par une référence à une commande de M. Jourdain : « Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air qu’il vient de composer pour la sérénade que vous m’avez demandée. »
Beaumarchais indique par les propos de Figaro les mouvements de Rosine invisible « Derrière sa jalousie ».

  • expriment les nuances,

Molière peut manifester la flagornerie et la suffisance du maître de musique par l’accumulation des termes laudatifs et le langage ampoulé.
Beaumarchais place la raillerie dans les propos de Figaro.

  • nous donnent accès à l’intériorité des personnages, notons en particulier le rôle des monologues.

Beaumarchais met dans la bouche du comte le manque d’assurance et l’appréhension.
Victor Hugo fait exprimer à la reine sa tristesse et sa solitude.

b. Le texte sert notre plaisir.
  • Le comique de mots

Molière souligne la balourdise de son Bourgeois-gentilhomme : « Donnez-moi ma robe pour mieux entendre… »
Beaumarchais raille l’aveuglement amoureux : « en amour, le cœur n’est pas difficile sur les productions de l’esprit… »

  • Langage poétique chez Racine,

Brûlant dans Phèdre :

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler.

Incantatoire dans Andromaque :

Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle ;
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
Entrant à la lueur de nos palais brûlants ;
Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et de sang tout couvert échauffant le carnage ;
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants ;

  • Art de la formule chez Corneille, Hugo

« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
« Aux âmes bien nées,
La valeur n’attend point le nombre des années. » Le Cid

« Aujourd’hui je suis reine. Autrefois, j’étais libre. »
« Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
« Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
« Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ; » Ruy Blas

2 – Mais d’autres éléments sont nécessaires à la compréhension de la pièce et au plaisir qu’elle peut nous procurer.

a. Le jeu de l’acteur vient renforcer ou contredire ses propos.

L’ignorante sottise de M. Jourdain est renforcée lorsqu’il change d’attitude à l’égard du port de sa robe de chambre.
L’apparente déférence de Figaro à l’égard de son maître est démentie par sa raillerie ironique : « Est-ce qu’un homme comme vous ignore quelque chose ? »

b. Les déguisements au service de la tromperie, les accessoires

Dans la comédie, le déguisement dissimule le projet de tromperie ou aide à la révélation de la vérité des êtres. Voir le théâtre de Marivaux, La Double inconstance, Le Jeu de l’Amour et du hasard. Rôle de l’échange des habits dans L’Île des esclaves.
Importance du maniement des accessoires : robe de chambre de M. Jourdain, guitare dans les mains du comte. Ici, il met en valeur une positon de faiblesse.
Certains accessoires deviennent des objets symboliques : la statue du commandeur dans Dom Juan de Molière, le masque dans Lorenzaccio de Musset, la trappe et le crochet dans Ubu roi de Jarry, le rhinocéros dans la pièce du même nom d’Ionesco…

c. Les décors, l’arrière-plan

Les décors dans leur nudité ou leur réalisme créent une ambiance.
Hugo, théoricien du drame romantique, veut, par ses didascalies précises et détaillées, des décors chargés pour mieux rendre compte de la réalité complexe.
Jean-Louis Barrault a voulu au contraire concevoir sa mise en scène de Phèdre comme une tragédie solaire dépouillée : « Les lumières. On doit sentir constamment la présence du soleil. L’action commence à l’aube et se termine après le coucher du soleil. Le soleil manifestera d’autant plus intensément sa présence que la scène sera traversée de rayons. Jamais ce qu’on appelle un « plein-feu » de théâtre ne donnera autant l’impression brûlante du soleil que si celui-ci perce l’atmosphère par des faisceaux lumineux serrés. La présence du soleil se manifeste avec plus de force à travers les fentes d’une persienne qu’en plein milieu d’une plaine où tout, baigné par lui, est aplati.
Que les projecteurs soient « saignants ».
[…] Phèdre est une œuvre classique, il faut être économe. Il ne faut aucun ornement ou accessoire extérieur à l’action. »1

3 – Le sens et le plaisir passent essentiellement par une bonne diction et un jeu adapté aux intentions de l’auteur.

a. Respecter le texte et le mettre en valeur

Bien déclamer, articuler et poser sa voix.
Respecter la justesse des vers, effectuer la diérèse quand elle est nécessaire.
Prendre les bonnes intonations, mettre en valeur les patois (Molière), les accents provinciaux ou affectés (préciosité chez Molière), emphase maîtrisée (tirade du nez dans Cyrano de Bergerac de Rostand)…

b. Animer les jeux de scène surtout dans la comédie

Ne pas oublier que la comédie est proche de la pantomime.
La farce multiplie les gestes.
L’acteur ne doit pas rester immobile.
La gestuelle renforce l’expression et dynamise le spectacle.

c. Sobriété dans le registre tragique

L’acteur doit éviter le pathos au profit d’une expression tendue et vibrante.
Importance des regards et de la gestuelle des mains.

Conclusion

Pour éprouver un plaisir intense au théâtre, il faut d’abord un bon texte riche de sens parce que seuls les mots peuvent porter toutes les nuances de la riche palette des sentiments humains. Mais d’autres éléments sont plus ou moins indispensables à la représentation : à commencer par l’incontournable jeu des acteurs, sans oublier les costumes, les accessoires, les décors et les éclairages qui peuvent être minimisés, voire absents de l’espace scénique, par choix esthétique ou financier. Dans tous les cas, la signification d’une pièce et le plaisir qu’elle peut procurer passent par un ajustement de la mise en scène au projet de l’auteur dramatique. C’est affaire de culture, d’intelligence, de fidélité et d’humilité : Il faut servir le texte théâtral et non s’en servir.


1 Jean-Louis Barrault Mise en scène de Phèdre, Seuil, coll. « Points », 1972.

Voir aussi