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Les récits à valeur morale peuvent-ils intéresser les lecteurs d’aujourd’hui ?

Bac de français 2007

Séries technologiques – Corrigé de la dissertation

« … Je voudrais que cet exemple te mette en garde », déclare Osman au sultan Yaya.

En prenant appui sur l’exemple de « La gazelle du sultan » et sur d’autres apologues (fables ou contes) que vous connaissez, vous vous demanderez si les récits à valeur morale peuvent instruire et intéresser les lecteurs d’aujourd’hui.

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Introduction

Docere, placere, plaire et instruire, voilà les ambitions des fables depuis l’Antiquité. C’est pourquoi les écrivains du passé ont su recourir fréquemment à l’apologue pour séduire leurs lecteurs. En effet ce genre didactique attirait par l’habileté de ses fictions afin de mieux transmettre les leçons qu’il entendait donner. Il est donc légitime de s’interroger si les récits à valeur morale peuvent encore instruire et intéresser les lecteurs d’aujourd’hui.
En d’autres termes, il convient d’examiner si l’apologue est toujours un genre efficace aujourd’hui et à quelles conditions.
Si nos contemporains réclament toujours de belles histoires, l’apologue peut se révéler un genre efficace à condition toutefois de rejoindre une signification universelle et réactualisée.

1. Nos contemporains réclament toujours des histoires.

  • La nature humaine est invariante. Nos contemporains se satisfont toujours de la facilité. Pour être divertis, ils veulent encore des histoires courtes, frappantes, amusantes et pas trop compliquées à comprendre. Déjà au XVIIIe siècle, Voltaire écrivait dans une lettre à Moultou : « Il faut être très court, un peu salé, sans quoi les ministres et Madame de Pompadour, les commis et les femmes de chambre, font des papillotes du livre ». Rien n’a changé, semble-t-il, dans nos goûts de lecteur.
  • Pourtant nous pouvons constater tous les jours que la littérature est concurrencée par d’autres moyens d’expression. L’image immédiate et forte règne de manière tyrannique. Films, photos, bandes dessinées tendent à remplacer le texte.
  • Cependant les apologues peuvent encore intéresser les lecteurs d’aujourd’hui. Les films puisent toujours en partie dans le réservoir des récits littéraires. Ils recherchent notamment des fictions capables de toucher l’esprit et le cœur des spectateurs par les leçons qu’ils véhiculent.

2. L’apologue peut être un genre efficace

  • Pour les enfants : L’apologue joue sur leur goût des belles histoires, sur la magie du merveilleux. Ces récits les aident à construire leur imaginaire tout en les initiant à la régulation sociale. On voit poindre là la fonction didactique ou moralisante du conte. Le conte joue sur les délices de la peur éprouvée dans la chaude sécurité du foyer familial. Le récit merveilleux peut ainsi distiller sa fonction initiatique. Le petit Chaperon rouge ne serait-il qu’un simple avertissement sapiential contre le danger de parler à des inconnus ou plus profondément un récit lié à l’initiation des filles ? La moralité de Perrault admoneste les jeunes filles séduites par les cajoleries des loups « doucereux » qui les accostent alors que, dans les éditions enfantines d’aujourd’hui, le dénouement punit la désobéissance. La Belle au bois dormant doit-elle être lue comme une métaphore de la sexualité féminine ? Le conte met en jeu des bons et des méchants, des malins et des créatures stupides. La fin récompense les uns et punit les autres. Aujourd’hui encore, dans les créations récentes, on relève le succès des contes animaliers comme Les Contes du chat perché de Marcel Aymé, des récits ethniques comme le célèbre Robison Crusoë repris sous la forme de Vendredi ou la vie sauvage par Michel Tournier, et du récit merveilleux comme Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Ces récits continuent à nous apprendre à vivre : Les Contes de Marcel Aymé se rangent au côté des animaux et des enfants pour dénoncer la bêtise et la dureté des adultes ; Michel Tournier remet en question les valeurs de la civilisation occidentale dans son conte philosophique, tandis que Le Petit Prince est une parabole sur le besoin vital d’être aimé.
  • Pour les adultes : Bien des adultes font leurs délices des apologues pour les gamins comme s’ils refusaient de grandir et de se heurter aux aspérités de la vie réelle, à moins qu’ils ne préfèrent secrètement jouir de la toute-puissance de la magie dans l’univers enfantin. Dans une société scientifique et rationnelle, l’apologue peut contribuer à développer l’esprit de finesse pascalien. Aujourd’hui, l’apologue pour les adultes prend les formes à la mode : il emprunte les voies de la science-fiction comme avec La Planète des singes de Pierre Boulle ou La Nuit des temps de Barjavel. Il devient parfois un avatar du conte philosophique voltairien dans Le Baron perché d’Italo Calvino. Il se coule dans le récit historique dans Lune noire de Steinbeck. Tous ces récits ont en principe un point commun : l’évasion hors de notre époque trop étriquée, trop réglementée, trop étouffante… pour nous ramener aux dangers de la folie humaine ordinaire.

3. Pour continuer à être efficace auprès de lecteurs que rebute l’effort de la lecture, l’apologue doit plus que jamais séduire et valoriser les leçons qu’il entend transmettre.

  • Il doit d’abord continuer à s’inscrire dans le vieux fond culturel de l’humanité. C’est parce qu’il peut prétendre à l’universalité qu’il rencontrera le succès. En effet les œuvres de circonstance tombent bien vite dans l’oubli. Cette volonté de s’inscrire dans la durée procède donc d’un double mouvement, l’enracinement dans des mythes fondateurs, mais en même temps une nécessaire réactualisation. L’errance formatrice d’Ulysse devient celle de Candide au XVIIIe siècle au travers de la Guerre de Sept Ans, du désastre de Lisbonne. Le Bardamu du Voyage au bout de la nuit de Céline parcourt le premier conflit mondial, les pays colonisés, l’Amérique industrielle. Pourtant, à deux siècles d’intervalle, ces deux personnages se heurtent à la même condition tragique de l’homme, à la même folie meurtrière, et cherchent à échapper au désespoir par une tentative mesurée de solidarité.
  • Il s’agit donc pour l’apologue moderne de réinterpréter les mythes, de leur donner une signification recevable par le public de son temps, notamment en intégrant les leçons nouvelles des sciences humaines. Si le Candide de Voltaire découvre l’absurdité du monde, c’est un jeune homme bien élevé et issu d’une société aisée qui doit surmonter les épreuves au besoin en pleurant selon le goût sensible de l’époque. Bardamu, lui, a connu la révolution industrielle et le capitalisme triomphant. Cette horreur de la guerre, cette absurdité et ce misérabilisme noir de la modernité font naître en lui une peur viscérale et des angoisses destructrices. La psychanalyse est passée par là pour mettre à nu l’inhumanité primordiale de l’homme animal.
  • Les leçons restent le plus souvent implicites, mais visent toujours l’apprentissage de la vie. Le Baron perché de Calvino est un conte philosophique à la manière de Voltaire. C’est un récit à visée didactique et à caractère satirique. Si la période de référence est le siècle des Lumières, il est évident qu’Italo Calvino, à la suite de son maître Voltaire, règle quelques comptes avec la société du XXe siècle. Disons que Côme est un héros philosophique : c’est d’abord un rebelle, c’est ensuite un enfant de l’étude et de l’expérience, c’est enfin un être qui a choisi de prendre de la hauteur en vivant dans les arbres : de ce fait son regard sur la nature humaine est plus réfléchi, moins impulsif, pour tout dire plus humaniste ou philosophique. Observateur privilégié depuis ses perchoirs, apparaissant ou disparaissant au gré de ses humeurs ou de ses envies, il va vivre tous les conflits de son temps mais de manière non partisane, faisant sienne la vertu souveraine du siècle des Lumières, la raison. Il va être le révélateur des êtres désarçonnés par son non-conformisme : devant son regard perspicace et un peu voyeur, les masques tombent bien vite. Il va ainsi mettre en lumière des collusions, des réseaux d’intérêt cachés, percer le secret d’événements mystérieux pour les autres humains. Du haut des arbres, la vie humaine devient une comédie parfois amusante, mais le plus souvent grinçante.
  • L’apologue a retenu aussi les recettes de la nouvelle. Il se caractérise souvent par son goût du paradoxe et sa fin surprenante. Dans La Planète des singes, nous découvrons un monde à l’envers où l’homme est devenu l’esclave de ces primates qu’il méprisait autrefois. Quelle n’est pas notre surprise finale quand nous comprenons que c’est l’homme qui est la cause de son propre malheur ! La leçon en devient inoubliable.
  • Ce qui caractérise le mieux l’apologue au XXe siècle est l’utilisation de l’utopie ou plus exactement de la contre-utopie. Des auteurs comme Orwell et Huxley décrivent un monde qui passe sous la domination des totalitarismes : un petit groupe d’hommes impose sa loi tyrannique à la masse, des principes appliqués sans discernement, jusqu’à l’absurde, en arrivent à priver l’individu de toute liberté. C’est un monde où l’adage de Montesquieu prend tout son sens : « Le mieux est l’ennemi mortel du bien ». Les univers ainsi créés refusent la différence, l’individualité humaine. La science-fiction s’est aussi emparée de ce modèle avec les risques de la mécanisation, de l’uniformité. La contre-utopie a donc des visées critiques. À la différence de l’apologue, l’utopie ne délivre pas forcément de leçon, mais demande une lecture au second degré, une mise en perspective pour bien en comprendre le sens. Elle est effectivement ce lieu et ce récit fictionnels où s’expriment les déceptions et les angoisses de l’homme moderne devant une évolution qui n’est plus ce progrès radieux voulu par les philosophes des Lumières et chanté par Victor Hugo.

Conclusion

Ainsi nos contemporains, comme leurs prédécesseurs, ont gardé leur nostalgie enfantine des belles histoires. Bien que nous lisions moins aujourd’hui qu’hier en raison des sollicitations trop fortes de l’image sous toutes ses formes, l’apologue peut encore se révéler un genre efficace. En effet le récit fictionnel à visée didactique reste une œuvre attractive et formatrice. À dire vrai, il s’agit même de la forme la plus aboutie, la plus intelligente de l’enseignement. Pour qu’il continue à jouer son rôle irremplaçable de transmission du savoir et de la sagesse, l’apologue doit plus que jamais séduire. C’est pourquoi il lui faut se couler dans les genres à la mode : nouvelles, romans policiers, science-fiction, heroic fantasy, récits d’aventures… en veillant à donner un sens actuel aux schémas traditionnels et aux mythes éternels. Il contribue ainsi à lever un coin du voile sur le mystère de notre humanité, et nous prépare à vivre en société.
Il est certain que l’avenir de l’apologue restera lié au statut accordé à la lecture, activité mentale qui forge l’imaginaire et permet la maturation. À quand les versions modernes et réinventées du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson de Selma Lagerlöf, repris en France de manière moins poétique par Jack le Poucet et Klap la cigogne ? Sur la trame d’un conte merveilleux se déroulait un voyage initiatique qui servait à apprendre la lecture, l’histoire, la géographie tout en dispensant les valeurs morales nécessaires à la vie en société…

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