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Littérature 🏷️ Littérature française du XVIe siècle

Ronsard, Sonnets pour Hélène

Ronsard (1524-1585), Sonnets pour Hélène, II, 24

« Quand vous serez bien vieille… »

Les Sonnets pour Hélène (Hélène de Surgères) ont été publiés en 1578. Ce recueil comprend cent onze sonnets et quatre autres poèmes répartis en deux livres.

Ronsard Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filanta,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »

5 Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os
10 Par les ombres myrteuxa je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demainb :
Cueilllez dès aujourd’hui les roses de la viec.

(Orthographe modernisée)


a Allusions mythologiques. Lire « Les Parques » sur Wikipédia.
« Ombres myrteux » : dans les enfers, lieu où l’on accueille les couples amoureux.
b Lieu commun de la morale épicurienne (Cf. Horace, Carpe diem, « cueille le jour »).
c Métaphore.

Pour l’étude du texte…

Forme du poème : sonnet / alexandrins. Rimes ABBA / ABBA / CCD / EED.

Un tableau nostalgique et réaliste de la vieillesse

Le poète se projette dans le temps : le premier quatrain est une description de la vie monotone d’une femme âgée. Le poète insiste sur l’âge (« bien vieille ») et les occupations calmes de la femme en question (« dévidant et filant » ; les participes présents créent un rythme lent). L’évocation de la fin de journée (« au soir ») fait penser à la fin de la vie. L’oppositon futur / passé (« serez », « direz » / « célébrait » (la femme était la muse du poète), « j’étais ») souligne la différence entre la beauté (propre à la jeunesse) et la vieillesse.
Le premier tercet et le premier vers du second tercet opposent la mort du poète (champ lexical de la mort : « sous la terre », « fantôme », « sans os » et « repos ») et la vieillesse d’Hélène qui regrettera de ne pas l’avoir aimé (« regrettant […] votre fier dédain »).

Une déclaration d’amour particulière

On remarque qu’Hélène, contrairement au poète (qui se nomme ; abondance des pronoms personnels de la première personne et des possessifs), n’est jamais citée. Du coup, le poète semble un peu narcissique (il fait même parler sa bien-aimée au vers 4 et évoque sa célébrité au vers 5 : Ronsard est également connu de la servante).
Le poète n’hésite pas à évoquer la vieillesse et la mort de manière cruelle : « assise » (2), « à demi sommeillant » (6), « sous la terre, et fantôme sans os » (9) et surtout « vieille accroupie » (11) qui est nettement plus brutal que « vous serez […] assise auprès du feu » du vers 2.

L’immortalité poétique : la valeur conjuratoire de l’écriture poétique

Ce poème peut faire penser à une fable en raison des allusions à la mythologie et de la présence d’une morale (chute du sonnet) → valeur didactique du poème.
La moralité est la suivante : pour Hélène, il faut vivre au présent et aimer Ronsard (quand il en est encore temps) afin d’éviter des regrets inutiles plus tard… La morale est énoncée au moyen des impératifs « vivez », « n’attendez » et « cueillez ». L’image du dernier vers rappelle le caractère fragile de la vie et oppose le présent fugitif (« aujourd’hui » / vie) au futur certain (« demain » / mort).
Pour le poète, seule l’écriture poétique permet de garder le souvenir (champ lexical du temps) et d’immortaliser la bien-aimée.

Voir aussi