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Littérature 🏷️ Littérature française du XVIIIe siècle

Diderot, article « Autorité politique »

Diderot (1713-1784), Encyclopédie

Article « Autorité politique » (extrait)

Denis Diderot Autorité politique   Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle ; mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l’état de nature elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature. Qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux, et celui à qui ils ont déféré l’autorité.

La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu’ils secouent le joug1, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c’est la loi du plus fort.

Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature ; c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée devenant alors prince cesse d’être tyran.

La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime utile à la société, avantageux à la république2, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l’homme ne peut ni ne doit se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui il appartient tout entier. C’est Dieu dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du créateur. […]

Denis Diderot (1713-1784), Encyclopédie, article « Autorité politique » (extrait).

1 Secouer le joug : s’affranchir, se libérer.
2 L’État.

Éléments pour commenter le texte

Cette étude a été rédigée par Oregann.

Présentation

  • Article de l’Encyclopédie.
  • Réflexion politique. Cf. les Lumières.

Étude

Organisation du texte

  • 1er paragraphe : préambule, sorte de définition de l’autorité naturelle (parents), annonce du plan.
  • 2e paragraphe : autorité politique imposée par la force.
  • 3e paragraphe : transition.
  • 4e paragraphe : autorité politique consentie et contrôlée, référence à la religion.

Modalités énonciatives

  • Présent de vérité générale : objectivité.
  • On de généralité : objectivité. 1re personne du singulier = implication personnelle → subjectivité.

Subjectivité

  • Dimension appréciative du lexique : positive pour l’autorité dite « légitime », négative pour le despotisme.
  • Champ lexical négatif : « violence », « force », « emparé », « imposé », « la loi du plus fort », « s’arroge », « usurpation », « joug », « tyran », « aveuglément », « sans réserve ».
  • Champ lexical positif : « consentement », « légitime », « présent du ciel », « prince », « avec mesure », « utile ».

Une critique raisonnable

  • Critique de la monarchie absolue (cf. dimension appréciative).
  • Raisonnable car peu de procédés de persuasion, simple exposition des faits (cf. présent de vérité générale).

Références intertextuelles

Pour la conclusion

En s’appuyant sur l’objectivité de ses dires, Diderot bâtit une forte critique de l’autorité royale en dénonçant son illégitimité. Au-delà de la critique, il y a un appel à la démocratie.

Voir aussi