Aller au contenu
Histoire littéraire

Le baroque en littérature

Le baroque

(Fin du XVIe siècle – début du XVIIe siècle)

Sébastien Stoskopff, Vanité au cadran solaire (Musée du Louvre) Le terme « baroque » provient du portugais barroco et désigne à l’origine les perles de forme imparfaite. Au XVIIe siècle, ce terme est péjoratif car il qualifie tout ce qui est bizarre, hors des normes. Depuis le XXe siècle, les historiens de l’art appellent « baroques » les œuvres d’art du XVIIe siècle caractérisées par des thèmes comme l’illusion, la métamorphose, les courbes, le foisonnement du décor, l’ouverture sur l’infini. C’est récemment que le terme « baroque » a été adopté par l’histoire littéraire. En littérature, les œuvres des écrivains baroques se singularisent par leur fascination pour le changement, le mouvement, l’instabilité des choses. L’ostentation et la mort sont aussi des thèmes récurrents propres au baroque. Le mouvement baroque est apparu dans un contexte politique, scientifique et théologique particulier :

  • Contexte politique : au XVIe siècle, les guerres de religion ;
  • Les grandes découvertes : elles produisent des effets sur l’art ;
  • Contexte scientifique : la théorie géocentrique est abandonnée. L’ère de l’héliocentrisme débute (Copernic / Galilée) : la Terre n’est plus au centre de l’univers, c’est le Soleil.

Ces éléments entraînent plusieurs conséquences importantes : l’homme se sent décentré, on prend conscience que l’univers est infini (et non plus bien délimité) et corruptible (la Lune présente des taches, elle n’est pas parfaite ; cf. Galilée). Il y a crise de la sensibilité, et les certitudes sont remises en cause.

Le baroque littéraire

Selon Jean Rousset, dans L’Intérieur et l’extérieur. Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVIIe siècle (1968), les critères de l’œuvre baroque sont :

  • L’instabilité d’un équilibre en voie de se défaire pour se refaire de surfaces qui se gonflent ou se rompent, de formes évanescentes, de courbes et de spirales.
  • La mobilité d’œuvres en mouvement qui exigent du spectateur qu’il se mette lui-même en mouvement et multiplie les points de vue (vision multiple).
  • La métamorphose ou, plus précisément : l’unité mouvante d’un ensemble multiforme en voie de métamorphose.
  • La domination du décor, c’est-à-dire la soumission de la fonction au décor, la substitution à la structure d’un réseau d’apparences fuyantes, d’un jeu d’illusions. […]

Au cœur des textes

Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635), « Un Corps mangé de vers »

Mortel, pense quel est dessous la couverture
D’un charnier mortuaire un cors mangé de vers,
Descharné, desnervé, où les os descouvers,
Depoulpez, desnouez, delaissent leur jointure ;

Icy l’une des mains tombe de pourriture,
Les yeux d’autre costé destournez à l’envers
Se distillent en glaire, et les muscles divers
Servent aux vers goulus d’ordinaire pasture ;

Le ventre deschiré cornant de puanteur
Infecte l’air voisin de mauvaise senteur,
Et le né my-rongé difforme le visage;

Puis connoissant l’estat de ta fragilité,
Fonde en Dieu seulement, estimant vanité
Tout ce qui ne te rend plus sçavant et plus sage.


→ On peut comparer ce texte avec « Une charogne » (Les Fleurs du mal) de Baudelaire (1821-1867).

Shakespeare, Hamlet, acte V, scène 1, extrait.

Traduction F.-V. Hugo. (Source : Association de Bibliophiles Universels)

William Shakespeare HAMLET
Hélas ! pauvre Yorick !… Je l’ai connu, Horatio ! C’était un garçon d’une verve infinie, d’une fantaisie exquise ; il m’a porté sur son dos mille fois. Et maintenant quelle horreur il cause à mon imagination ! Le cœur m’en lève. Ici pendaient ces lèvres que j’ai baisées, je ne sais combien de fois. Où sont vos plaisanteries maintenant ? vos escapades ? vos chansons ? et ces éclairs de gaieté qui faisaient rugir la table de rires ? Quoi ! plus un mot à présent pour vous moquer de votre propre grimace ? plus de lèvres ?… Allez maintenant trouver madame dans sa chambre, et dites-lui qu’elle a beau se mettre un pouce de fard, il faudra qu’elle en vienne à cette figure-là ! Faites-la bien rire avec ça… Je t’en prie, Horatio, dis-moi une chose.

HORATIO
Quoi, monseigneur ?

HAMLET
Crois-tu qu’Alexandre ait eu cette mine-là dans la terre ?

HORATIO
Oui, sans doute.

HAMLET
Et cette odeur-là ?… Pouah ! (Il jette le crâne.)

HORATIO
Oui, sans doute, monseigneur.

HAMLET
À quels vils usages nous pouvons être ravalés, Horatio ! Qui empêche l’imagination de suivre la noble poussière d’Alexandre jusqu’à la retrouver bouchant le trou d’un tonneau ?

HORATIO
Ce serait une recherche un peu forcée que celle-là.

HAMLET
Non, ma foi ! pas le moins du monde : nous pourrions, sans nous égarer, suivre ses restes avec grande chance de les mener jusque-là. Par exemple, écoute : Alexandre est mort, Alexandre a été enterré, Alexandre est retourné en poussière ; la poussière, c’est de la terre ; avec la terre, nous faisons de l’argile, et avec cette argile, en laquelle Alexandre s’est enfin changé, qui empêche de fermer un baril de bière ?

L’impérial César, une fois mort et changé en boue,
Pourrait boucher un trou et arrêter le vent du dehors.
Oh ! que cette argile, qui a tenu le monde en effroi,
Serve à calfeutrer un mur et à repousser la rafale d’hiver !

Mais chut ! chut !… écartons-nous !… Voici le roi.

Entrent en procession des prêtres, etc. Le corps d’OPHÉLIA, LAERTES et les pleureuses suivent ; puis LE ROI, LA REINE et leur suite.

HAMLET, continuant.
La reine ! les courtisans ! De qui suivent-ils le convoi ? Pourquoi ces rites tronqués ? Ceci annonce que le corps qu’ils suivent a, d’une main désespérée, attenté à sa propre vie. C’était quelqu’un de qualité. Cachons-nous un moment, et observons.

(Il se retire avec Horatio.)

LAERTES
Quelle cérémonie reste-t-il encore ?

Madame Guyon (1648-1717), « Abandon entier »

Air : Je ne veux de Tirsis

Je suis un pauvre enfant exposé sur les eaux,
Battu de vague et de tempête ;
Je vogue à la merci des flots,
Qui passent souvent sur ma tête.

Dans mon petit berceau je n’ai point de secours ;
À chaque instant il se renverse ;
Mais le flot reprenant son cours,
Presqu’en un moment le redresse.

Je ne fais rien, hélas ! que de m’abandonner ;
Mes cris démontrent ma misere ;
Je vois que nul ne vient donner
La main pour me porter à terre1.

Dans cet état fâcheux je lève au ciel les yeux,
Pour y chercher quelque assistance ;
Le flot devient si furieux,
Qu’il m’ôte enfin toute espérance.

Je me sens abîmer dans le vaste Océan
Avec une frayeur étrange ;
Nul n’a pitié d’un pauvre enfant,
Ni mon Dieu, ni l’Homme, ni l’Ange.

Je me console alors dedans mon désespoir ;
Venez me noyer tout à l’heure,
Ameres eaux ! car mon espoir
Se perd : il est temps que je meure.

Je me trouve arrêté par de frêles roseaux ;
Je vois une main secourable,
Qui vient me retirer des eaux,
Pour me rendre plus misérable2.

Je vois de tous côtés les hommes s’empresser
Appellant sur moi tout le monde ;
Pourqoi me vouloir retirer ?
J’étois mieux au milieu de l’onde.


1 Sa main n’est pas secourable = perte de Dieu.
2 Privé de foi.

Pour commenter ce texte :
  • L’alternance d’alexandrins et d’octosyllabes produit un effet de mouvement, de flux et de reflux. On trouve par ailleurs des rimes à l’intérieur des mots (« ange » / « étrange », « espoir » / « désespoir » et « roseaux » / « eaux »).
  • La deuxième strophe, avec « renverse » / « redresse », est typique du baroque : le monde se renverse.
  • On retrouve la thématique de la mort dans la sixième strophe. Le héros baroque est perdu, désespéré, se remet en question, est instable.
Voir aussi