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Le bac de français 🏷️ Annales et corrigés 🏷️ Sujets et corrigés du bac français 2014

D’où provient l’émotion que l’on ressent à la lecture d’un poème ?

Sujets du bac de français 2014

Corrigé de la dissertation (séries S et ES)

D’où provient, selon vous, l’émotion que l’on ressent à la lecture d’un texte poétique ?

Vous répondrez à cette question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et lus.

Proposition de corrigé (copie d’élève)

Cette dissertation a été rédigée par Vladimir, élève en classe de première.

« L’esprit du poète est une fabrique d’images », dixit le surréaliste Pierre Reverdy en 1966 dans son poème « Sable mouvant ». Autrement dit, la poésie, art de la construction du langage, transmet par l’intermédiaire du poète (du grec ancien poiêtês « l’artisan ») des émotions au lecteur, ces sentiments physiquement ressentis (la joie, la colère…). Ainsi, quelles origines l’émotion ressentie à la lecture d’un poème a-t-elle ? Afin de répondre à cette question, l’on étudiera dans un premier temps l’importance du thème, dans un deuxième temps celle de la forme et dans un dernier temps celle de l’essence de la poésie.

En effet, l’émotion poétique tient en premier lieu à son thème

L’émotion peut d’abord dépendre de l’universalité du thème. Par exemple, le sentiment amoureux est connu de tous les humains à tous les âges. Il est à l’origine du désarroi de Christine de Pisan dans son rondeau « Je ne sais comment je dure » entre 1390 et 1400 et de la joie de vivre de Hugo en 1856 dans son poème « Crépuscule » tiré de son recueil Les Contemplations.
L’actualité du thème contribue aussi à émouvoir. Ainsi, la liberté a été plus prégnante à certaines époques de l’Histoire. En 1942, contre les occupants nazis, plus que jamais les résistants avaient besoin d’encouragement et d’espoir que leur a apportés le parachutage du poème « Liberté » d’Éluard au-dessus de la France.
Les émotions peuvent aussi être renouvelées par le caractère novateur des thèmes du poème. Les thèmes traités mêlent alors diverses émotions pour en créer une nouvelle. Ainsi, le poème « Si je mourais là-bas… » du recueil posthume d’Apollinaire Poèmes à Lou (1955) transmet l’horreur du sang versé à la Grande Guerre qui se mêle métaphoriquement à l’admirable beauté féminine de la dulcinée du poète, créant ainsi chez le lecteur la culpabilité.
L’émotion dépend donc de l’universalité, de l’actualité ou de l’innovation thématiques.

L’émotion ressentie tient moins évidemment mais tout autant à son aspect

La musique étant la transmission sonore d’émotions, la musicalité ne peut que contribuer à la transmission poétique de l’émotion. De cette manière, la transmission de l’émotion poétique est confortée par ses sonorités qui sont si caractéristiques des langues, ici française. Les vers de Verlaine en sont les parfaits exemples. Son recueil Poèmes saturniens de 1886 en regorge et le premier vers de son poème « Après trois ans » servira à la démonstration :

A’yant pous’sé la ’porte é’troite ’qui chan’celle,

L’accentuation tonique à rythme alternatif de ce vers alexandrin transmet donc au lecteur dès le début toute la nostalgie du poète revenant en son jardin après trois ans d’absence.
De façon générale, le rythme est vecteur d’émotion. Par absence de ponctuation, le poète propose une multitude de rythme, donc d’émotion, et celui que choisira le lecteur rendra ses émotion unique, plus personnelle. C’est ce à quoi s’est attaché Apollinaire dans son poème « Bleuet » tiré de son recueil posthume de 1925 Il y a en donnant au choix l’horreur d’un jeune homme connaissant trop la mort pour son âge (un soldat de la Grande Guerre) et l’admiration, voire l’envie, pour son « intrépidité », entre autres.
De même, l’agencement conduit les émotions. L’ordre des émotions sert alors à la visée – éventuellement didactique – du poète. Par exemple, « Les Animaux malades de la peste », une des Fables de La Fontaine publiées de 1668 à 1678, indigne d’abord le lecteur du sort de l’injustice faite à l’âne par la cour au cours de l’histoire, de telle sorte qu’il adhère finalement à la morale et ressorte révolté par la réalité suivante : les courtisans sont flagorneurs et les honnêtes gens sont victimes de leur hypocrisie.
La forme crée donc l’émotion à partir de la musicalité, du rythme et de la disposition.

Enfin, l’origine de l’émotion poétique tient, remonte à l’essence même de la poésie

L’émotion frappe l’esprit du lecteur car à l’origine la poésie est destinée à s’inscrire dans les mémoires. Selon le mythe grec antique, Orphée, allégorie de la poésie, a effectivement pour grand-mère Mnémosyne, déesse de la mémoire du peuple et de chaque individu. De même, Hugo rappelle dans son poème « Fonction du poète » contenu dans son recueil Les Rayons et les Ombres de 1840 que le poète occupe une fonction de sauvegarde des « traditions ».
En outre, l’origine de l’émotion poétique revêt un caractère divin, enchanteur et véridique. Toujours selon le mythe grec, Orphée a pour mère la muse de la poésie, Calliope, fille de Mnémosyne, et pour grand-père Zeus, le dieu des dieux. Il usera de la lyre dont lui a fait don Apollon, dieu du chant, de la musique, de la poésie et, du fait de ses oracles (intermédiaires entre les hommes et les dieux), de la vérité, pour que la nature lui indique le chemin des Enfers, puis pour endormir Cerbère le chien de garde à trois têtes ; ainsi réussira-t-il à ramener des Enfers Eurydice, sa bien-aimée, qu’il perdra à nouveau. Cependant, Orphée finira décapité par les femmes de Thrace jalouses de sa fidélité inconsolable à Eurydice qui le rend indifférent à leurs charmes, et sa tête prononcera alors des oracles. Encore dans « Fonction du poète », Hugo parle du poète en tant que « prophète ».
Les fonctions ancestrales de commémoration, divine, magique et de la vérité sont donc à l’origine de l’émotion poétique.

En définitive, l’émotion ressentie à la lecture d’un poème a des origines à la fois thématique, formelle et foncière. On peut alors se demander si l’on peut toujours ressentir une émotion à la lecture de la poésie hermétique de Mallarmé, poète maudit de la fin du XIXe siècle.

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