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Le bac de français 🏷️ Annales et corrigés 🏷️ Sujets et corrigés du bac français 2009

Quelles attitudes de spectateur ces textes proposent-ils ?

Bac de français 2009, séries S et ES

Corrigé de la question

Objet d’étude : le théâtre : texte et représentation

Quelles attitudes de spectateur ces textes proposent-ils ?

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Remarque préliminaire :

La réponse demandait une solide culture littéraire ou une lecture attentive du paratexte. Les deux premiers textes n’étaient exploitables qu’en connaissant les conditions particulières des représentations théâtrales au Siècle classique. Les deux suivants appartenaient au XXe siècle, mais tentaient de ressusciter une partie de la dramaturgie antique, notamment le rôle du chœur.

Réponse :

La représentation théâtrale ne peut être conçue, exécutée et finalement appréciée qu’en fonction d’un environnement systémique. Elle résulte d’un ensemble de facteurs qui interagissent ou du moins conditionnent la réalisation : espace scénique, rideau de scène, éclairages, machinerie, place réservée au public… Il faudrait en outre accorder un rôle tout particulier au type de pièce jouée. Tous ces éléments façonnent une certaine manière de consommer le spectacle. On l’aura compris, aller au théâtre révèle des comportements sociologiques et culturels. Quelles attitudes de spectateurs pouvons-nous découvrir au travers des extraits proposés par le corpus ?

La Critique de L’École des femmes de Molière est à rapprocher de Cyrano de Bergerac de Rostand pourtant écrit deux siècles plus tard. Tous les deux rapportent les attitudes caractéristiques de publics typés dans des représentations jouées au Siècle classique. Antigone d’Anouilh et Le Soulier de satin de Claudel, pièces bien différentes dans leurs intentions puisque la première est une relecture de la dramaturgie antique à l’époque moderne, tandis que la seconde retrouve le foisonnement du baroque, se rejoignent pourtant dans la nécessité d’expliquer aux spectateurs ce qui va se passer sur scène.

Ces pièces écrites à des époques différentes pour des environnements sociologiques et culturels dissemblables révèlent cependant des similitudes troublantes, ce qui tendrait à prouver qu’au delà des circonstances historiques le spectateur n’a pas changé sur le fond.

En premier lieu, la salle de spectacle du XVIIe siècle est fréquentée par des spectateurs peu concernés : les pages qui chahutent, les mondains qui viennent pour se montrer, qui réagissent à la présence supposée du Cardinal, qui envoient des baisers à leurs belles voisines. Tous manifestent un sans-gêne évident.

Au XXe siècle, le public continue à prendre ses aises et doit être rappelé à l’ordre par l’annoncier : « Écoutez bien, ne toussez pas ».

Cette indiscipline est pourtant moins dangereuse que les comportements sottement prétentieux. Ainsi le marquis de La Critique de L’École des femmes fait-il preuve d’affectation (on dirait aujourd’hui de snobisme) : un aristocrate ne saurait se mélanger au petit peuple. C’est pourquoi si le « parterre » émet de « continuels éclats de rire », il convient aussitôt de se distinguer par une attitude contraire et de décréter que la pièce « ne vaut rien ». Molière dénonce aussi le pédantisme, ce mélange d’ignorance et de bêtise de la part de « ces gens qui décident toujours et parient hardiment de toutes choses, sans s’y connaître », de ces spectateurs qui étalent une fausse culture qui « prennent par où ils peuvent les termes de l’art qu’ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place ».

Ces comportements issus de préjugés de classe conduisent à mépriser l’auteur dramatique et les acteurs qui jouent son texte. Ils deviennent insupportables par la présence contraignante des petits maîtres sur la scène. Molière a dénoncé à plusieurs reprises leur ridicule.

Au XXe siècle, le public se sent toujours aussi étranger dans l’environnement artificiel du théâtre. C’est pourquoi il a besoin qu’on lui donne le mode d’emploi, qu’on lui explique ce qui va se passer sur scène. Le Prologue d’Anouilh est censé permettre aux néophytes de trouver leurs repères. Avec quelque humour, Claudel charge l’annoncier de commenter le spectacle et de prévenir une erreur d’interprétation ou d’appréciation : « essayez de comprendre un peu. C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle. » Apprécier correctement une tragédie ou un drame se mérite, cette jouissance intellectuelle procède d’un effort.

Face à ces attitudes inadaptées et dommageables, Molière donne la recette pour se comporter en spectateur juste, pour éprouver du plaisir en ce lieu artificiel : l’abandon, l’écoute de ses émotions, « la bonne façon d’en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n’avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule ».

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